Lumières américaines sur le cinéma du continent africain

New York African Film Festival

Depuis le 10 mai et jusqu’au 1er juin, la Grosse Pomme accueille le plus grand festival de cinéma africain outre-Atlantique, le New York African Film Festival.

Avec une cinquantaine de films au programme, mais aussi des ateliers de découverte et de sensibilisation aux réalités du cinéma du continent avec les interventions de plusieurs acteurs du milieu, cet évènement, qui fête ses 30 ans, est devenu incontournable au fil des années pour les amateurs et une industrie du cinéma africain qui souhaite se faire une place au soleil dans l’hyper compétitif marché américain.
Lincoln Center, 10 mai. Dans le légendaire complexe culturel de l’Upper East Side, le tapis rouge est assez court, mais les sourires sont nombreux, pour cette soirée d’ouverture du 30e Festival du film africain de New York. Bien loin des strass et paillettes de Cannes, le NYAFF, comme on l’appelle ici, est un évènement central dans le calendrier du cinéma du continent aux États-Unis, et met en valeur, cette année encore, des réalisateurs incontournables comme le Malien Souleymane Cissé, le Sénégalais Moussa Absa Sène, mais aussi des jeunes valeurs montantes, comme l’Angolais Ery Claver et la Kenyane Angela Wanjiku Wamai.
« On est parti de quasiment rien, mais les intentions ont toujours été les mêmes depuis 1993 : donner une fenêtre de visibilité au cinéma africain, car celui-ci n’a que très rarement l’exposition et le succès qu’il mérite dans le panorama cinématographique américain », souligne Mahen Bonetti, la directrice générale du festival. Avec de maigres moyens lors des années inaugurales, le NYAFF fait figure de pionnier. Il a été le premier festival à programmer des films de réalisateurs africains francophones aux États-Unis, en dédiant son édition de 1993 à une rétrospective des œuvres du Sénégalais Ousmane Sène, l’un des pères du cinéma africain.

Un festival utile pour une
« meilleure visibilité et une meilleure distribution»
Depuis, le festival a permis d’amener de ce côté de l’Atlantique des films, entre autres, d’Abderrahmane Sissako, de Fanta Régina Nacro, mais aussi de Souleymane Cissé et de Tunde Kelani. « Ce genre de festival est très important pour le cinéma africain, sa reconnaissance, mais aussi pour une meilleure visibilité et une meilleure distribution de nos films ici », insiste la légende malienne Souleymane Cissé, qui fait l’objet d’une rétrospective de sa carrière pour l’occasion, et ajoute « que la présence de réalisateurs plus anciens, mais aussi de nouveaux venus des quatre coins de l’Afrique permet d’exposer nos talents à l’international, et montrer aux gens qu’on mérite beaucoup plus d’attention ».
Ami proche de Martin Scorsese – le réalisateur américain, grand connaisseur du cinéma africain et soutien du festival –, et qui devait marquer présence pour une conversation sur le passé, le présent et le futur du cinéma du continent, (annulée pour raisons de santé, NDLR), Cissé a passé de longs moments au festival à échanger, à se mélanger avec le public, « ce qui rend une dimension humaine de proximité avec les spectateurs, l’une des caractéristiques marquantes du NYAFF », comme souligne tout sourire Matthew, étudiant en cinéma tout heureux d’avoir reçu les conseils d’un monstre du cinéma africain.

La gratuité pour une meilleure accessibilité
Le NYAFF attire un public nombreux, environ 6 000 personnes, de tous âges, et de profils variés, d’habitués de longue date, d’amoureux du cinéma, mais aussi de fils d’immigrés africains nés aux États-Unis et qui veulent en savoir plus sur les sujets sociaux et culturels du continent. « Ici, le système éducatif et l’exposition de l’histoire de l’Afrique n’est pas une priorité, les gens ne connaissent quasiment rien du continent », souligne Fatia, fille d’immigrés sénégalais née à Harlem, « ce festival permet aux plus curieux de venir apprendre les histoires, les réalités que vivent les gens à Dakar, à Nairobi, ou à Abidjan. C’est un voyage en Afrique, mais sans prendre l’avion », sourit-elle. Afin de réunir le plus grand nombre, les projections de films, mais aussi les ateliers et les discussions sont programmées aux quatre coins de la ville, et une grande partie est gratuite, pour garantir une accessibilité optimale. « On a des évènements au Lincoln Center, mais aussi au Brooklyn Art Museum (BAM) et au Maysles Cinéma, à Harlem, qui est LE quartier de la diaspora Africaine ici », précise Bonetti, « on sait que la concurrence est rude avec les nombreux festivals qui se déroulent ici, mais on arrive à tirer notre épingle du jeu. Chaque année, on grandit ».

Éviter une « wakandisation »
du cinéma africain
Le festival est aussi important pour aider à la distribution des films africains aux États-Unis, avec plusieurs premières américaines, et le networking entre les acteurs de l’industrie de l’image, les novices du milieu et réalisateurs les plus confirmés sont au centre de beaucoup de discussions. « Les anciens comme Cissé et moi-même essayons toujours de promouvoir le cinéma africain, mais je sens que l’énergie des jeunes générations est exceptionnelle, unique », précise Moussa Absa Sène, qui ajoute : « nous sommes dans une époque où la création cinématographique du continent explose, et il faut s’assurer que l’avenir du cinéma africain, mais aussi celui des diasporas africaines à travers le monde, devienne de plus en plus radieux, aussi aux États-Unis ».
Pour le réalisateur sénégalais, ce genre de festival est aussi crucial pour apporter une fenêtre réaliste sur l’Afrique, trop souvent perçue ici dans une perspective « fantastique », issue des grosses superproductions américaines. « Il ne faut surtout pas qu’il y ait une «wakandisation» du continent, car la réalité est tout autre. Il faut donner une vision réaliste de notre quotidien, pour que le monde ait pleine conscience de nos joies, de nos difficultés, mais aussi de nos différentes visions de la vie », conclut-il.
M.O.D.C.