Les évolutions erratiques de l’économie pétrolière de 1971 à octobre 2023 et les 9 déterminants du cours des hydrocarbures

Impacts des tensions au Moyen-Orient

L’histoire de l’économie pétrolière montre que les deux facteurs déterminants du cours des hydrocarbures sont les fluctuations de la croissance de l’économie mondiale et les facteurs géostratégiques comme récemment les tensions au Moyen-Orient.

C’est que les gisements très inégalement répartis, environ 60% sont localisés au Moyen-Orient, représentant avec respectivement : l’Arabie saoudite 266,57 milliards de barils, l’Iran 157,53, l’Irak 143,09, le Koweït 101, 50 et les Emiraties 97,80 milliards de barils. Selon les données internationales, toute déstabilisation de cette région aurait donc des impacts négatifs, outre sur la nouvelle reconfiguration géostratégique, sur toute l’économie mondiale.

1.- L’évolution du prix du pétrole de 1971 à octobre 2023
L’histoire pétrolière mondiale, de 1971 à 2023 montrent d’importantes fluctuations avec de pics variant de 25 à 100%. Ainsi 1971, nous avons un cours bas, puis hausse en 1973, 1978 cours bas et hausse en 1980, une relative stabilisation entre 19901997, 2001 cours en hausse et 2005 cours bas, 2008 cours haut et 2009 cours bas, 2015 cours haut et 2020 cours bas et depuis 2022 un cours en hausse. De 1860 à 1940, les prix du baril ont oscillé selon les évènements mondiaux, grimpant pendant la première guerre mondiale, baissant pendant la crise de 1929. Entre 1948 et 1970, ils sont restés relativement stables et bas, avant d’entrer dans une série de crises, appelées « chocs pétroliers ». Le premier choc pétrolier a débuté en 1971 avec l’abandon du système financier international issu des accords de Bretton Woods où le président Nixon avait décret l’inconvertibilité du dollar vis-à-vis de l’or, accentué lors de la guerre du Kippour lors que les Etats producteurs, notamment de l’OPEP avaient décrété un embargo contre les pays soutenant Israël. Cette hausse a été accentuée avec la révolution iranienne en 1978, puis la guerre Iran Irak en 1980 ayant provoqué le second choc pétrolier. Le troisième choc pétrolier se situe en 2003, poussé par la demande croissante des nouvelles économies (Chine, Inde, Brésil…) et s’est brutalement accéléré au premier semestre 2008 au moment de la crise économique mondiale, où le cours du Brent est passé de 96 dollars le 2 janvier 2008 à 144 dollars le 3 juillet 2008. À partir de 2009, les pays producteurs ayant réduit leur production pour maintenir leur niveau de revenus, le baril est progressivement remonté à 80 dollars. En 2010, la reprise économique s’est accompagnée de la plus forte croissance ayant contribué à relancer le prix à la hausse et entre janvier/ février 2011, avec les révolutions dans le Monde arabe, les marchés craignant des répercussions en termes de capacités de production, le prix du Brent a atteint un nouveau pic le 13 mars 2012, à 128 dollars, puis à un niveau supérieur à 100 dollars en 2013. À l’été 2014, les cours s’effondrent, en dessous de la barre des 50 dollars, la cause principale en étant un excès d’offre, alimenté par la production de pétrole de schiste aux États-Unis, et cela même si la consommation mondiale continue de croître. En 2016, les cours remontent à 50 dollars le Brent du fait des actions de deux grands producteurs, la Russie et l’Arabie Saoudite. Avec la pandémie du virus Covid-19 le prix du Brent est tombé d’un niveau de 50 dollars à moins de 20 dollars avant de remonter en juin 2020, à 40-45 dollars. La demande de pétrole augmente vigoureusement en 2021, en raison de la levée progressive des restrictions de déplacement et de la forte reprise économique mondiale. Tirant les prix du pétrole à la hausse, à 71 $ en moyenne en 2021, contre 42 $ en 2020. Avec la guerre en Ukraine, en 2022, les cours du pétrole ont repris leur hausse le WTI américain dépassant les 115 dollars le baril, et le Brent frôlant 120 dollars, dopés par les incertitudes sur l’approvisionnement en or noir notamment de la Russie. Depuis début octobre 2023 les marchés redoutant une escalade de la situation géopolitique au Moyen-Orient, les deux références mondiales de l’or noir, le baril de Brent de la mer du Nord et le West Texas Intermediate américain ont été coté le 20/21 octobre 2023 respectivement à 93,23 dollars ( 88/09 euros ) et 89,25 dollars ( 84,33 euros ) et les prix du gaz ont bondi, après l’annonce de la fermeture d’un champ gazier en Israël, le marché de gros pour l’année 2024, étant coté le 17 octobre 2023 à 53,205 euros le mégawattheure, en hausse de 30% par rapport à la période du 06 juin 2023. Le pétrole ayant connu le 20 octobre 2023 avec un léger repli suite aux annonces de la levée des sanctions des USA contre le Venezuela premier réservoir de pétrole au monde avec 299,95 milliards de barils ( un pétrole lourd) rentre dans le cadre d’une stabilisation de prix ; mais la hausse de production de ce pays ne peut se faire pas avant deux à trois années ayant connu un désinvestissement important avec de surcroit un cout important d’extraction.

