Les élites intellectuelles françaises Chiens de garde des puissants

Comme l’avait écrit Antonio Gramsci, pour régner, les classes sociales dominantes ne s’appuient pas uniquement sur la puissance de leur pouvoir économique et leurs forces répressives policières et militaires, mais également sur le concours idéologique de la caste intellectuelle.

En France, comme dans les pays occidentaux, l’élite intellectuelle a toujours contribué à l’enrôlement des masses populaires dans les instances étatiques bourgeoises, à leur embrigadement idéologique.
De fait, à l’exception des rares périodes révolutionnaires singularisées par le ralliement individuel de quelques intellectuels au combat des classes populaires, en général l’intelligentsia française est toujours demeurée la fidèle servante des classes possédantes. En particulier dans les périodes d’effervescence sociale ou de préparatifs guerriers où elle dévoile sa nature contre-révolutionnaire et belliciste, comme lors du mouvement des Gilets jaunes, de la contestation contre la réforme des retraites, et, plus récemment, lors de la révolte des jeunes des quartiers populaires à la suite de l’assassinat de Nahel, tué à bout portant par un policier. Sans oublier, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, son soutien indéfectible apporté régime nazi de Zelensky et aux forces de l’OTAN.
Au cours de la contestation contre la réforme des retraites, aucun intellectuel d’envergure n’a soutenu ouvertement et fermement le mouvement. Aucun n’a été capable d’emboîter le pas à Pierre Bourdieu qui, en décembre 1995, était monté au créneau pour soutenir le mouvement social engagé contre le plan de réforme des retraites de Juppé. « Face à l’offensive déclenchée par le gouvernement, nous estimons qu’il est de notre responsabilité d’affirmer publiquement notre pleine solidarité avec celles et ceux qui, depuis plusieurs semaines, sont entrés en lutte ou s’apprêtent à le faire. Nous nous reconnaissons pleinement dans ce mouvement ». « Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d’une civilisation », avait-il déclaré. Quelques jours plus tard, ce fut au tour d’une poignée d’intellectuels de gauche de signer une pétition « Appel de solidarité avec les grévistes », diffusée notamment par le journal L’Humanité. Parmi les signataires figuraient Annie Ernaux, Etienne Balibar, Daniel Bensaïd, Luc Boltanski, Antoinette Fouque, Pierre Vidal-Naquet, Roland Castro et Régis Debray.
Ce fut la dernière fois où quelques rares intellectuels s’engagèrent individuellement dans un combat en faveur du prolétariat, du peuple.
Autrement, historiquement, les intellectuels organiques, ces parasites à la plume élitiste vénale ou à la voix audiovisuelle cupide, n’ont d’autre utilité sociale que de tresser des lauriers à leurs maîtres (les classes dirigeantes) et de se dresser avec hargne contre les classes populaires.
Au reste, au plan de la lutte de classe, jusqu’au mitan du XXe siècle, en France comme dans l’ensemble des pays occidentaux embourgeoisés, les liens entre les intellectuels et le marxisme (arme du prolétariat), est demeuré extrêmement ténu. Contrairement à la Russie où les intellectuels se sont appropriés le marxisme du vivant du Marx. Autrement dit, les russes se sont alimentés aux sources de l’authentique marxisme dès sa naissance. En revanche, les intellectuels occidentaux en général, français en particulier, se sont convertis, au sens religieux du terme, au « marxisme édulcoré » et coloré à la culture nationale à l’époque du triomphe de la social-démocratie (SFIO), puis du stalinisme (PCF), maoïsme, ces succédanés du marxisme orthodoxe.
Aussi, les principaux représentants du marxisme en France ont toujours été liés à la social-démocratie et au PCF, tous deux réputés pour leur légalisme et pacifisme, leur idéologie nationaliste (socialisme dans un seul pays). Curieusement, les intellectuels français embrassent la nouvelle religion séculaire (cellulaire), cet « opium des intellectuels », le marxisme dogmatique, une fois seulement que le fossoyeur de la révolution bolchevique, le séminariste Staline, instaure le socialisme dans un seul pays, antithèse du marxisme, par essence internationaliste. De là s’explique leur attachement sentimental à la Révolution française, œuvre de la bourgeoisie, avec laquelle ils ont toujours partagé les mêmes idéaux : la défense de la République, de la laïcité, du légalisme, de l’électoralisme, du nationalisme, de la patrie, de l’armée, des forces de l’ordre, de la répression (tous les membres des partis de la SFIO et du PCF ont cautionné le massacre de masse des Algériens commis le 8 mai 1945, sans oublier la guerre d’extermination menée par la France coloniale entre 1954 et 1962, où 1,5 millions d’Algériens ont été massacrés pour s’être soulevés pour obtenir leur obtenir leur indépendance).
Comme l’écrit un historien anglais, David Caute : « L’intellectuel français, en acceptant en gros la IIIe et la IVe Républiques, a dû le faire malgré Versailles, la politique intérieure du Bloc national, le Maroc, la Syrie, l’Indochine, le régime de Chiappe, le chômage, la corruption parlementaire, l’abandon de l’Espagne républicaine, Munich, le maccarthysme, Suez, l’Algérie ». L’intellectuel français bourgeois est un indécrottable versaillais et colonialiste. Il méprise le peuple (le prolétariat gaulois), qu’il écraserait sans vergogne s’il venait à se soulever. Et il exècre les étrangers, qu’il coloniserait sans scrupule pour prouver et éprouver sa suprématie raciale et sa supériorité civilisationnelle.
