Au festin de Ramadhan, bida‘a ! Vous avez dit bida‘a ?

Tarâwîh

Par Dr Al ‘Ajamî

Ramadhan, mois de l’abstinence, abstinence du moi, est aussi le temps de la générosité. Qui se refuse à assouvir ses faims s’invite au festin de Ramadân, at-tarâwîh. Il est des lieux d’assemblée vibrant de lumières dont les coeurs résonnent du vivant Appel de Dieu, le Coran.

U lecteur attentif pourrait observer qu’il n’est pas dit en ce hadîth que cela se déroulait durant Ramadân ! C’est exact, mais, en réalité, Al Bukhârî a rapporté au chapitre dit « Du tahujjud » une version abrégée du même évènement où Aïsha précise que cela se déroula pendant Ramadân.
Ceci étant, le hadîth, lorsqu’on le lit en son intégralité, montre parfaitement que le Prophète après avoir dans un premier temps dirigé cette prière de Ramadân ne sortit pas de sa demeure au quatrième soir. Puis, qu’après avoir gagné la Mosquée et dirigé la prière de l’aube il tint un propos dont on peut ainsi commenter la trame : « [Bien que je ne sois pas sorti prier cette nuit à la Mosquée] Je n’ignorais pas que vous étiez ici [c’est-à-dire que vous étiez rassemblés en la Mosquée pour prier avec moi] mais [si je ne suis pas sorti de mon domicile pour venir prier avec vous cette nuit, c’est que] j’ai craint que cela ne vous devienne obligatoire et que [par la suite ne pouvant l’assumer] vous l’abandonniez. »
Ce qui est ici exprimé est la délicate attention que le Prophète portait aux musulmans. Il s’inquiéta de ce que la passion des fidèles ne vinsse à l’emporter, et que leur amour pour le Prophète et le Coran ne les poussât à s’imposer cette prière qu’il n’avait par ailleurs que recommandée (Cf. hadîth 1). Par volonté d’allégement et par miséricorde pour les plus faibles il craignit que cela pût s’ajouter aux fatigues du jeûne.
La phrase « J’ai craint que cela ne vous devienne obligatoire et que vous l’abandonniez. » n’est pas à comprendre comme signifiant « j’ai craint que Dieu ne vous le rende obligatoire par prescription ». Un hadîth rapporté par Al Bukhârî et Muslim explicite la philosophie du Prophète en la matière : D’après Aïsha : « Le Prophète délaissait parfois certaines oeuvres surérogatoires alors même qu’il les désirait, et ce uniquement par crainte que les gens ne s’en rendissent la pratique obligatoire. Ainsi ne pria-t-il jamais la prière surérogatoire de la matinée alors que je la faisais moi-même. » [3]
En résumé, est donc confirmé en ce hadîth que la pratique du tarâwîh en commun est une sunna à caractère non obligatoire. Le Prophète la recommanda, la pratiqua seul, mais aussi en compagnie des musulmans.
Enfin, signalons que la dernière phrase « Le Prophète décéda et la situation était ainsi. », qui ici pourrait signifier que le Prophète décéda immédiatement après ce récit, n’est pas due à Aïsha mais est une interpolation parfaitement signalée par Ibn Hajar al ‘Asqalânî, nous la retrouverons là où elle doit figurer.