2.-Les neuf facteurs interdépendants déterminants le cours du pétrole
Premièrement, les facteurs géostratégiques souvent imprévisibles comme cela est le cas actuellement en octobre 2023 au Moyen-Orient.

Deuxièmement, la croissance de l’économie mondiale. Les trois piliers qui tirent actuellement la croissance de l’économie mondiale sont la Chine, les USA et l’ Europe qui représentent plus de 60% du PIB mondial. Selon la Banque mondiale, la croissance mondiale devrait tomber à 2,1% en 2023. Entre 2023/2024, le durcissement des conditions financières mondiales notamment avec le relèvement des taux d’intérêt de la FED et de la BCE pour lutter contre l’inflation et la demande extérieure pèseront sur le niveau du cours du pétrole et du gaz naturel. La croissance économique des Etats-Unis pour 2023 est prévue à 1,1% tandis que la croissance chinoise devrait atteindre 5,6% Dans la zone euro, la croissance devrait tomber de 3,5 % en 2022 à 0,4 % en 2023, en raison de l’effet du durcissement de la politique monétaire et de l’augmentation des prix de l’énergie.

Troisièmement, la hausse des prix s’explique également par le fait que selon l’Agence internationale de l’Énergie, l’OPEP représente 34% de la production mondiale et l’OPEP+ compte pour environ 51% de la production mondiale de pétrole et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et l’OPEP ont revu à la hausse ses prévisions de croissance de la demande mondiale de pétrole en 2023 qui s’achemine vers 102,2 millions de barils en 2023 contre 99,57 mb/j en 2022.A cela s’ajoute les actions de l’OPEP+ où, la production de pétrole des 13 membres l’OPEP a diminué de 836.000 barils sur un mois pour atteindre une moyenne de 27,31 millions de barils par jour et surtout l’annonce des coupes dans les productions et exportations russes et saoudiennes dont les capacités pour chacun de ces deux pays dépassent 10/11 millions de barils par jour. En effet, la Russie et l’Arabie saoudite ont continué de réduire leur production de pétrole jusqu’à la fin de 2023, l’Arabie saoudite de 1 million de barils par jour (bpj) pour la période d’octobre à décembre 2023, la production du royaume pour les mois d’octobre, de novembre et de décembre 2023 sera d’environ neuf millions de bpj selon son ministère de l’Énergie et la Russie a annoncé sa décision de maintenir la réduction de ses exportations de pétrole de 300 000 barils par jour jusqu’à la fin de l’année 2023.

Quatrièmement, les compagnies américaines qui sont devenues le premier exportateur de GNL en Europe entre 2022/ 2023, ont largement profité de cette hausse des prix, les USA étant un des plus grand producteur mondial grâce au pétrole et gaz de schiste. Ainsi, du côté de l’offre, nous assistons à une hausse plus rapide que prévu de la production de pétrole (non conventionnel) qui a bouleversé toute la carte énergétique mondiale, étant passé de 5 millions de barils/jour de pétrole à plus de 11 millions de barils jour. Les Etats-Unis, importateur par le passé, sont devenus le plus grand producteur de pétrole brut devant l’Arabie saoudite et la Russie. Selon The Telegraph, les Etats-Unis devraient pénétrer fortement le marché mondial avec des quantités sans précédent de (GNL) 30 projets sont en cours de réalisation, pesant ainsi sur le marché mondial du GNL.

