Le mandat britannique et la déclaration Balfour

Les péchés originels du conflit israélo-palestinien

Il est impossible d’appréhender le conflit israélo-palestinien et de se faire une opinion objective sur les causes réelles et les solutions possibles à ce conflit sans remonter à ses origines historiques.

En effet, l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas contre Israël—qui a fait, selon certaines sources, 1 139 victimes et quelques 3 400 blessés—et la riposte musclée d’Israël contre Gaza—qui a fait, selon Anadolu Ajncy (Agence turque d’information), 22 835 morts et 58 416 blessés à la date du 8 janvier 2024, sans compter les destructions d’immeubles et d’infrastructures publiques—n’est qu’un épisode parmi tant d’autres dans l’histoire du conflit. L’attaque du Hamas et la riposte israélienne ne sont, malheureusement pas les premières ni les dernières. Plusieurs tentatives de résoudre le conflit avaient été essayées mais aucune n’a été capable de trouver une solution juste satisfaisant à la fois les Palestiniens et les Israéliens. La solution à deux Etats—un Etat Palestinien à côté d’un Etat Israélien—ne semble pas avoir eu l’assentiment des deux parties, en dépit de ce que pensent les grandes puissances. La solution à un Etat—un Etat palestinien où vivrait la minorité juive ou encore un Etat Israélien qui cohabiterait avec la majorité palestinienne—non plus ne paraît pas donner suffisamment d’assurance à chaque partie. Les solutions alternatives—comme celle d’un Etat fédéral « palestino-israélien » sous régime international—sont également refusées par les deux parties. L’objectif de cet article n’est pas de retracer les guerres réciproques récurrentes entre les deux communautés ni de rappeler toutes les tentatives de résolution du conflit israélo-palestinien depuis le début de la crise. Nous envisageons d’entreprendre ce travail dans un ou plusieurs autres articles. L’objectif du présent article est de remonter aux origines—aux péchés originels—de cette tragédie qui n’aura que trop duré et qui finira—si on n’y met pas fin d’une manière ou d’une autre—par enflammer toute la région et probablement le monde dans son ensemble. Remonter aux origines les plus anciennes (antiques) du conflit palestino-israélien demanderait aussi plus d’un article de journal. Cependant, pour pouvoir comprendre le fond du problème, il est nécessaire et suffisant de retracer les principaux facteurs qui ont contribué à l’émergence ou au développement de la crise. C’est pourquoi nous pensons que les étapes suivantes de l’histoire du conflit sont indispensables pour comprendre la situation actuelle et éventuellement penser à des solutions possibles du conflit. Nous verrons donc successivement : (a) la Palestine à l’époque Ottomane, (b) le mandat Britannique sur la Palestine, (c) la Déclaration Balfour de 1917, (d) le Plan de Partition de la Palestine de 1947, (e) Le Mouvement Sioniste et sa stratégie, et (f) la situation du conflit en 1945/46.

