Face aux nouvelles mutations mondiales, quelle transition énergétique pour l’Algérie ?

Horizon 2030

Les orientations du président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, ayant constaté un important retard dans le processus de transition énergétique concerne la maîtrise énergétique par la mise en place d’un nouveau modèle de consommation énergétique axé sur un MIX énergétique interne et s’adaptant aux nouvelles mutations mondiales où à l’horizon 2030, émergera un nouveau pouvoir énergétique mondial.

La transition pouvant être définie comme le passage d’une civilisation humaine construite sur une énergie essentiellement fossile, polluante, abondante, et peu chère, à une civilisation où l’énergie est renouvelable, rare, chère, et moins polluante ayant pour objectif le remplacement à terme des énergies de stock (pétrole, charbon, gaz, uranium) par les énergies de flux (éolien, solaire).

1- Qu’est ce que la transition énergétique ?
La transition énergétique renvoie à d’autres sujets que techniques, posant la problématique sociétale. Il ne suffit pas de faire une loi car le déterminant c’est le socle social. Cela pose la problématique d’un nouveau modèle de croissance : tous les secteurs économiques, tous les ménages sont concernés : transport, BTPH ; industries, agriculture, services, administrations centrales et locales. Les choix techniques d’aujourd’hui engagent la société sur le long terme. Dès lors la transition énergétique suppose un consensus social car la question fondamentale est la suivante : cette transition énergétique, combien ça coûte, combien ça rapporte et qui en seront les bénéficiaires. Pour une transition énergétique cohérente il s’agit de renforcer les interconnexions des réseaux et l’optimisation de leur gestion (smart grids) pour contribuer à l’efficacité énergétique, au développement industriel, aller vers un nouveau modèle de croissance, afin de favoriser l’émergence d’une industrie de l’énergie, au service de l’intégration économique.
L’énergie engage l’avenir économique et sécuritaire de l’Algérie et toute décision majeure devra être préalablement analysée par le Conseil National de l’Energie, seul habilité à tracer la future politique énergétique. Car au rythme de la consommation intértieure, celle ci dépassera les exportations actuelles horizon 2030, posant le problème de la capacité d’exporter de l’Algérie à moins de découvertes importantes comme les gisements d’Hassi Rmel ou Hassi Messaoud ce qui selon les experts est une hypothèse irréaliste. Par ailleurs, le monde connaîtra à l’horizon 2030/2035 un profond bouleversement de la carte énergétique à l’échelle mondiale, avec la percée de l’hydrogène entre 2030/2040, où les investissements prévus dans le cadre de la transition énergétique USA/Europe/Chine, Inde devraient dépasser les 4.000 milliards de dollars où les grandes compagnies devraient réorienter leurs investissements dans ces segments rentables à terme.
L’ objectif horizon 2030, comme je l’ai démontré dans une interview à l’American Herald Tribune en aout 2020,avec l’impact de l’épidémie du coronavirus , qui a fait prendre conscience à l’humanité des désastres de facteurs exogènes comme le réchauffement climatique impliquant la transition numérique et énergétique où les changements économiques et sociales survenus depuis quelques années dans le monde ainsi que ceux qui sont appelés à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique. L’Algérie dépendante à 98% de ses recettes en devises avec les dérivées des hydrocarbures qui irriguent toute la société n’échappe pas à ces mutations où la baisse des recettes a vu une croissance négative de moins de 6,5% en 2020 , plus de 15% de taux de chômage selon le FMI , parallèlement à une dévaluation du dinar entrainant une hausse de l’inflation ( taux d’intégration des entreprises publiques et privées ne dépassant pas 15%).
Comme conséquence la baisse des réserves de change qui étaient en 2013 de 194,0 milliards de dollars sont passées en 2019 : à 62 milliards de dollars, et les prévisions de la loi de Finances complémentaire 2020 de 44,2 milliards de dollars, 13,6 mois d’importation en 2020, des prévisions de 5,7 mois d’importation en 2021 et 3 mois d’importation en 2022 toujours selon le FMI, réserves qui tiennent la cotation du dinar à plus de 70% permettant de combler artificiellement une partie du déficit ,budgétaire qui selon le PLF2021 sera de 21,75 milliards de dollars en 2021 contre en 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB. Selon le rapport du Ministère de l’Energie le chiffre d’affaires de Sonatrach non inclus les dérivées, à ne pas confondre avec le profit net, devant retirer les couts et la part des associés, a été fin 2020 de 20 milliards de dollars), et 22 milliards de dollars avec les dérivées avec une forte baisse en volume physique,(moins 11%). Les revenus de l’Etat, ont été au cours de 128 dinars un dollar de 14,5 milliards de dollars de fiscalité pétrolière versé au Trésor public durant l’année 2020, en baisse de 31% par rapport au montant de 2019. L’Algérie, selon le FMI , le prix d’équilibre budgétaire était estimé de 104,6 dollars en 2019 et à plus de 110 dollars pour les lois de finances 2020/2021, d’où l’urgence de la nécessaire transition énergétique.