Hadîth 3 : Rapporté par Al Bukhârî au sujet de la prière de nuit. D’après Aïsha : « Le Prophète avait une natte qu’il étendait dans la journée et qui lui servait de paravent la nuit. Des gens se regroupaient alors et priaient derrière lui. »
Il a été rapporté plusieurs épisodes authentifiés similaires. Il apparaît donc que le Prophète priait certaines prières surérogatoires, c’est-à-dire non obligatoires, en commun et à la Mosquée. Ceci est donc sunna, tout du moins pour les prières surérogatoires de la nuit, tahujjud. Or, le tarâwîh n’est rien d’autre que cela.
Hadîth 4 : D’après Zayd ibn Thâbit au même chapitre que précédemment : « Le Prophète s’isolait [le rapporteur ajoute : Je pense qu’il a dit à l’aide d’une natte] durant Ramadân. Il y pria quelques nuits et certains de ses Compagnons prièrent avec lui. Lorsqu’il s’aperçut de leur présence il demeura assis. Puis, il alla les voir et leur dit : Je sais ce que j’ai vu de vos agissements ; priez donc, ô hommes, en vos demeures car la meilleure des prières est celle que l’homme accomplit en sa demeure, sauf les prières obligatoires prescrites. »
Ce récit ressemble à celui rapporté par Aïsha au hadîth 2 mais il s’agit bien d’un événement différent. En effet, Aïsha précise que chaque soir de ce Ramadân là le Prophète quittait sa chambre pour aller prier la nuit dans la Mosquée. Par contre, pour le Ramadân indiqué par Zayd ibn Thâbit, le Prophète faisait en réalité la retraite de la dernière décade dite ‘itikâf en la Mosquée. Dans les deux cas il se produisit la même chose, le Prophète accepta la prière en commun quelques nuits puis en vint à la refuser, ce qu’exprime la phrase : « Lorsqu’il s’aperçut de leur présence il demeura assis » c’est-à-dire qu’il demeura assis derrière son paravent de sorte que les fidèles ne puissent plus suivre sa prière. La raison de ce refus en est ensuite donnée : « Je sais ce que j’ai vu de vos agissements ; priez donc, ô hommes, en vos demeures. La meilleure des prières est celle que l’homme accomplit en sa demeure, sauf les prières obligatoires prescrites. »
Pour bien comprendre ce propos il faut s’en référer à une autre version de ce même récit, rapportée elle aussi par Al Bukhârî toujours selon Zayd ibn Thâbit, où l’on lit que les fidèles ne voyant pas le Prophète sortir de son abri de nattes ils « élevèrent la voix (pour l’appeler) et jetèrent des petits cailloux sur la porte (de son abri). Le Prophète sortit alors fâché et leur dit : Vous montrez une tel zèle que j’ai craint que cela ne vous soit obligatoire. Priez donc en vos demeures car la meilleure des prières est celle que l’homme accomplit en sa demeure, exception faite des prières obligatoires prescrites. »
Ainsi, le « Je sais ce que j’ai vu de vos agissements » est aussi à mettre en relation avec un écart de comportement commis par les fidèles présents cette nuit là qui allèrent, poussés par leur excès de zèle, jusqu’à importuner le Prophète faisant retraite. Leur insistance à vouloir accomplir un acte surérogatoire pourrait s’opposer finalement à la sincérité qui préside à la spontanéité et engendrer une ostentation délétère… Dans ce contexte, et uniquement dans ce contexte, l’on peut alors comprendre la portée exacte de son propos: « Priez donc en vos demeures car la meilleure des prières est celle que l’homme accompli en sa demeure, exception faite des prières obligatoires prescrites. »
Le Prophète a parfaitement discerné le risque ostentatoire encouru : « Je sais ce que j’ai vu de vos agissements », et il indique ce qui est meilleur pour la piété sincère et l’éducation spirituelle car les prières nocturnes en particulier n’ont de valeur que selon cette perspective. Telle est la signification de ces mots : « Priez donc en vos demeures car la meilleure des prières est celle que l’homme accomplit en sa demeure ».
De plus, littéralement, et le contexte l’indique, il ne s’agit nullement en cette parole d’interdire, mais de conseiller ce qui est meilleur, la nuance est d’importance. Ceci est par ailleurs logiquement confirmé par les faits. D’une part, le Prophète a accepté initialement de prier ces prières en commun avant de se raviser pour les raisons que nous venons de mentionner et, d’autre part, d’autres hadîths authentifiés témoignent du fait que les Compagnons priaient à titre surérogatoire dans la Mosquée. Par ailleurs le Prophète a dit : « Etablissez une part de vos prières [surérogatoires] en vos demeures afin de ne pas en faire des tombes. » [4] Que l’on n’aille pas prétendre qu’il aurait interdit cette pratique par notre hadîth car un conseil ne peut abroger une recommandation.
A.A
(A suivre…)