Un homme de religion et de lettres émérite

Sur les traces d’Ibn El Arabi

Le destin a voulu qu’il soit de la même génération de Salah Eddine El Ayyoubi, Abdelkader El Djilani, Ibn Rochd, Ibn Sina, des hommes de combat et dont le savoir a rayonné dans le monde de tous les temps.

Andalou, d’origine maghrébine, Ibn El Arabi, auteur de près de 800 ouvrages, a été un grand saint de l’Islam dont la pratique religieuse s’est toujours inspirée du soufisme pur et dur ; ce qui lui a valu d’être une référence pour les uns et un objet d’anathème pour d’autres, de tendance chiite. Bien qu’il eût été un vrai Muhyi eddine ou le vivificateur de la religion, beaucoup ne lui ont pas pardonné d’avoir été apocryphe dans quelque écrit, allant jusqu’à oser prédire l’avenir de l’empire ottoman. Cependant, entouré de vénération, c’est Damas qu’il avait choisie pour sa dernière demeure, après qu’il y a rendu l’âme le 8 novembre 1240 et pas loin de la tombe de Salah Eddine El Ayyoubi.

Un fervent religieux et un écrivain fécond
Rares ont été ceux qui ont su concilier la pratique religieuse et l’écriture, en apportant la preuve qu’il n’y a pas d’incompatibilité des deux domaines. Ibn el Arabi a, non seulement, été l’auteur de plusieurs centaines d’écrits, mais il a composé des ouvrages qui ont suscité la contestation auprès des grands maîtres de la religion et de la plume comme Ibn Khaldoun qui a délivré une sentence juridique prescrivant l’autodafé des livres d’Ibn El Arabi, comme le recueil des connaissances divines rédigé en vers, le commentaire du Coran en 74 volumes, les futuhat portant sur l’ontologie, la cosmologie, l’hagiologie, la prophétologie, l’hématologie, l’exégèse, la jurisprudence.
Ses œuvres comme « Fusus al hikam » qui récapitule l’essentiel de la doctrine métaphysique et hagiologique ont été en majorité interdites en Egypte et même en Occident. Tout en disant « Quant à moi, je dis que cet homme fut peut être un saint », Dhababi, élève d’Ibn Taymiyya, s’est déclaré contre Ibn El Arabi.
A titre illustratif, ses détracteurs donnent cet exemple d’ambiguïté dans la doctrine d’Ibn El Arabi quand celui-ci dit : « Par Dieu, mieux vaut pour un musulman vivre ignorant derrière ses vaches que de posséder cette gnose et ces connaissances subtiles (mizan al i tidâl) ». Ainsi, depuis sa disparition, Ibn El Arabi a eu des défenseurs qui l’ont appelé le cheikh Akbar et des détracteurs pour qui il doit être gommé à jamais come les Wahabites.

Aperçu sur son itinéraire
Tout jeune, Ibn El Arabi se voyait destiné à une carrière militaire mais le destin en a décidé autrement. Certains biographes affirment qu’il serait d’origine yéménite et que ses proches auraient été des collaborateurs de sultans qui ont gouverné la péninsule arabique d’autres le citent en le disant de descendance maghrébine. Toujours est-il que sa famille s’est installée en Andalousie vers le 8e siècle. Selon Ibn Sh’âr qui l’avait rencontré à Alep en 1237, Ibn El Arabi était d’une famille de militaires au service de ceux qui ont gouverné l’Andalousie du temps des Almoravides qui s’étaient embarqués dans la Péninsule ibérique à l’époque de la diversion en Andalousie où des états autonomes s’étaient constitués à la faveur de la chute du califat de Cordoue. Tolède avait été reprise par les Chrétiens qui prenaient de l’expansion. Mais à la faveur d’une écrasante défaite qu’ils ont imposée aux Catalans, les Almoravides ont pris le dessus en annexant les Taifas et pour un temps. A la suite du mécontentement que leur régime avait suscité, les Almoravides durent céder le terrain aux Almohades, après avoir perdu Saragosse en 1118.
C’est sous l’impulsion d’ibn Toumert prônant un Islam plus sobre centré sur le tawhid qu’une nouvelle dynastie est née, celle des Almohades sous la direction de Abd El Moumin qui envoie des troupes à Séville. Grenade est restée sous la juridiction des Almoravides, Almerias est occupée par les Castillans. On voyait dans ce climat de division, se dessiner un avenir incertain.
Le père d’ Ibn El Arabi faisait carrière au service des Almohades. On disait que le jeune fils se destinait à l’armée, mais il avait une vocation religieuse et d’écrivain doué. On qu’il s’est rendu à Cordoue pour une visite chez Ibn Rochd alors qu’il n’était qu’un jeune garçon sans duvet. « Lorsque je fus introduit chez le cadi, dit-il, il se leva de sa place, manifeste son affection et sa considération et m’embrassa ». Entre les deux, il y eut comme un dialogue de sourds.