De nos jours, à l’ère de la domination totalitaire du capital, l’intelligentsia bourgeoise, c’est-à-dire les gardiens de l’ordre social (journalistes, éditorialistes, experts médiatiques, écrivains, etc.), a pour fonction de magnifier les bienfaits de la société libérale, de l’argent, de la démocratie financière, du consensualisme, du conformisme, du légalisme, en un mot du capitalisme. De légitimer, à l’instar des anciennes castes aristocratiques religieuses, rabbiniques, chrétiennes et musulmanes, l’inégalité sociale, la monopolisation du pouvoir par la classe dominante. Comme l’écrit Paul Nizan dans son livre : «Les chiens de garde» : « La bourgeoisie devine que son pouvoir matériel exige le soutien d’un pouvoir d’opinion. Ne subsistant en effet que par le consentement général, elle doit inlassablement donner à ceux qu’elle domine des raisons valides d’accepter son établissement, son règne et sa durée. Elle doit faire la preuve que son confort et sa domination et ses maisons et ses dividendes sont le juste salaire que la société humaine lui consent en échange des services qu’elle rend. Le bourgeois mérite d’être tout ce qu’il est, de faire tout ce qu’il fait, parce qu’il entraîne l’Humanité vers son plus haut, son plus noble destin ».
En France, avec la révolte du mouvement des Gilets jaunes, les médias et les intellectuels organiques, ces voix de leurs maîtres, dévoilèrent, avec des aboiements rhétoriques emphatiques, dans un lexique mordant pour le peuple et léché pour les puissants, leur rôle de Chien de garde de l’ordre établi. Leur aversion invétérée du peuple prolétaire. Leur propension pavlovienne à s’enrôler au service de la classe dominante, du gouvernement Macron.
Durant toute la période de la lutte des Gilets jaunes, journalistes et intellectuels, ces clercs des temps modernes, communièrent dans la même ferveur de la surenchère de propagande haineuse contre le mouvement, rivalisant d’ingéniosité pour le dénaturer, le discréditer et le diffamer. Pour distiller contre le mouvement les pires calomnies.
À l’époque, outre les journalistes qui ne ménagèrent pas leurs efforts courtisanesques pour rédiger des articles incendiaires contre les Gilets jaunes, le multimillionnaire Bernard-Henry Levy prit également l’initiative de publier une tribune au titre évocateur « L’Europe est en péril ». En termes moins hypocrites, le capitalisme est en péril. En défenseur invétéré du capital, dans ce texte, ce plumitif de salon s’alarmait de l’émergence des « populismes », autrement dit des mouvements sociaux en lutte en Europe, notamment le mouvement des Gilets jaunes, dédaigneusement catalogué de raciste, d’antisémite et d’homophobe (épouvantails fréquemment brandis pour discréditer et disqualifier tout mouvement de lutte spontané et incontrôlable).
Dans sa croisade contre les mouvements populaires « antisystème », le richissime sioniste Bernard Henry Levy débaucha une trentaine d’écrivains décérébrés célèbres pour mener son opération de propagande et de calomnie contre les peuples révoltés. Conduits par ce calamiteux philosophe à la pensée polémologique ruisselant de sang vampirique et à l’activité nourrie d’affairements belliqueux macabres sur fond de fructueuses spéculations financières, ces tirailleurs de la littérature, fidèles soldats idéologiques du capital, appelèrent à se mobiliser contre la « vague populiste qui menace l’Europe ». Autrement dit, qui menace la stabilité des privilégiés de l’Europe, le règne des classes possédantes.
Globalement, face aux Gilets jaunes, les porte-paroles de la bourgeoisie, c’est-à-dire l’élite intellectuelle, se rassemblèrent uniment dans un front commun pour les fustiger, les qualifier de racistes, de fascistes, d’homophobes, de factieux. Mais aussi d’idiots.
« Gilets jaunes : la bêtise va-t-elle gagner ? », se demandait Sébastien Le Fol dans Le Point (10 janvier 2019). Un autre intellectuel domestiqué, journaliste de son État, avait déclaré sur la chaîne du pouvoir BFM TV, « Les vrais « gilets jaunes” se battent sans réfléchir, sans penser ». Son confrère « de laisse » du Figaro, Vincent Trémolet, en chien de garde du système, avait écrit le 4 décembre 2018 : « Les bas instincts s’imposent au mépris de la civilité la plus élémentaire ». Voici quelques autres perles journalistes vomies par ces plumitifs de service dans leurs périodiques respectifs mais sûrement pas respectables : « Mouvement de beaufs poujadistes et factieux » (Jean Quatremer), « dirigé par une « minorité haineuse » (Denis Olivennes), s’apparentant à un « déferlement de rage et de haine » (Le Monde) dans lequel des « hordes de minus, de pillards » « rongés par leurs ressentiments comme par des puces » (Franz-Olivier Giesbert) libèrent leurs « pulsions malsaines » (Hervé Gattegno).
Ce sont ces mêmes journaleux qui, hier fustigeaient les Gilets jaunes, qualifiés de racistes et d’antisémites, aujourd’hui soutiennent les milices ukrainiennes otaniennes, issues du régiment néonazi Azov, régiment auréolé de toutes les vertus par toutes les élites occidentales décadentes belliqueuses. Les intellectuels apportent toujours leur soutien aux Massacreurs. Aux entreprises génocidaires commises par leurs amis les gouvernants (otaniens).

Khider Mesloub
A suivre …