2- Quels sont les axes de la transition énergétique en Algérie ?
Le premier axe est d’améliorer l’efficacité énergétique concernant l’ensemble des départements ministériels où en 2019 la structure de la consommation finale d’énergie reste dominée par le secteur des « Ménages & autres» (46,6%), suivi par le transport (32%) et enfin le secteur de « l’industrie et BTP » avec une part de 22%. Par exemple peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant de forte consommation d’énergie alors que les techniques modernes permettent d’économiser 40 à 50% de la consommation ? Prévoir une économie d’énergie de 10% dans une première phase serait déjà un exploit. Comme il s’agira d’avoir une nouvelle politique des carburants, dossier que j’ai eu à diriger avec le bureau d’études américain Ernest Young en 2007/2008,et les cadres dirigeants de Sonatrach renvoyant à la structure de consommation où en 2019 nous avons 70% de gasoil, essence 27% et le GPLC seulement de 3%.
Cela renvoie à la politique des prix des carburants subventionnés dont :
Essence normal : 43,72 dinars / litre,
Essence super : 45,97 dinars / litre
Essence sans plomb: 45,62 dinars /litre
Gasoil: 29,01 dinars / litre, ces prix étant calculés sur la base du prix d’entrée d’une raffinerie d’environ 11 dollars le baril, selon le Ministère de l’énergie soit environ 10/15% du prix international.
Cela renvoie également à la politique industrielle de construction ou d’importations des camions et voitures : fonctionnant au GPLc, voiture hybride ou électrique. Je pense que, la conversion de 200 000 véhicules au GPLc au cours de l’année 2021 est réalisable mais dérisoire où selon l’Office national des statistiques (ONS) au premier semestre 2019, l’Algérie compte 6 577 845 véhicules immatriculés soit 165 000 unités de plus qu’à la même période en 2018. Quant à la voiture électrique, il faut être réaliste cela suppose des batteries appropriés et que les stations soient généralisées à travers le territoire national où même les pays développés ont encore des problèmes. Par ailleurs s’impose une nouvelle politique des prix (prix de cession du gaz sur le marché intérieur largement prix international occasionnant un gaspille des ressources et des fuites hors des frontières. A cet effet, une réflexion doit être engagé par le gouvernement algérien pour la création d’une chambre nationale de compensation, que toute subventions devra avoir l’aval du parlement pour plus de transparence, chambre devant réaliser un système de péréquation, pour les régions défavorisées, segmentant les activités afin d’encourager les secteurs structurants et tenant compte du revenu par couches sociales où le SMIG de l’Algérien est d’environ 20% de celui de l’européen.
– Le second axe, il ne faut pas être utopique, 98% des recettes en devises en 2020, et encore pour longtemps, les exportations hoirs hydrocarbures étant fonction d’entreprises compétitives, cout/qualité, qui n’émergeront que par une nouvelle gouvernance et de profondes réformes structurelles, proviennent toujours des hydrocarbures avec les dérivées et il s’agira d’investir à l’amont pour de nouvelles découvertes, en adaptant toujours la loi des hydrocarbures au nouveau contexte international où la concurrence est vivace afin d’attitrer les investisseurs. Mais pour la rentabilité de ces gisements tout dépendra du vecteur prix au niveau international et du cout, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables, posant le problème de la rentabilité en n’oubliant pas une chute de la production physique de la production de pétrole entre 2008/2020 et que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz naturel ( GN et GNL) dont le prix de cession a chuté de plus de 70% entre 2008 et 2020.
