Il faut avec les mots de tout le monde, écrire comme personne

Les mots d’une langue

Les mots d’une langue appartiennent à tout le monde, chacun en fait un usage particulier pour parler avec les autres, chanter pour se créer quelques moments de gaieté, écrire au quotidien des pensées, se réunir dans une cité d’habitations pour régler les problèmes dont tout le monde souffre, se créer un monde de rêve pour se retrouver dans toute son intériorité. Et par la magie du verbe, des écrivains de renommée mondiale ont bâti un théâtre merveilleux comme celui de Kateb Yacine aussi merveilleux par les thèmes que par les personnages et la langue qui en dit plus long qu’on le pense. Avec les mêmes mots que tout le monde emploie au quotidien, on peut faire du merveilleux, écrire dans un style relevé une lettre, c’est-à-dire en lui donnant une forme que personne d’autre n’a pu obtenir jusqu’à maintenant et qui étonne au point où tout le monde se demande pourquoi personne d’autre n’a pu obtenir cette forme composée avec des mots de tous les jours, ce qui étonne davantage. Il faut se dire qu’il y a des gens qui ont le don de bien faire, particulièrement en écriture. La vie est ainsi faite, il y a des gens qui ne savent pas écrire du tout, d’autres écrivent plus ou mois bien, mais il y a celui qui a la plume facile et se fait l’objet d’admiration de tous. C’est le cas du poète qui écrit dans une langue esthétique versifiée avec les mots de tout le monde, mais qui composent des textes poétiques que peu de gens comprennent et moyennant une analyse approfondie de chaque mot qui prend un tout autre sens, compte tenu de la polysémie des mots placés dans des contextes différents. La langue est plus complexe qu’on le pense tant du point de vue sémantique que syntaxique et lexicale, et ceci est vrai pour toutes les langues. La réalité est là pour le confirmer.

Ecrire comme personne
Cela signifie être original, c’est-à-dire avoir une façon d’écrire unique et que personne ne peut imiter. Avec des mots de tous les jours, on réussit à produire des œuvres écrite dans un beau style même si les mots sont ceux de tous les jours et à la portée de tout le monde. On s’étonne que l’on puisse produire des œuvres hors du commun avec un style soutenu et en obtenant des situations atypiques que l’on lit avec beaucoup de plaisir parce tout est nouveau : des personnages apparemment ordinaire mais qui par leur dynamisme sortent de l’ordinaire en nous faisant découvrir un univers nouveau grâce à la manière d’écrire qui donnent aux mots communs un coup de rajeunissement qui les place bien au dessus de ce qu’ils sont d’habitude.
En quand on lit on découvre là une métaphore qui élargit le champ d’action de tel mot qui met ainsi en valeur toute une phrase, plus loin c’est une description bien réussie avec des mots de tous les jours rompant ainsi avec les vieilles habitudes et qui consiste à faire de longs détours. L’auteur fait une sorte de redynamisation des mots en leur faisant dire autre chose que ce qu’ils ont coutume de dire. Autrement, certains écrivains utilisent peu de mots pour signifier beaucoup pendant que d’autres font de longs détours inutiles pour faire du remplissage. Un texte journalistique de Kateb Yacine fait la description d’une matinée de l’Aïd es Séghir, le texte dont voici un très court extrait daté de 1949 fait la peinture des habitants pauvres qui fêtent l’évènement mettant fin à un mois de jeûne pas toujours facile à supporter : « Cependant pour qui observe bien, nulle amertume ne se découvre chez les plus miséreux. Ils sont au contraire les premiers à se réjouir et, sans eux, la ville ne s’ouvrirait pas aussi vive comme une fleur fouillée par le soleil » Un petit passage qui en dit long sur la misère des Algériens de cette période coloniale, mais écrit dans un style soutenu qui met en relief la vie dure qu’ont connue nos citoyens par les privations de toutes sortes et, ce contrairement aux colons qui ont vécu dans l’aisance. Ici, c’est le jour de l’Aïd es Seghir, les adultes font l’effort de ne pas extérioriser leur douleur intérieure, c’est une fête qui marque le fin du mois de Ramadhan, il faut s’en réjouir En seulement quelques lignes, Kateb Yacine a réussi à mettre en relief la misère vécue par les nôtres qui font mine de ne pas le faire apparaitre. Il le dit si bien dans les passages : « pour quelqu’un qui sait observer, nulle amertume ne se découvre chez les plus miséreux, ils sont les premiers à se réjouir et sans eux, c’est la tristesse générale, ils sont comme une fleur fouillée par le soleil. Ce qui a été dit par Kateb en trois lignes, un autre le dirait en trente pages. Cet écrivain use beaucoup de métaphores qu’il a inventées lui-même pour signifier beaucoup. Ces métaphores sont : « une fleur fouillée par le soleil », il a voulu dire que le soleil, par son éclairage, a mis en relief la beauté de la fleur et dans toutes ses particularités, « sans eux, la ville ne s’ouvrirait pas » cela signifie que la ville ne se montrerait dans l’ambiance de fête qu’on lui connait à chaque Aïd es Seghir. Tel est le style de Kateb marqué par de belles images qu’il faut savoir interpréter. Nous devons rappeler que Kateb Yacine est l’auteur de deux romans écrits dans un style original que rares sont les lecteurs peuvent les comprendre du moins à la première lecture, pourtant il écrit avec les mots de tout le monde. Son écriture est non linéaire, car elle suit le rythme de ses pensées. Il a écrit aussi des nouvelles qui sont hermétiques, c’est-à-dire d’accès difficile. Quant à sa poésie, elle est réservée aux seuls initiés tant les mots de tous les ont servi à faire des vers difficile à comprendre.

