Quand la doctrine du pétrole algérien s’impose pour sauver la souveraineté nationale

Face aux convoitises de l’ancien colonisateur

Tout au long des années 60 du siècle passé, la politique pétrolière de la France était conçue en fonction d’une éventuelle nationalisation par l’Algérie des hydrocarbures. Les Accords d’Évian prévoient le maintien d’une importante colonie française en Algérie. C’est à travers cette communauté que l’influence de la France dans son ancienne colonie doit se perpétuer. Or, dès les premiers mois qui suivent l’indépendance, la grande majorité des Pieds-noirs quitte l’Algérie abondonnant leurs biens devenus vacants.

De surcroît, Ben Bella, sorti gagnant de la guerre civile de 1962, décide d’instaurer un système politique socialiste basé sur le programme de Tripoli. La France est alors confrontée à un changement rapide et inattendu de la situation sociale, politique et économique en Algérie. L’objectif principal de la France est de diversifier ses sources d’approvisionnement et d’atténuer sa dépendance vis-à-vis de l’Algérie. Les ressources en provenance du Sahara sont donc destinées à servir ce projet. En outre, les sociétés pétrolières françaises s’investissent le moins possible en Algérie à partir de la seconde moitié des années 1960. Finalement, l’Algérie use par évidence de sa doctrine pétrolière algérienne pour parer à une éventuelle convoitise des richesses du sous-sol algérien par la France, tout en préservant dans l’absolu sa souveraineté nationale.

L’événement de l’année 1965
L’année 1965 est marquée par plusieurs évènements importants qui ont une incidence directe sur les relations pétrolières franco-algériennes. Le coup d’État de juin 1965 annonce un redressement dans la politique algérienne. Si certains dirigeants de première importance sont maintenus au pouvoir et si les négociations pétrolières franco-algériennes ne sont pas affectées, le nouvel homme fort entend redresser l’économie nationale en faisant de l’industrialisation son objectif principal.
Parallèlement, la conclusion des Accords de juillet de 1965 provoque certaines critiques en France. Une partie de la presse française dénonce les concessions faites à l’Algérie et regrette que la France doive désormais acheter son pétrole algérien au prix fort, remettant en cause sa compétitivité sur le marché international. Également, la classe politique ne partage pas l’enthousiasme de l’exécutif. Ainsi, la ratification par le Sénat français de l’Accord de juillet 1965 n’est obtenue qu’après la troisième lecture. Sur la scène pétrolière internationale, l’année 1965 débute avec la signature du premier accord entre l’Opep et les Majors, annonçant la place de plus en plus importante que prendra à l’avenir ce cartel de pays producteurs. Si l’Algérie n’est pas encore membre de l’Opep, les actions de cette organisation, notamment dans le domaine de l’augmentation de la fiscalité et du prix du brut, auront une influence sur son industrie des hydrocarbures.
L’application des Accords d’Évian est plus difficile que prévu. La révolte des généraux français, la victoire des radicaux qui s’ensuit et le départ de la grande majorité des Européens affaiblissent la position de la France en Algérie.
Sur le plan économique, l’influence de la France s’amenuise graduellement. La nationalisation d’une bonne partie des entreprises françaises annonce la mise en place d’un régime socialiste qui entend faire de la lutte contre le néo-colonialisme une de ses priorités. Si dans un premier temps, les intérêts pétroliers français ne sont pas concernés par ce mouvement, dans un deuxième temps, les dirigeants algériens accentuent les attaques verbales contre ce qu’ils considèrent comme étant une émanation du passé colonial. L’administration française, qui prend acte des bouleversements socio-économiques en Algérie, envisage dès les premiers mois de l’année 1963 la nationalisation des hydrocarbures. Dès lors, la doctrine pétrolière de la France en Algérie s’articule autour de ce risque. La diversification pétrolière représente le moyen le plus sûr d’envisager l’avenir. Pour ce faire, une stratégie cautionnée par le général De Gaulle se met en place. Il s’agit de préserver le plus longtemps possible les acquis pétroliers des Accords d’Évian. Grâce à l’Accord de juillet 1965, la France obtient les garanties nécessaires pour parachever l’amortissement de ses
investissements au Sahara. Plus encore, la mise en place d’une politique de coopération pétrolière avec l’Algérie annonce la signature de nouveaux contrats pétroliers dans le monde influencés par l’Accord de juillet 1965. Ainsi, alors que de nouvelles négociations débutent avec l’Algérie en 1969, la France a déjà partiellement réussi sa politique de diversification. Ces pourparlers débutent dans un contexte bien différent de ceux de 1965, car la dépendance de la France envers les hydrocarbures sahariens s’est atténuée.

