Quand l’Algérie doit lâcher du lest pour prendre son envol

Surenchère

Qu’est-ce qui crée la surenchère des produits alimentaires ? D’aucuns tendraient à accréditer l’idée qu’il s’agirait des effets d’une politique publique trop rigoureusement attachée à ses réflexes bureaucratiques, et que de ses blocages naîtraient des situations qui favoriseraient une tension sur des produits raréfiés par les lenteurs administratives.

Force est de constater qu’en termes de surenchère, celle-ci a touché, étrangement, des produits qui ne se vendent pas particulièrement en été, les Algériens n’étant pas habituellement férus de lentilles, de haricots ou de poix-chiches durant la belle saison, ces denrées énergétiques étant surtout demandées en hiver. Cela est d’autant vrai, que cette pause constitue un moment de répit salutaire pour ceux qui en consomment en hiver, le système digestif ne pouvant s’accommoder, sans en souffrir, de consommation permanente de ce genre d’aliments.
La disette n’est pas installée, loin s’en faut. On voudrait juste accréditer l’idée que la prise en charge de ces produits par des acteurs identifiés et fiables n’a pas produit l’effet escompté, et que ces choix de gestion n’étaient pas judicieux, suggérant un retour à l’ère des importations ouvertes et des surfacturations.
C’est un jeu formidable d’équilibriste qu’exécute le président de la République en essayant de ménager le citoyen consommateur, les deniers de l’Etat et l’économie et ses acteurs, en installant des mécanismes de veille, de contrôle, d’évaluation et de sanction, loin de l’appareil judiciaire, donnant leur chance à tous les acteurs pour s’amender, et pour abandonner les réflexes anciens de prédation.
C’est d’autant plus vrai dans le contexte actuel où ces choix de gestion politique portent leurs fruits, favorisant un processus inédit de diminution des importations, et un processus, tout aussi inédit, d’évolution de la part des exportations. Les premiers résultats des dernières années, sont la preuve qu’il faut poursuivre dans cette voie, même si en même temps, quelques pans du secteur privé semblent s’en ressentir, car les transitions ont toujours un coût, frappant de plein fouet les entreprises qui ont trouvé dans les importations une source de croissance et de vitalité économique.
De la même manière qu’il y a de nombreux opérateurs étrangers, y compris des multinationales, qui cherchent à produire en Algérie en constatant qu’ils n’ont plus aucune chance de maintenir des relations d’exportateur à importateurs, les opérateurs privés locaux que nourrissait cette même manne doivent penser à leur reconversion vers des créneaux productifs, créateurs de richesse et d’emploi.
A ce dernier titre, ces choix de mode économique qui ont structuré la prospérité des acteurs privés, n’ont pas favorisé, durant les trois dernières décennies une création pérenne d’emplois, ni permis de sédentariser les dizaines de milliers de cadres algériens qui optent pour l’exil vers les pays occidentaux où ils sont prêts à l’emploi après avoir été formés par l’Algérie à coups de milliards de dollars.
Au lieu d’entreprises connectées aux tuyaux de la rente et structurée pour la siphonner, l’Algérie a besoin d’entreprises citoyennes qui payent leurs impôts en toute transparence, qui déclarent leurs employés et qui contribuent à la sédentarisation des jeunes cadres algériens dans leur pays pour qu’ils lui donnent le meilleur d’eux-mêmes au lieu de le faire au service de pays tiers.
Les pouvoirs publics, par le moyen d’une gestion politique et non judiciaire des contentieux commerciaux et autres, grâce à un comité qui détient un pouvoir panoptique et qui, à être aussi diversifié par ses acteurs, ne peut être soupçonné d’impartialité, ménagent la chèvre et le chou et laissent sa chance au loup pour qu’il change de peau et rejoigne le berger pour préserver les intérêts de tous.
Ces intérêts dits de tous se retrouvent dans la diminution des importations, le développement des exportations, la préservation de la cohésion sociale en veillant à amortir le choc matériel des transitions sur les catégories les plus fragiles de la société, l’accompagnement des entreprises économiques qui vont dans le sens de cette politique d’émancipation, le développement du recouvrement de la fiscalité ordinaire et, aussi, le maintien de la lutte rigoureuse contre toutes les formes de prédation qui ont longtemps saigné l’Algérie.
La prospérité partagée est un concept de justice sociale qui ne peut être permanisé par les subventions alimentaires ou autres, car il ne peut se pérenniser pas les capacités financières de la rente en hydrocarbures, et cela même si cette dernière est une bénédiction qui sustente notre souveraineté. La prospérité vient de la prise de responsabilité citoyenne de chacun, y compris de l’entreprise et des citoyens, chacun y prenant la place et le rôle qui est le leur, fonctionnant comme des propulseurs ou des flotteurs qui contribuent à renflouer le corps social et la machine économique. Quand ils deviennent des fardeaux, des lests qui surchargent le corps social, les instances de l’Etat, en charge du sauvetage et de la préservation de ce corps social, prennent leur responsabilité en se délestant des surcharges.
Ahmed Rehani