Un coup de cœur : l’Etoile du pêcheur

Notes de lecture

Une histoire simple, peu banale, qui nous invite à voir la nature autrement et à chercher à découvrir ses mystères. Yani et Sahar, poètes dans l’âme, mènent une vie paisible loin des turbulences citadines, une vie faite d’amour – un amour qui ne s’exprime pas – d’attente. Deux personnes qui vivent en symbiose avec la nature qui leur procure bonheur et sérénité.
En un style simple, poétique, et d’une grande densité tout à la fois, Téric Boucebci nous livre dans ce conte ses réflexions philosophies : tout un art de vivre.
L’idée maîtresse : une quête permanente pour donner un sens à sa vie, de vivre autrement : «De chercher sans s’égarer mais savoir se quitter pour se découvrir.» L’étoile plus qu’un symbole nous guide vers cet ailleurs, seule possibilité de se rencontrer avec l’autre.
Le pêcheur, seul face à l’immensité du cosmos et de la mer, est guidé par l’étoile qui le rassure.
La nature est omniprésente. L’être humain fait partie de cette nature et il doit s’inscrire dans sa sauvegarde, sa protection, la connaissance de ses mystères.
Le pêcheur ne se pose pas de questions. Il vit. Mais est-ce cela vivre ? Toujours les mêmes gestes, les mêmes mots, une vie routinière, les mêmes repères. Yani ne peut se poser de questions jusqu’au jour où les hasards de la vie vont l’entraîner dans ce qui s’apparente à un voyage initiatique. Il découvre d’autres gens et en même temps se découvre. La perception du monde devient plus large.
A la manière de Socrate, il pose des questions qui fortifieront son raisonnement. C’est une révélation. Qu’est-il en fin de compte ? Quête en profondeur, en soi sans développer d’angoisse.
L’étoile qui le guide sera Sahar, presque invisible jusque-là. Elle sera éminemment présente lors du périple et donnera un autre sens à sa vie.
Ce conte aurait pu être appréhendé comme un long poème qui lui donne une dimension humaine, réelle.
Cette œuvre est tellement riche qu’elle doit être abordée à plusieurs niveaux pour en découvrir les aspects essentiels.
Tentons à notre tour d’en motiver les lecteurs potentiels.
Ainsi commence l’histoire :
«La femme d’eau.»
Chaque matin le pêcheur venait vendre le produit de sa pêche. De retour sur terre, il reprisait ses filets tout en contemplant la nature et écoutait les cailloux rouler par les vagues murmurer leurs histoires «et il fut assez surpris de découvrir qu’un étranger s’était installé à côté de son poivrier, à sa place» et qui taillait un bloc de glace.
Il y avait là de quoi intriguer. Premier questionnement inévitable : qui pouvait bien pousser quelqu’un à créer une femme dans un bloc de glace ? Yani suit avec attention tous les gestes créateurs.
La curiosité est grande. Intrigué, il ne peut s’empêcher de l’aborder.
– «Elle est belle» complimenta Yani
– «Plus que cela, elle est éphémère»
– «Oui éphémère comme nous tous»
– «Elle est par ma volonté comme tu l’es par celle d’autrui.»
– «Tu n’existes que le temps de vivre. Après tu n’existes plus.»
Suit une longue discussion qui intrigue Yani, sur le sens des rapports de la création et l’artiste, la représentation des œuvres, les sources d’inspiration, la durée des choses.
– Existe pour qui ? Pourquoi ?
– «Je vis du bonheur que je crée. Du regard que tu portes».
Question importante souvent posée aux artistes : l’art utile est-il de l’art?
– En quoi suis-je utile ? répliqua le sculpteur.
Ce dialogue déclenche chez le pêcheur toute une série de questions. Une question en appelle une autre. Toute l’œuvre n’est qu’un questionnement. Le pêcheur tente de satisfaire sa curiosité mais un sentiment d’insatisfaction l’obsédera constamment. Un manque.
Soudain, Yani prend conscience que quelque chose a changé dans sa vie. Tout est bouleversé. «Je ne suis plus le même que d’habitude».
­Sahar attend chaque jour le retour de Yani. Un sourire. Un sourire rassurant. Yani lui remettait quatre rougets. «Ce rituel les rassurait, les unissait dans un dialogue de gestes où seuls les sentiments vrais avaient leur place.»
Sahar, elle se complait dans la nature et cherche à en percer les mystères, elle vit en symbiose avec son environnement et implore la nature de protéger Yani qui a décidé de partir à la recherche du sculpteur pour assouvir sa curiosité. «Va et reviens vers ta terre nourri de ton voyage… Partir c’est déjà revenir… revenir à soi… se retrouver autrement.»
Ainsi commence ce voyage initiatique, une véritable quête personnelle et spirituelle.
Sahar attendra : «L’attente ne procure que la disparition progressive de soi… Seul vivre fait de l’instant un moment précieux et merveilleux.
L’être humain est comme les plantes, tout était caché. Non pas en attente mais en devenir et quand, par un signe, la nature s’éveillait, elle créait une nouvelle harmonie. Ainsi chaque saison était un mystère à ressentir et à comprendre. Sahar accepte la séparation. Elle savait qu’un jour, il ressentirait autrement la plénitude… Ce jour-là, il ne voyait que les mains… elle savait qu’un jour…
«Quand Yani accostait, elle lui offrait ses mains pleines d’un amour infini et plus vaste que cette mer… Elle ressentait une joie intense…
Le contact avec la nature est une source de bonheur… Il adoucira l’attente. Elle enlaça le cèdre bleu et laissa «son esprit habiter l’arbre.»

