Co-fondateur et pilier de la Négritude

Portrait de Léon Gontran Damas

Moins connu que Césaire et Senghor, Léon Gontran Damas fut pourtant un des membres du trio le plus illustré de la littérature noire francophone. Promoteur de la conscience noire, il s’illustra dans la défense des droits des peuples noirs sur toute la planète.

D’origine africaine, amérindienne et européenne, «les trois fleuves qui coulent dans ses veines» comme il l’expliquera dans Black Label en 1956, Léon Gontran Damas est avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor un des fondateurs de la Négritude. Considérant indispensable de s’engager dans la lutte contre le racisme et pour l’avènement d’une conscience noire internationale, il œuvrera au niveau mondial, autant en politique qu’en littérature.

Genèse
Damas a vu le jour le 28 mars 1912 à Cayenne, quelques minutes seulement après sa sœur jumelle, Gabrielle, qui mourra en bas âge. Il est le dernier des cinq enfants de Marie Aline, martiniquaise, et Ernest Damas, guyanais ; respectivement métisse amérindienne-noire et métis noir-européen. Marie Aline meurt à 35 ans, la fratrie est alors confiée à une tante paternelle, Gabrielle Damas. Le petit Léon Gontran, âgé d’un an seulement lors du décès de sa mère, est élevé par cette dernière, qu’il appelle affectueusement Man Gabi et dont il parlera dans ses écrits. A douze ans, l’enfant est envoyé en Martinique afin de continuer sa scolarité au lycée Victor Schoelcher. Il y rencontre celui qui deviendra un de ses plus proches amis et avec qui il accomplira l’œuvre de sa vie : Aimé Césaire.

Négritude
En 1928 Damas à 16 ans, il part suivre des cours de droit, de russe et de japonais en métropole. Révolté par l’ignominie du colonialisme, il oriente ses études en conséquence, fréquentant des milieux jugés subversifs par sa famille qui renonce à l’entretenir. Pour subvenir à ses besoins, le jeune homme est obligé de travailler parallèlement à son apprentissage.
Il retrouve son complice martiniquais un an plus tard et c’est à Paris que les deux jeunes gens rencontrent celui qui complétera le plus illustre trio de la littérature noire francophone, le Sénégalais Léopold Sedar Senghor. La petite équipe ne tarde pas à s’associer pour rédiger l’Etudiant Noir, dont le premier numéro est publié en 1935.
Cette revue littéraire pose les jalons d’un mouvement dont l’ampleur reste inégalée, la Négritude. Elle affirme à l’Occident qu’il ne détient pas le monopole de la culture et impose une véritable conscience noire, puisant ses racines sur le continent africain. D’autres courants viendront plus tard la contredire, comme la créolité défendue par Chamoiseau ou confiant et réfutant la thèse de l’unique filiation noire pour affirmer une vraie identité caribéenne, loin des origines africaines ancestrales.

Conscience noire
Mais Léon Gontran Damas ne se contente pas de la francophonie. Il est bouleversé à son arrivée en France par le racisme et les discriminations, qu’il ne connaissait pas encore. Il découvre l’ampleur de l’injustice et dès lors, il se sent concerné par le combat des noirs tout autour de la planète.
Il s’intéresse notamment aux Etats-Unis, dont la situation est à l’époque dramatique : ségrégation, lois Jim Crow, Ku Klux Klan ; la lutte pour les droits civiques n’en est qu’à ses balbutiements. Damas se rapproche des écrivains afro américains Countee Cullen, Richard Wright, Alan Locke et Langston Hughes, dont il écrit la biographie.
En 1937, le Guyanais publie son premier recueil de poèmes, Pigments, qui le fera aussitôt entrer dans le cercle très fermé des intellectuels français reconnus. L’ouvrage sera saisi et interdit en 1939 au motif d’atteinte à la sécurité de l’Etat.

Engagement politique
Survient alors la Seconde Guerre Mondiale : Damas est mobilisé dans l’armée française pour un peu moins d’un an. Il résiste au régime de Vichy aux côtés de plusieurs personnalités comme Marguerite Duras et Robert Desnos. La Gestapo l’arrête en 1943. Il recevra la Médaille Commémorative pour son rôle dans la Résistance.
A la fin de la guerre, Léon Gontran Damas se lance en politique. Il est nommé député de Guyane, un mandat qu’il honorera de 1948 à 1951 en siégeant à l’Assemblée nationale française avec les socialistes de la S.F.I.O. Il se marie à la Martiniquaise Isabelle Achille durant cette période. Léon Gontran Damas publie les recueils Graffiti et Black Label en 1952 et 1956. A cette époque, il voyage beaucoup, en Afrique mais aussi en Amérique du Nord et du Sud pour diverses missions culturelles. L’Unesco, interpellé par le talent et l’engagement de Damas qui y travaille comme chercheur de 1964 à 1969, lui confie le rôle de délégué à la Société Africaine de Culture. Dans le cadre de ses recherches, Damas se rend au Brésil où il rencontre Marietta Compos, qu’il épouse en 1967.

Rêve américain
Léon Gontran Damas, reconnu dans le monde entier, termine sa carrière aux Etats-Unis. Il devient professeur à l’université de Georgetown puis on lui offre une chaire à Howard, la plus prestigieuse université afro américaine. Il y restera jusqu’à sa mort, enseignant la littérature africaine. A 65 ans, on lui diagnostique un cancer. Il est traité avec réussite, mais une rupture d’anévrisme le frappe à peine quelques mois après sa guérison. Son organisme est affaibli, il attrape une pneumonie et on lui découvre un second cancer de la gorge.
Léon Gontran Damas est décédé le 22 janvier 1978 à Washington. Il avait 66 ans. Ses cendres ont été présentées pour un hommage en Martinique en août de la même année, avant d’être rapatriées en Guyane en grande pompe en septembre, au cours de la «semaine culturelle Léon Damas».

Postérité
On peut aujourd’hui considérer ce penseur comme l’un des Grands Hommes du vingtième siècle, qui a vu le démantèlement du colonialisme et l’avènement de la reconnaissance de différentes cultures notamment africaine. Léon Gontran Damas a sans conteste influé ce changement, participant à l’émergence d’une conscience noire internationale. Il est également celui qui a su faire le pont entre les noirs de la diaspora, travaillant tant en Afrique qu’aux Etats-Unis, en Amérique latine et dans les Caraïbes, réunissant la littérature anglophone et francophone dans un même courant de pensée, tourné vers la liberté et l’égalité pour ses frères nègres.
L’œuvre de Damas est pourtant aujourd’hui beaucoup trop méconnue en France, moins appréciée que celles de Senghor ou Césaire, dont l’amour de la francophonie plaît à l’élite hexagonale… C. L.