La Palestine à l’époque ottomane
En 1516, l’Empire Ottoman, après avoir vaincu les Mamluks, a conquis Bilad al Sham qui comprenait alors quatre régions—Syrie, Liban, Jordanie et Palestine—ainsi que certaines régions de Turquie. Ce fut le début de 401 années de règne Ottoman en Palestine. La Palestine était alors composée de trois Etats : Jérusalem, Gaza, Nablus, tous trois reliés à la province de Damas. Selon certaines sources, en 1600 la population de la Palestine comprenait 232 000 habitants de plusieurs confessions .
Le nom « Palestine » lui fut donné au 12e siècle av. J.-C par les Egyptiens antiques. Les Assyriens l’appelaient « Phalastu/Palastu/Pilistu » au 7e/8e siècles av. J.-C. Le nom « Palestine » apparut pour la première fois au 5e siècle av. J.-C lorsque l’historien de la Grèce Antique Hérodote parlait de « Palaistine », territoire situé entre l’Egypte et la Phénicie, comme un pays aux plusieurs confessions. Selon plusieurs sources, pendant la période Ottoman, les trois principales communautés religieuses composant la Palestine—Musulmans, Chrétiens et Juifs—vivaient en harmonie et en paix grâce au système dit du « Millet » dans lequel les autorités Ottomanes accordaient une certaine autonomie aux trois communautés pour gérer leurs affaires religieuses et civiles selon leurs propres us et coutumes tout en se conformant aux lois et règlements de l’Empire. Dans son roman « A Rift in Time : Travels with my Ottoman Uncle, publié chez Profile Books, 2010, Raja Shehadeh, un avocat Palestinien de Ramallah, écrivain et co-fondateur de l’Organisation Palestinienne des Droits de l’Homme, Al Haq, raconte que « La Palestine Ottomane accordait une grande importance à l’histoire et à l’identité Palestiniennes. C’était l’époque où les trois religions monothéistes coexistaient sans conflit » (voir Ayse Betul Aytekin, How Peace flourished in Ottoman Palestine : A Story of Coexistence, TRT World.com, October 2023). Parlant du système du « Millet », Kim Kemal Oke, professeur d’histoire et de relations internationales à Istambul Ticaret University, disait : « c’était le talisman [le porte bohneur] de l’harmonie sociale » (Ayse Betul Aytekin, op. cit). En effet, ce système valorisait chacune des communautés, leur accordait la possiblité de désigner leurs leaders religieux et de gérer leurs propres affaires, de pratiquer leurs propres langues, d’établir leurs propres tribunaux et de pratiquer leurs propres croyances. Ce système harmonieux et autonome est symbolisé par une inscription placée au-dessus du portail de Jaffa, dans la vieille ville de Jérusalem indiquant, en Arabe : « Il n’y a de Dieu qu’Allah et Ibrahim est son ami le plus proche ». Le portail lui-même, qui est l’un des sept portails de Jérusalem, porte le nom de « Bab el Khalil » (Porte de l’Ami). Dans un article non signé publié le 29 avril 1914, dans le Journal « Falastin », un des plus influents journaux, fondé en 1911 à Jaffa, il était écrit : « Jusqu’à il y a 10 ans de cela, les Juifs constituaient un élément natif et fraternel de l’époque Ottomane. Ils vivaient et se mélangeaient librement et en harmonie avec les autres éléments et s’engageaient dans des relations de travail, habitaient dans les mêmes zônes et envoyaient leurs enfants dans la même école » (Lorenzo Kamel, Framing the Palestine Partition Plan, The Cairo Review of Global Affairs, Winter 2022). L’universitaire et auteur Yaacov Yehoshua, un Rabbin Juif Polonais/Allemand, dans ses mémoires intitulés « Childhood in Old Jerusalem », publié en 1965, écrivait qu’à Jérusalem, « Il y avait des complexes de logements communs aux Juifs et aux Musulmans. Nous étions comme une seule famille […] Nos enfants jouaient avec les enfants des Musulmans dans la cour et si les enfants du quartier voisin nous faisaient du mal, les Musulmans qui vivaient dans notre complexe nous protégeaient. Ils étaient nos alliés » (Lorenzo Kamel, op. cit). Comparant la vie en Palestine à l’époque Ottomane avec la vie à l’ère du Mandat Britannique, Raja Shehadeh dira : « L’époque Ottomane n’est plus possible aujourd’hui, principalement en raison de la politisation de la religion, ce qui n’était pas le cas alors » (Raja Shehadeh, A Rift of Time, op. cit). La Commission royale pour la Palestine de 1936 (appelée Commission Peel), présidée par Lord Peel pour faire une enquête sur les raisons des révoltes ayant lieu pendant la période du Mandat Britannique, était d’accord pour dire que la période avant le Mandat était une période de coexistence pacifique entre les deux communautés : « Un partisan de la cause arabe nous a dit que les Arabes à travers leur histoire n’ont jamais eu un sentiment antisémite, mais ont montré que l’esprit de compromis est profondément
ancré dans leur vie. Il n’y a pas, selon ce partisan, de personne mentalement décente qui ne voudrait pas faire tout ce qui était humainement possible pour soulager des personnes en détresse… » (British Government, Palestine Royal Commission, Report cmd 5479 (1937), p. 395). Cette coexistence entre les communautés de différentes confessions ne signifie pas, cependant, que la paix régnait en Palestine et dans la région en général. Pour ne citer que quelques-uns des conflits vécus par la Palestine à l’époque, une des révoltes était celle dite « Naquib al Ashraf » au 18e siècle ayant pour cause la répression et les taxes pratiquées par l’Empire. Une autre révolte était celle de Zahir al Umar al-Zaydani, vers la fin du 18e siècle, qui a permis d’établir une autonomie relative en Galilée. Deux autres révoltes contre le système de taxation avaient eu lieu en 1825 et 1831, cette dernière ayant été conduite par Ibrahim Pasha, fils du sultan Egyptien Mohammed Ali Pasha. A ces révoltes internes, il faut ajouter celles venant de l’extérieur comme l’invasion en 1799 des régions côtières de Gaza, Jaffa, Haifa et Acre par Napoléon Bonaparte. Les années qui suivirent étaient aussi des années de turbulence provoquées par les rébellions égyptiennes et les factions palestiniennes locales contre les autorités Ottomanes avant qu’une alliance des empires Ottoman, britannique, russe et autrichien ait pu mettre l’armée égyptienne hors de nuire. En 1878, la Palestine avait été divisée en trois districts : le district de Jérusalem (gouverné directement par Istambul), le district de Nablus, et le district d’Acre (rattaché à la province de Beirut). A l’époque (1878), la population de la Palestine avait doublé .
Au même moment (en 1878), la première colonie sioniste avait été établie en Palestine et les premiers flux d’immigrants Juifs avaient commencé en 1882. Les millionnaires Juifs européens Baron Edmond de Rothschild et Baron Maurice de Hirsch avaient financé les premières colonies juives en Palestine. Suite à ces flux d’immigrants et à ces colonies, un sentiment nationaliste naissait dans la population palestinienne avec pour résultat les premières révoltes contre le système de colonies sionistes. Cependant, la première guerre mondiale de 1914 et l’occupation de la Palestine par les forces britanniques en 1917 avaient contrecarré ces premières « Intifadas ». Le Mandat Britannique et la Déclaration Balfour de 1917 avaient mis fin aux velléités d’indépendance de la Palestine d’un côté et encouragé la colonisation du territoire palestinien par les Sionistes, d’un autre côté, notamment grâce aux flux d’immigrants Juifs venant d’Europe. Voyons maintenant, successivement, les trois causes principales de l’imbroglio israélo-Palestinien.

Le mandat britannique en Palestine
Le mandat britannique en Palestine a été inspiré par un mémorandum adopté en Juin 1922 par Winston Churchill, alors Secrétaire Colonial. Le mémorandum, appelé aussi « White Paper on Palestine », avait été rédigé par Sir Herbert Samuel, alors Haut-Commissaire pour la Palestine, et avait pour but de mettre fin aux émeutes des Palestiniens qui réclamaient leur droit à la souveraineté sur leur territoire et l’arrêt de l’immigration juive vers la Palestine. Le mémorandum réaffirmait deux principes de base selon lesquels la présence des Juifs en Palestine était : (1) « a right and not a sufferance » (un droit et non une souffrance) et (2) « a historic connection » (une relation historique).

A suivre …