Eviter l’illusion monétaire

Les raisons du dérapage du dinar officiel et de son écart avec la sphère informelle

Dans cette conjoncture caractérisée par la crise mondiale et une économie fondamentalement rentière avec de surcroît le manque de visibilité, l’instabilité économique, la tendance, et c’est une loi universelle, n’est pas à l’investissement productif mais à des actions spéculatives pour protéger tant la valeur capital argent que pour les ménages le pouvoir d’achat. Comment voulez-vous qu’un opérateur quelque soit sa tendance idéologique avec cette instabilité monétaire invertisse à long terme sachant que la valeur du dinar va chuter d’au moins 50% dans deux à trois années.

En effet, la dévaluation du dinar sur le marché officiel où le cours achat est passé de 5 dinars un dollars en 1974 et le 2 décembre 2020, un euro s’échangeait 154,5528 dinars et le dollar 129,4737 dinars, le PFL 2021 projetant pour 2023 environ 185 dinars un euro et 156 dinars pour un dollar. En cas de non dynamisation de l’appareil productif, prenant un écart de 50% du taux officiel par rapport au marché parallèle, nous aurons environ 300 dinars un euro contre 200 dinars fin novembre 2020, et en cas de non maîtrise de l’inflation avec un taux seulement de 10/15%, l’écart serait plus important d’au moins 100%, soit 350/400 dinars un euro. Ces mesures monétaires, pour l’Algérie contredisent les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. Or entre 1970/2020, 98% des exportations proviennent toujours des hydrocarbures en incluant les dérivés. En Algérie, le dérapage du dinar a produit l’effet contraire montrant que le blocage est d’ordre systémique et que les mesures monétaires sans les synchroniser à la sphère réelle seront sans effets. Or, le constat amer est l’incohérence par différentes décisions contradictoires du ministère des Finances pour intégrer la sphère informelle, étant une illusion d’encourager la finance islamique sans la stabilité du dinar. 1.- Pour la période 1970 aux prévisions du gouvernement fin 2023, nous avons la cotation suivante avec une cotation administrative jusqu’à fin 1992 : -1970, 4,94 dinars un dollar, -1980 : 5,03 dinars un dollar, -1985 : 5,03 dinars un dollar, -1990 : 12,02 dinars un dollar, -1991 :
18,05 dinars un dollar, -1994 : 36,32 dinars un dollar, -1995 : 47,68 dinars un dollar, -1999 : 66,64 dinars un dollar. Pour la période de 2001 à fin novembre 2020, nous avons la cotation suivante : -2001 : 77,26 dinars un dollar 69,20 dinars un euro : -2005, 73,36 dinars un dollar, 91,32 dinars un euro : – 2010, 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro : -2015, 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro : -2016 :100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro : -2017 : 110,96 dinars un dollar et 125,31 dinars un euro : – 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro : -2019 :119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro :-2 décembre 2020, un euro s’échangeait 154,41/5528 dinars et le dollar 129,4737 dinars. Pour le PLF2021 : le cours serait de 142 dinars pour un dollar en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023, sous réserve de la maîtrise de l’inflation et de la dynamisation de l’appareil productif dans le cadre des valeurs internationales. Le PLF 2021 prévoit les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) se situent à environ 8 113 milliards de dinars, tandis que les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières) sont estimées à 5 328 milliards de dinars, soit un déficit budgétaire record de 2 784,8 milliards de dinars soit au cours de 128 dinars un dollar plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars.
Le déficit global du trésor prévu est de 3614,4 milliards de dinars soit 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB. Nous assistons également à une augmentation du budget de fonctionnement et à une augmentation des transferts sociaux estimés par le PLF 2021 à 1927,5 milliards de dinars soit 15,06 milliards de dollars en hausse de 79,98 milliards de dinars par rapport à la Loi de finances 2020. Dans ce cadre, la Loi de finances 2021 projette un taux de 142 dinars pour un dollar américain en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023. Il s’agit en fait d’un artifice comptable pour combler le déficit budgétaire. La Banque d’Algérie procède au dérapage du dinar par rapport au dollar et à l’euro, ce qui permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements, matières premières, biens finaux), montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.
2.-Il faut cerner les causes essentielles de la distorsion entre la valeur officielle du dinar et celle du marché, de s’attaquer à l’essence du mal et non aux apparences présentant sept raisons qui ont conduit à cette situation en précisant que le cours sur le marché parallèle serait beaucoup plus élevé qu’actuellement avec un écart de 50/60% en cas de la maîtrise de l’épidémie du coronavirus et de la maîtrise du processus inflationniste interne. Premièrement, l’écart qui s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation. A cela s’ajoute, la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen malgré une importation de biens et services en devises ayant dépassé les 1 000 milliards de dollars sans compter les dépenses internes en dinars entre 2000/2019 en moyenne 3% alors qu’il aurait dû dépasser les 8/10% : mauvaise gestion et corruption. Pour 2020, la croissance sera négative moins -5% selon le FMI. Deuxièmement, l’écart s’explique aussi, par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l’étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie, montrant clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l’étranger et l’Algérie, renforcent l’offre. Troisièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent :
Touristes, (ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais avant l’épidémie du coronavirus, les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent, elles aussi, aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement, elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie. Quatrièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés, fruits/légumes, de la viande rouge /blanche, marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs le marché textile/cuir. Cinquièmement raison, l’écart s’explique par le passage du remdoc au credoc, instauré en 2009, a pénalisé les petites et moyennes entreprises et n’a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009, tout en renforçant les tendances des monopoleurs importateurs. Sixièmement, beaucoup d’Algériens et d’étrangers utilisent le marché parallèle, pour le transfert de devises, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant, assistant certainement, du fait de la méfiance, à une importante fuite de capitaux de ceux qui possèdent de grosses fortunes. Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérie ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. En effet, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, achètent les devises sur le marché informel. 3.- Trois paramètres stratégiques déterminent l’avenir de l’économie algérienne :
Le cours du pétrole, l’évolution des réserves de change et la pression démographique (plus de 50 millions d’habitants en 2030. L’on devra créer minimum 300 000/400 000 postes de travail nouveaux par an nécessitant un taux de croissance annuel sur plusieurs années de 8/9% en termes réel et devant être réaliste où en juillet 2020, c’est Sonatrach procurant directement et indirectement avec les dérivées 98% des recettes en devises. Cette situation influe le niveau des réserves de change 2020/2021. Selon le FMI, l’Algérie a besoin d’un baril de plus de 135 dollars en 2021 et selon le site spécialisé, Oil Price, 157,2 dollars pour équilibrer son budget. Le prix du baril fixé par la Loi de finances 2020 de 30 dollars, prix fiscal et 35 dollars prix marché, le PLF 2021 40 dollars, n’est qu’un artifice comptable. Selon les prévisions du FMI pour les années précédentes, le prix d’équilibre du baril pour l’Algérie était estimé de 104,6 dollars en 2019, à 101,4 dollars en 2018 et à 91,4 en 2017. Il s’ensuit une baisse drastique des réserves de change qui ont évolué ainsi : 2013 : 194,0 milliards de dollars, – 2018 : 79,88 milliards de dollars – fin 2019 : 62 milliards de dollars, – fin 2020, les prévisions de la Loi de finances complémentaire étant de 44,2 milliards de dollars contre 51,6 prévu dans la loi initiale. Le FMI pour prévoit 33,8 milliards de dollars fin 2020, le Trésor français 36 milliards et fin 2021, début 2022, entre 12/15 milliards de dollars. En cas de baisse drastique des réserves de change à 12/15 milliards de dollars, qui tiennent la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation.
Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse et lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation social, la société enfante ses propres règles pour fonctionner, qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer. Le recours à la planche à billets après l’épuisement du Fonds de stabilisation du pétrole (FRR) pour financer le déficit budgétaire, la Banque centrale ayant recouru à ce mécanisme de mi-novembre 2017 à avril 2019, ayant mobilisé 55 milliards de dollars, soit l’équivalent de 32 % du PIB de 2018, aura un impact négatif à terme. Ce financement, outre l’effet inflationniste, comme au Venezuela, favorise, contrairement à certains discours, la baisse des réserves de change puisque en mettant à la disposition de certaines entreprises des dinars, (70% des matières premières et des équipements des entreprises publiques et privées étant importées, le taux d’intégration ne dépassant pas 15/20%) ces dernières se porteront importatrices en devises en biens et services. L’Algérie ne peut continuer à fonctionner entre le budget d’équipement et de fonctionnement, selon le FMI, à un cours supérieur à 100 dollars le baril. En résumé, l’économie alréenne en ce mois de décembre 2020 repose toujours sur la rente des hydrocarbures où selon rapports internationaux le cours du pétrole s’il y a une reprise timide de la croissance en 2021, (une reprise réelle pas avant 2022 selon le secrétaire général de l’OCDE et le FMI) fluctuera ente 45/50 dollars le baril mais n’oubliant jamais que pour l’Algérie que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz procurant 33% des recettes dont le cours a baissé de plus de 70% entre 2008/2019. Aussi, attention à l’illusion monétaire, la monnaie n’étant que l’effet de rapports sociaux, le dérapage du dinar sans de profondes réformes structurelles pour dynamiser l’appareil productif pouvant conduire à une spirale inflationniste ayant des incidences sur la détérioration du pouvoir d’achat notamment de revenus fixes et politiques avec de vives tensions sociales. L’économie algérienne possède des potentialités mais a besoin d’une cohérence dans sa politique socio-économique.
L’Algérie étant confrontée à des défis importants, posés par la baisse des prix du pétrole, les défis futurs, pour se projeter sur l’avenir, loin de tout populisme dévastateur, impose une nouvelle gouvernance, un langage de vérité et la moralité des gouvernants. L’Algérie devra s’adapter au nouveau monde, rétablir la confiance pour sécuriser son avenir, s’éloigner des aléas de la mentalité rentière, réhabiliter le travail et l’intelligence, rassembler tous ses enfants et toutes les forces politiques, économiques et sociales, évitant la division sur des sujets secondaires. Il y va de la sécurité nationale.
Professeur des universités Expert international Dr Abderrahmane Mebtoul