L’échec de la coopération pétrolière franco-algérienne
Le bilan de l’accord de juillet 1965 est globalement négatif. Dans presque tous les domaines, la coopération n’a engendré que des résultats somme toute limités. L’ASCOOP (Association Coopérative franco-algérienne), qui avait pour objectif d’introduire une relation pétrolière inédite, s’est heurté aux divergences de vues inconciliables entre les deux parties. De même, dans le domaine industriel, le fonctionnement de l’OCI pose un problème dès le départ. La structure paritaire de l’organisme a tendance à bloquer les projets les plus importants et révèle au grand jour les contradictions profondes qui existent entre les deux partenaires.
Finalement, si un accord sur le gaz est trouvé deux ans après la signature de l’Accord de juillet 1965, son application s’avère plus compliquée que prévu.

Banalisation de la coopération franco-algérienne
L’Accord de juillet 1965 visait à garder le monopole sur les anciennes concessions pétrolières. Jusqu’en 1969, les conditions financières d’exploitation de ces concessions sont très avantageuses. Parallèlement, la France s’engage à minima dans la politique de coopération puisqu’elle ne voit plus d’avenir dans le pétrole saharien. De ce fait, les autres partenaires étrangers s’impliquent davantage en Algérie. Grâce à ces nouveaux associés, la position de la Sonatrach se renforce et, par conséquent, les rapports de force franco-algériens évoluent. Les Accords de juillet 1965 permettent à la France de retarder l’échéance de la nationalisation et de diversifier ses approvisionnements pétroliers. En 1969, la France considère que la nationalisation de ses intérêts pétroliers est imminente.
Dès lors, elle développe une relation stratégique avec la Libye. Ce faisant, elle aborde les négociations qui débutent en novembre 1969 sans envisager leur aboutissement. Certes, le désengagement progressif de l’Algérie assure le succès de la politique de diversification de la France. Toutefois, cette stratégie est soumise aux aléas du contexte pétrolier international. En effet, les années 1970 et 1971 se caractérisent par le renforcement de la position des pays de l’Opep. La France est dans l’obligation de s’adapter à ce nouvel environnement pétrolier sans rompre frontalement avec Alger. Elle passe donc d’une politique de coopération à une banalisation de ses rapports avec son ancienne «colonie».

Le rôle déterminant des hydrocarbures dans sa politique étrangère
Les hydrocarbures jouent dans l’ensemble de la politique algérienne un rôle déterminant, aussi bien dans sa politique internationale que dans sa politique économique interne. Dans le même temps, la politique pétrolière algérienne peut être présentée sans exagération, par un colloque de l’Association internationale des juristes démocrates, comme un «exemple à méditer». C’est autour de cet exemple algérien que s’était réalisé le 2ème Colloque organisé par la revue Incontri Mediterranei sur le thème «L’association coopérative entre pays producteurs et pays consommateurs d’hydrocarbures’’ (Rome, février 1968). C’est à Alger que se tient le 1er Congrès de l’Association des économistes arabes, en octobre 1970, et il porte sur le rôle du pétrole dans le développement économique des pays arabes ; c’est à Alger encore que se tient un an plus tard, du 20 au 22 octobre 1971, le premier colloque sur «le droit pétrolier et la souveraineté des pays producteurs».

Conclusion :
Quoique dans des circonstances fort différentes, certains des éléments parmi les plus positifs de l’expérience mexicaine, et bien décidée par ailleurs à ne pas laisser confisquer le fruit de ses efforts par l’impérialisme mondial, l’Algérie est bien le premier pays arabe, qui, ait décidé de «semer son pétrole».
On peut même aller nettement au-delà : même si elle n’a adhéré que tardivement à I’Opep, la politique algérienne a eu une influence très nette sur l’orientation de celle-ci. La transformation même des objectifs passant de l’accroissement des royalties à l’obtention d’une participation à l’exploitation en est un exemple frappant. Pourtant, il faut bien admettre que si les réserves de gaz de l’Algérie en font un des plus gros producteurs potentiels, sa production actuelle de gaz reste modeste et sa production de pétrole l’est aussi.»
Par Y. Mérabet