Cinquièmement, en plus du conflit actuel au Moyen-Orient, l’on doit tenir compte du conflit en Ukraine qui a bouleversé toute la carte énergétique avec la décision du G7 plus l’Australie de plafonner prix du pétrole par voie maritime à 60 dollars le baril et les dérivées à compter de février 2023, ainsi que la décision de la commission européenne de plafonner le prix du gaz à 180 dollars le mégawattheure. Avant le conflit en Ukraine, à travers le North Stream (abandonné) et le South Stream la capacité était de plus de 125 milliards de mètres cubes gazeux pour approvisionner l’Europe, plus de 45% avant les tensions et depuis ces canalisations fonctionnent en sous capacités avec l’annulation du North Stream 2, la demande européenne a fortement baissé en 2022, plus de 46%, expliquant d’ailleurs les tensions énergétiques en Europe, la Russie se tournent actuellement vers l’Asie dont la Chine et l’Inde à des prix préférentiels avec de nouvelles canalisations dont le projet canalisation Sibérie Chine (notre interview au quotidien El-Khabar 19/10/2023).
Sixièmement, il faut prévoir le retour à terme, sur le marché de la Libye, sous réserve d’une stabilisation politique, des réserves de 42 milliards de barils de pétrole et plus de 1500 milliards de mètres cubes gazeux, pour une population ne dépassant pas 6,5 millions d’habitants, pouvant facilement produire plus de 2 millions de barils/jour; l’Irak, pouvant aller vers plus de 7 millions/jour et l’Iran, s’il y a accord sur le nucléaire ayant des réserves de 160 milliards de barils de pétrole lui permettant d’exporter entre 4/5 millions de barils jour, et possédant le deuxième réservoir de gaz traditionnel mondial, plus de 35.000 milliards de mètres cubes gazeux, derrière la Russie 45.000 et avant le Qatar 20.000.

Septièmement, les nouvelles découvertes dans le monde en offshore en Méditerranée orientale (20 000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région, et en Afrique dont le Mozambique (plus de 4000 milliards de mètres cubes gazeux) qui pourrait être le troisième réservoir d’or noir en Afrique.

Huitièmement, l’évolution des cotations du dollar et l’euro, toute hausse ou baisse du dollar, pouvant entraîner un écart de 10/15% et les stocks américains et les stocks chinois ont un impact sur la volatilité des cours .

Neuvièmement, facteur déterminant entre 2025/2030/2040, politiques de la transition énergétique seront déterminantes pour un nouveau modèle de consommation énergétique mondial axé sur les énergies renouvelables et l’hydrogène vert. D’ici à 2025/ 2030/2035, les investissements prévus dans le cadre de la transition énergétique USA/ Chine/Europe/Inde dont les énergies renouvelables, l’hydrogène vert, devraient dépasser les 4000 milliards de dollars par an. Bon nombre de compagnies réorientent déjà leurs investissements dans ces segments rentables à terme, les industries moins polluantes.

En conclusion, toutes représailles contre l’Iran, outre l’embrasement de toute la région, sur le plan politique, sur le plan économique, aurait un impact sur le cours des hydrocarbures, l’Iran étant le 3e réservoir mondial en pétrole, le deuxième réservoir mondial de gaz naturel 35.000 milliards de mètres cubes gazeux après la Russie 45.000 et suivi du Qatar 20.000 ), l’Iran contrôlant le détroit d’Ormuz où transitent 17 millions de barils par jour accentuerait la hausse des prix.
D’une manière générale, en raison tant d’évènements géostratégiques souvent imprévisibles que des nouvelles mutations énergétiques mondiaux, le cours du pétrole entre 2025/2030/2040, dépendra des de rapports de force entre les lobbys pétroliers et une grande fraction de la société civile mondiale et de gouvernants attentifs aux impacts négatifs du réchauffement climatique auquel l’humanité sera confronté, car si les Chinois, les Indiens et les Africains avaient le même modèle de consommation énergétique que l’Europe/USA, il faudrait cinq fois la planète, d’où l’urgence d’une transition énergétique maîtrisée
Professeur des Universités
Expert international
Abderrahmane Mebtoul