L’aventure commence
Le départ de Yani est devenu une nécessité incontournable. Sa curiosité doit être satisfaite car le sculpteur lui avait parlé d’un secret auquel il n’a pas prêté attention. Il doit savoir. Ainsi commence la quête.
Une tempête brise sa barque. Il perd connaissance. Un bateau grec le recueille.
Première question : «Tu sens ? Tu vis ! Une chance pour toi. Veux-tu vivre ? Vivre c’est prendre soin de toi.»
Yani raconte ce qui lui est arrivé. Le capitaine du bateau le prend en charge. Un débat philosophique s’engage et révèle les préoccupations de l’un et de l’autre.
– «Tu sais Yani, nous sommes tous seuls : seuls face à la vie. Seuls face à la mort. Une chance que tu te souviennes d’où tu viens. Peu de gens savent d’où ils viennent.» On peut être né quelque part, n’importe où sur la terre et se demander si ailleurs d’autres réponses existent.»
Ainsi commence le cheminement intellectuel. Chaque question fait avancer la connaissance, la curiosité, la motivation, le désir de savoir élargissent la pensée et en empêchent la sclérose de la pensée.
Yani loin de son village Azapit, s’adapte à cette nouvelle situation. L’accueil est chaleureux, fraternel et «la bonne humeur qui régnait à bord du navire lui avait peu à peu fait oublier qu’il était maintenant loin de sa côte natale.»
Yani découvre le sens de l’humain, la solidarité, la convivialité. «Je me sentais étranger quand je me suis réveillé à bord de ce bateau puis je me suis senti accepté».
Le voyage commence par cette première rencontre fraternelle. Il n’est pas seul. Il n’est pas abandonné.
Le capitaine du bateau qui a découvert «d’autres horizons, de nouvelles cultures, rencontré d’autres hommes» cherche à comprendre le monde autrement qu’il est connu… «Nous grandissons dans un monde que nous apprenons à connaître. Puis un jour, qui est l’aboutissement d’une lente maturation… Nous nous posons des questions… Ce jour-là, cet instant-là, nous réalisons vraiment que nous ne sommes plus seuls mais que nous faisons partie d’un tout.»
Yani, peu à peu perçoit dans le raisonnement une ébauche de réponse à la question qu’il s’était posée.
Les dialogues sont toujours enrichissants d’humanité partagée sans frontières. Constamment la présence de la nature est l’idée essentielle que l’homme en fait partie.
Djoher Amhis Ouksel
Professeur de lettres
Retraitée
Alger le 20.02.23
(A suivre)