Et son expansion dans le temps et l’espace

Naissance de l’écriture

Si l’écriture a été inventée, c’est pour immortaliser ce que les hommes de culture ont dit, au fil du temps et pour pérenniser les dossiers et documents importants.

«Les paroles s’en vont, les écrits restent », dit-on depuis la nuit des temps pour montrer l’importance de l’écriture par rapport à l’oralité. La première écriture au monde est née en Mésopotamie, territoires située entre les deux rivières : Le Tigre et l’Euphrate, pendant la civilisation Sumérienne, l’une des civilisations les plus florissantes qu’ait connue l’humanité. Pour certains, l’écriture a été inventée pour les besoins des agriculteurs en comptabilité et pour d’autres, c’est un phénomène urbain pour assurer le développement des relations urbaines, pour les besoins pratiques liés à la comptabilité, à la fabrication des biens de consommation, la rédaction des contrats, à rendre quelques différenciations sociales plus accentuées, à sauvegarder des domaines importants de littérature orale. Plus tard, l’écriture s’inscrit dans l’histoire des peuples et de leurs relations sur différents plans comme la religion. L’écriture a été aussi pendant longtemps un facteur de différenciations sociales, mais au fur et à mesure de l’évolution des mentalités, on a assisté à un certain rapprochement.
A ses débuts, l’écriture pour une société ou une classe sociale par rapport à d’autres, celle qui avait une écriture était considérée comme supérieure. J. J. Rousseau qui avait fait des études approfondies sur l’origine des langues et de l’écriture, considérait qu’il y avait trois manières d’écrire : «Peindre avec les idées (glyphes aztèques)», «représenter les mots et les propositions par des caractères conventionnels» (écriture chinoises) et analyser la parole en alphabet et il explique : «Ces trois manières d’écrire correspondent à l’état dans le quel se trouvent les hommes dans leur groupe social. La peinture des objets convient aux peuples sauvages ; les signes des mots et des propositions aux peuples primitifs ; l’alphabet aux peuples civilisés. Mais soyons objectifs vis-à-vis des hommes qui ont eu à gérer la lourde charge de faire passer les sociétés de l’oralité à l’écriture, compte tenu du fait que les langues africaine : bambara, peul, songhaï, tamasheq ont bénéficié, au lendemain des indépendances, d’un système d’écriture mais dans un rapport d’infériorité par rapport au français, langue du colonisateur.

Au lendemain des indépendances en Afrique
On a relancé l’écriture par le biais de l’alphabétisation décidée par les responsables régionaux pour généraliser l’apprentissage de la lecture des sons par l’association des lettres. Des analphabètes de tous âges s’y sont mis et avec beaucoup de volonté d’apprendre. On avait réquisitionné les écoles dont les élèves scolarisés étaient en vacances. La soif d’assimiler quelque chose était tel que la discipline s’installait d’elle-même ; pourtant les enseignants n’étaient que des étudiants ou des fonctionnaires volontaires, mais qui croyaient à la noblesse de la tâche. C’est à l’heure fixée qu’on se rendait compte du sérieux de ces élèves, des femmes et des hommes jeunes ou d’un âge avancé attendaient impatiemment l’heure de rentrer en classe. Des jeunes et des moins jeunes qui avaient pris conscience de l’importance de l’écriture comme facteur de promotion et d’émancipation. Il fallait apprendre vite et bien, en un temps record, bien ce fût impossible, mais ils auront eu le mérite d’avoir essayé. Apprendre à écrire dans une langue est une œuvre de longue haleine, l’acquisition de l’alphabet et tout le système phonétique est une étape importante ; mais les formes verbales, le système grammatical et lexical ne peuvent être assimilés que selon un long processus et conditions pédagogiques appropriées. Mais tenir son pari jusqu’au stade de la lecture courante, au bout de quelques mois, est déjà appréciable pour quelqu’un qui ne savait rien et pas même l’alphabet.