– Le troisième axe, l’option du gaz de schiste, troisième réserve mondiale, introduite dans la nouvelle loi des hydrocarbures sous réserve de la protection de l’environnement et d’un consensus social (voir études sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul assisté des cadres de Sonatrach :pétrole/gaz de schistes, opportunités et risques Premier Ministère Alger 11 volumes 2015 dont un volume consacré à à la transition énergétique). En Algérie, devant éviter des positions tranchées pour ou contre, un large débat national s’impose, car on ne saurait minimiser les risques de pollution des nappes phréatiques au Sud du pays. L’Algérie étant un pays semi-aride, le problème de l’eau étant un enjeu stratégique au niveau méditerranéen et africain, doit être opéré un arbitrage pour la consommation d’eau douce, (les nouvelles techniques peu consommatrices d’eau n’étant pas encore mises au point, malgré le recyclage, quel sera le coût, fonction de l’achat du savoir-faire), un milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce et être pris en compte les coûts (en plus de l’achat des brevets) devant forer plusieurs centaines de puits moyens pour un milliard de mètres cubes gazeux.
– Le quatrième axe, l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 pour faire face à une demande d’électricité galopante. Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29.000 tonnes, de quoi faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1.000 Mégawatts chacune pour une durée de 60 ans, selon les données du Ministère de l’Énergie. Mais il convient de résoudre le problème récurrent des chercheurs du nucléaire( cela s’applique à l’ensemble des chercheurs) qui depuis des années demandent l’éclaircissement de leur statut et surtout un environnement propice par la levée des obstacles bureaucratiques qui freinent la recherche.
– Le cinquième axe de la transition énergétique est le développement des énergies renouvelables .combinant le thermique et le photovoltaïque dont le cout de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire Mais le soleil tout seul ne suffit pas. Il faut la technologie et les équipements pour transformer ce don du ciel en énergie électrique. La production à grande échelle permettrait de réduire substantiellement les coûts tout en favorisant à l’aval une multitude de PMI-PME, renforçant le tissu industriel à partir des énergies propres (industries écologiques).
Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22000 MW dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation. Aussi, la construction d’une centrale solaire, la production de 1000 MW, la création d’une entreprise de production et de distribution des énergies renouvelables à la lumière des expériences passées, outre que cela est nettement insuffisant par rapport aux objectifs de 2030, il faudrait compter 2022, sous réserve d’une une nette volonté politique Aussi se pose cette question de la réalisation effective d’ici 2030, où selon les rapports du Ministère de l’Energie l’objectif de l’Algérie serait de produire, 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables.
Où trouver le montant de l’investissement consacré à la réalisation de ce programme, à l’échéance 2030, devant distinguer la partie devises avec les tensions sur les réserves de change et la partie dinars, où je rappelle que plusieurs conseils de ministres de 2007 à 2017 ont donné des chiffres contradictoires, pour la réalisation des 20.000 MW, différence énorme montrant la non maitrise du projet entre 60 et 100 milliards de dollars. A court et moyen terme, la combinaison de 20% de gaz conventionnel et 80% de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie.
En résumé, dans le cadre de la transition énergétique, il est indispensable pour la maîtrise technologique, pénétrer le marché mondial et éviter les surcouts, de réaliser ces projets dans le cadre d’un partenariat public privé national, international gagnant- gagnant.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul