Réconciliation L’Arabie saoudite à la rescousse du régime des Mollahs

Les deux pays ennemis réactionnaires islamistes, l’Arabie saoudite et l’Iran, viennent de sceller leur réconciliation. À la vérité, contrairement à l’interprétation énoncée par l’ensemble des médias, cette réconciliation ne revêt aucune dimension diplomatique, autrement dit elle ne répond pas à des intérêts d’ordre international. Mais à des préoccupations d’ordre intérieur national.
De défense de l’ordre établi. Cette réconciliation, aussi soudaine qu’inattendue, a pour dessein de circonscrire la propagation de l’incendiaire contestation insurrectionnelle iranienne, de neutraliser l’explosion d’une révolution sociale en Iran. Certes actuellement momentanément assoupies du fait de la brutale répression des autorités contre les manifestants (500 iraniens tués, 14 000 arrestations, 55 exécutions), et du rude climat hivernal. Quoi qu’il en soit, le mécontentement de la population envers la République islamique et les raisons de la révolte sont toujours bien prégnants dans le pays.
Pour autant, avec l’arrivée du printemps, le régime des Mollahs s’attend, du fait de l’aggravation de la crise économique, de la perte de valeur sans précédent de la monnaie nationale et de la flambée de l’inflation (supérieure à 50%), au resurgissement de la contestation sociale. À des manifestations massives qui ne manqueront pas de prendre une tournure politique et anti-régime. En d’autres termes, de réactiver le processus révolutionnaire impulsée au lendemain de la mort de Mahsa Amini, décédée quelques jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour un voile mal ajusté.
L’Arabie saoudite redoute par-dessus tout une révolution dans sa région. Aussi, elle est disposée à sacrifier, provisoirement, ses intérêts internationaux en s’alliant avec le régime des Mollahs, pour éviter la poursuite des contestations politiques et sociales en Iran.
Le rétablissement de leurs relations diplomatiques, acté sous l’égide de la Chine, pays également en proie à l’agitation sociale, ne constitue nullement l’amorce d’un tournant géopolitique. Mais le prélude à une coopération sécuritaire établie entre les deux régimes menacés d’implosion. En particulier l’Iran, en proie à une grave récession économique et à une crise de légitimité institutionnelle.
À preuve, les deux pays se sont engagés, prioritairement, à ne pas interférer dans leurs affaires internes. En d’autres termes à cesser leurs respectives menées subversives réciproques. Quoique les deux régimes ennemis soient acculés à devoir, à terme, cesser d’alimenter les guerres dans leur sphère d’influence, pour le moment il n’est nullement question de cessation des hostilités idéologiques et conflits armés commandités par les deux régimes, notamment au Yémen, en Syrie et en Irak. La priorité est à l’extinction de l’incendie protestataire allumé en Iran, à l’endiguement de la guerre sociale déclenchée par le prolétariat iranien contre le régime des Mollahs. Y compris au prix d’un soutien logistique de sécurité intérieur accordé par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman (MBS) à ses nouveaux alliés, les Mollahs, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre appelées à se renforcer et se durcir durablement.
D’aucuns affirment que l’Arabie saoudite permet à l’Iran de sortir de son isolement sur la scène moyen-orientale. Cette réconciliation va plutôt permettre au régime islamiste des Mollahs de s’extraire de son encerclement intérieur déclenché par une population insurgée, de desserrer l’étau de son assiégement mené par des protestataires subversifs. L’heure est à la coopération et coordination policière des deux régimes islamistes. Non à la sécurisation de la région. De la cessation des conflits au Yémen, en Syrie, en Irak. Les deux régimes théocratiques n’œuvrent pas à l’instauration de la paix régionale mais à la restauration de la paix sociale, c’est-à-dire au maintien de l’ordre établi dans leurs pays respectifs, en particulier en Iran, depuis plusieurs mois en proie à des contestations sociales insurrectionnelles. À preuve, l’accord de coopération et de sécurité Iran-Arabie saoudite de 2001 est réactivé. Il établissait la coopération entre les deux pays sur des sujets relatifs à la lutte contre le terrorisme ou la criminalité. Quand on sait que, dans ces deux régimes théocratiques dictatoriaux, toute activité politique est assimilée à du terrorisme ou de la criminalité, on comprend mieux à quelles fins répond la réactivation de cet accord sécuritaire. Et donc le rétablissement des relations diplomatiques entre ces États islamistes. De même, le rétablissement des relations diplomatiques entre ces deux nains économiques ne préfigure pas l’instauration d’un nouvel ordre mondial ou bouleversement géopolitique, comme le laisse entendre nombre d’analystes. Loin s’en faut. Pareillement, ce réchauffement diplomatique calculé ne freinera pas le processus de normalisation des pays arabes avec l’entité sioniste. Ni la poursuite de la guerre généralisée en cours.
Contrairement à ce qu’affirment tous les commentateurs officiels, l’heure n’est pas à la refondation d’un nouveau monde, à la naissance d’un nouvel ordre mondial matérialisé par un système multipolaire fondé prétendument sur le cadavre de l’hégémonie de l’Empire américain (qui, quoi qu’on en dise, demeure dominant, et pour longtemps encore. D’aucuns ont déjà naïvement enterré les États-Unis, anéantis, selon ces idéalistes, par l’armée de va-nu-pieds de Poutine, celui-ci étant par ailleurs hissé comme leur nouvel héros), mais à la décomposition du monde capitaliste, à la fuite en avant dans les guerres totales impérialistes. Aucun pays (ou puissance) n’est porteur d’un projet économique et social salvateur, d’un idéal politique émancipateur. Tous les pays sont enlisés dans une crise économique et institutionnelle systémique mortelle. Notamment l’Iran et l’Arabie saoudite qui, par le rétablissement de leurs relations diplomatiques, croient pouvoir sauver leur régime théocratique condamné, au vrai, par l’Histoire.
Khider Mesloub