Un facteur de différenciation sociale et de promotion
C’en est un effectivement et un grand. En effet arriver à savoir lire couramment en quelques mois, alors qu’auparavant on ne savait rien, est un miracle. Cela permet à cette catégorie qui a appris de bien se distinguer de ceux qui n’ont fait aucun effort pour sortir de l’état d’analphabétisme. Désormais, ils font partie d’une classe supérieure, celle qui arrive à lire un mode d’emploi ou les pancartes importantes dans une unité industrielle. Savoir lire et parler dans une langue est un atout important pour un individu ou une classe sociale, cela est perçu par tous comme une promotion. Quant à ceux qui restent dans leur illettrisme, ils sont généralement les plus malheureux et ils ont ce qu’ils méritent. Mais ce n’est pas toujours vrai, on a vu arriver, de notre temps, en voitures grand luxe, devant les écrivains publics, des hommes et des femmes tirés à quatre épingles, pour demander qu’on leur remplisse un chèque ou une formule de mandat ou de colis. On n’en revient pas tant cela s’est passé il y a de cela quelques jours.

Savoir lire et écrire pour sauvegarder des domaines culturels importants
C’est important dans la mesure où la culture, c’est l’identité d’un peuple. Perdre son patrimoine culturel, c’est perdre son identité ; et perdre son identité, c’est perdre ses repères. Aussi, comme l’ont fait les pionniers en sauvant de l’oubli, par l’écriture, des pans entiers de la culture orale, chaque génération a pour devoir de prendre part au travail de récupération d’un patrimoine menacé de disparition. On va remonter dans le temps pour trouver des noms d’auteurs analphabètes, d’une intelligence exceptionnelle et extrêmement féconds sur le plan de la réflexion et de l’imagination. Il s’agit de Socrate, philosophe d’expression orale ; il ne savait pas écrire ou peut-être, le grec de son temps n’avait pas d’alphabet pour sa transcription. Mais un philosophe de l’envergure de Socrate ; jamais on ne l’aurait imaginé. Et c’est Platon, son élève qui s’en est occupé. Et il y a d’autres comme Socrate, c’est-à-dire du 5e ou 6e siècle avant l’ère chrétienne. Nous citons Homère de qui nous avons appris tout sur l’Iliade et l’Odyssée, texte merveilleux pour qui veut acquérir une bonne culture, il s’adresse surtout aux jeunes pour avoir les bases d’une culture solide.
Et les dramaturges de la même période anciennes de la taille d’Euripide, d’Eschyle, De Sophocle, auteurs de plusieurs centaines de pièces théâtrales orales d’une beauté exceptionnelle et d’un immense profit pour le public, des pièces perdues pour la plupart alors qu’elles ont été jouées dans des théâtres en plein air. Heureusement qu’avec l’écriture inventée dans les siècles qui ont suivi, quelques-unes de ces pièces ont été sauvées de l’oubli. Et que dire des nôtres, la plupart des hommes de plume ont consacré une partie de leur vie à reconstituer des évènements anciens d’une grande importance pour les générations futures et les actes héroïques de certains hommes de guerre qui ont honoré notre histoire. Nous connaissons, de Boualem Bessaih les actes glorieux de Bouamama que les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas. Vous connaissez sans doute les ouvrages de Abdelkader Djeghloul, portant sur l’histoire culturelle algérienne et dans lesquels il traite d’un nombre important d’auteurs anciens d’expression orale. Abdelkader à la plume facile a traité des thèmes de notre histoire comme : culture et résistance, de poètes engagés dans les mouvements patriotiques du 19e siècle, quelques aspects de la culture populaire, la naissance du théâtre en Algérie, les nouvelles formes d’expression culturelle.
Et que dire de Fathma N’Soumer, alors inconnue et exhumée grâce à l’écriture d’ouvrages des hommes de culture qui ont su mener des investigations qui les ont menés à la vérité. Nous croyons qu’ils ont suivi à la lettre le principe d’Ibn Khaldoun selon lequel en histoire, pour découvrir la vérité, il faut puiser à plusieurs sources. Les grands écrivains comme Mouloud Mammeri a interrogé les grands maîtres anciens pour bien connaître des périodes importantes de notre histoire. Il a beaucoup appris sur le 19e siècle par le biais de Si Mohand, homme d’une grande piété qui a été aussi justicier au cours de la période coloniale où les gens ne voulaient pas recourir à une justice des colonisateurs. Mouloud Mammeri lui a consacré un livre «Si Mohand a dit» où il a rapporté tout sur la vie active de l’homme réputé pour n’avoir fait que du bien. Le même auteur a eu à reconstituer la totalité des œuvres poétiques d’un autre grand de la littérature orale, Si Moh ou M’hand, travail de longue haleine mené à son terme.
Boumediene Abed