Sur la voie de la spiritualité
Très tôt, il a eu le pressentiment d’une vie spirituelle intense qui s’inscrit sur la voie du soufisme, un choix qui lui avait donc été prédestiné par son retrait du monde en s’adonnant à une vie d’ermite dans une caverne, au milieu d’un cimetière et ce, pour être face à l’éternel. Un biographe rapporte les propos d’Ibn El Arabi : « Je me suis mis en retraite avant l’aurore et je reçus l’illumination avant que le soleil ne se lève. Je demeurai en ce lieu quatorze mois et j’obtins ainsi les secrets sur lesquels j’écrivis ensuite : mon ouverture spirituelle, à ce moment, fu un arrachement extatique ». Quatorze mois d’enfermement font subir une transformation spirituelle de la personne qui a choisi le retrait du monde.
L’émir Abdelkader s’est inspiré d’Ibn El Arabi et de Sidi Boumediene grandes sommités du soufisme ont fait eux aussi l’expérience de l’éblouissante illumination qu’on nomme le ravissement dans sa retraite de 14 mois pour Ibn El Arabi au cours desquels le croyant se sent arraché par Dieu à sa condition ordinaire. Cette forme de spiritualité conduit à devenir (mûrid) désirant et à passer à la voie de la perfection. « Le recueil des connaissances divines a été écrit par Ibn El Arabi pour faire part de ses visions qu’il a eues au cours de son long ermitage. Il a évoqué ses souvenirs d’enfance : « je vécus, dit-il jusqu’à ce que le Miséricordieux tourne vers moi sa providence et m’envoie dans mon sommeil les prophètes des trois religions monothéistes : Sidna Mohammed (Que le salut de Dieu soit sur lui), puis sidna Aïssa et sidna Moussa (que le salut soit sur eux). Sidna Aïssa, dit-il, m’exhorta à l’ascèse et au dépouillement, Sidna Moussa me donna le disque du soleil et me prédit l’obtention de la science transcendantale (les sciences de l’unicité (tawhid). Notre prophète Mohammed (QLSSSL), lui, m’ordonna (c’est toujours Ibn El Arabi qui parle) : « Cramponne toi à moi tu sera sauf ! » Je me réveillai en pleurant et consacrai le reste de la nuit à psalmodier le Coran. Je pris alors la résolution de me consacrer à la voie de Dieu…».
Cette rencontre d’Ibn El Arabi appelé le grand cheikh, avec les prophètes monothéistes est un indicateur de l’universalité de l’enseignement abkarien et de l’engagement spirituel du grand cheikh, précepte montrant bien qu’il n’y a pas d’autre voie possible à la perfection spirituelle. Le même précepte fondamental trouve sa source dans la sourate 33, verset 21 : «Vous avez dans le prophète de Dieu, un bel exemple pour celui qui espère en Dieu et au jour dernier et qui invoque souvent le nom de Dieu».
Abed Boumediene