Autres styles d’écriture avec les mots de tout le monde
Avec les mots de tout le monde, on écrit comme jamais personne n’a écrit, tel est le mode d’écriture des poètes dont la plupart font des productions hermétiques et rares sont ceux qui arrivent à les comprendre. Prenons l’exemple des deux vers extraits d’un long poème : « Et le char vaporeux de la reine des ombres/Monte et blanchit les bords de l’horizon », les mots qui ont servi à bâtir ces deux vers sont de tout le monde et on n’a pas besoin de prendre le dictionnaire pour chercher leur sens. Dans les deux vers, il s’agit de la lune qui monte à l’horizon avec son clair qui illumine toute la nature qui était plongée dans le noir de la nuit. La lune fait le même mouvement chaque jour en apportant son clair de lune qui illumine toute la région, quand le ciel est bellement étoilé.
L’auteur en fait un évènement peu commun, voir même une sorte de spectacle nocturne par sa description versifiée. Ainsi chaque écrivain a sa manière d’écrire avec les mots de tout le monde, les uns sont de vrais artistes de l’écriture, on les appelle, les artisans du langage, que ce soit dans la prose ou dans la poésie, ils rehaussent la valeur sémantique des mots les plus courants dans le langage de tout le monde comme le poète qui désigne la lune et le clair de lune sous l’appellation de char vaporeux puis de reine des ombres. Ils font des textes atypiques par le contexte et par le sens, ce qui valorise les faits et évènements narrés. Il faut avec les mots de tout le monde écrire différemment pour donner plus de vigueur à chaque mot du langage courant, pour rester dans l’originalité et pour donner la preuve de son génie créateur à la manière de Kateb Yacine qui du génie, parce qu’il a inventé une manière d’écrire des romans, des pièces de théâtre, des poèmes et l’originalité chez lui est telle que ses romans sont aussi des pièces théâtrales et des poèmes ; les mots qu’il emploie sont les mots de tout le monde, quelquefois des mots difficiles, mais chez lui, ils ont tous un autre sens parce que placés dans des contextes nouveaux.

On dit que les meilleurs hommes et femmes de plume sont ceux qui ont fait leur début dans la poésie, mais toujours avec les mots de tout le monde
Ceci est plus que vrai car nous des preuves en Mohammed Dib, qui a été d’abord un bon poète avant de devenir un bon romancier. Il a été aussi journaliste après d’avoir été instituteur et cheminot. C’est quelqu’un qui s’est beaucoup cherché avant de se stabiliser comme romancier. On l’a entendu dire il y a très longtemps que sa vocation était celle de romancier et un romancier hors catégorie qui n’avait rien à envier aux écrivains d’origine française. Mohammed Dib a beaucoup travaillé dans la presse et surtout dans la poésie, croyant être né pour versifier, mais le destin en a décidé autrement, il jette tout pour se consacrer au roman. Ses premiers romans ont été merveilleux et consacrés à la vie à Tlemcen durant la colonisation, ils sont intitulés successivement : « La Grande maison », « L’incendie », « Au Café », « Le métier à tisser », aussi beaux que les tapis tissés à Tlemcen, « Baba Fekrane » , « Un été africain », ces premières œuvres sont accessibles à tous les lecteurs, mais à partir de « Qui se souvient de la mer », « La danse du roi » et tous les autres romans sont très beaux, mais pour celui qui veut les trouver réellement beaux, il faut prendre la précaution de s’armer de connaissances sur la technique du nouveau roman, sinon vous risquez d’abandonner la lecture dès les premières pages. Ecrivain exilé, on a proposé Mohammed Dib au prix Nobel, il le méritait pleinement, maison hélas !
Boumediene Abed