La place du bandit pendant la colonisation analysée

Revue «Confluences Méditerranée»

Le banditisme dans le monde rural, pendant la colonisation française, est «lié à des phases de déstructuration ou de crise de la société paysanne», estime, dans un article publié dans la revue «Confluences Méditerranée», l’universitaire Mohammed Yefsah qui explique que la figure du bandit combine la dénonciation de l’injustice et l’illégitimité du conquérant.

Publié dans le dernier numéro de cette revue trimestrielle française sous le titre «Banditisme et colonialisme en Algérie: la légende d’Arezki L’Bachir», l’article propose d’analyser la place du bandit dans l’imaginaire populaire à travers le cas d’Arezki L’Bachir qui a défrayé la chronique en Kabylie à la fin du XIXe siècle et qui reste encore ancré dans la mémoire orale. Pour ce maître de conférences de l’université d’Oran, l’Algérie a connu sous la colonisation française une prolifération du banditisme et l’apparition de figures importantes de ce phénomène qui ont alimenté l’imaginaire populaire avec de nombreux chants anonymes consacrés à des «bandits d’honneur». Il évoque également le parcours de Arezki Lbachir qui fait, selon lui, l’objet d’incertitudes et d’interprétations divergentes par les agents rapporteurs : chants populaires, journalistes, rapports de Justice et de l’administration coloniale française.
Il estime que les récits biographiques ne sont pas fondamentaux dans la représentation du bandit, souvent mythifié. L’universitaire s’intéresse dans son article à la genèse du banditisme qui peut devenir un phénomène de masse lorsque des sociétés sans classes résistent à l’essor ou à l’imposition de divisions de classes, mais aussi lorsque des sociétés rurales traditionnelles (…) résistent à l’expansion d’autres sociétés de classes. Le banditisme apparaît aussi, d’une manière intense, dans les phases de famine, la colonisation ayant combiné des périodes de bouleversement social et de famine. La légende de Arezki L’Bachir a surgi, selon l’auteur, dans «un pays en plein mutation», il affirme également que ce personnage n’est pas un bandit d’honneur, mais plutôt un bandit social, même si la frontière entre les deux reste très fine en période de colonisation.
Pour analyser ce phénomène, Mohammed Yefsah revient sur Arezki L’Bachir, issu d’une riche famille de paysans qui devient pauvre et va connaître la misère avec la conquête française de sa région en 1857 suite à la défaite, dans la bataille d’Icherriden, de la résistance sous la bannière de Lalla Fatma N’Soumer. Sa famille s’allie plus tard, en 1871, au grand soulèvement dirigé par Cheikh El Mokrani qui a pu fédérer de puissantes tribus pour s’attaquer à l’armée française à Bordj Bou-Arréridj en Kabylie. Arezki L’Bachir a grandi dans le dénuement, traumatisé à l’adolescence par la pendaison de son père qui a participé à la thawra de 1871. Les contextes politique et économique de son époque sont marqués par l’expropriation des terres, l’adoption du Code de l’indigénat, l’interdiction du droit coutumier en Kabylie et la répression qui bouleversent la société de la région et de toute l’Algérie.
Abordant la représentation du bandit, l’universitaire estime que les faits et méfaits des bandits sont amplifiés par la rumeur et dans l’imaginaire populaire, Arezki, le «Kébir du Sébaou» pour la population est aux yeux de la majorité de la société paysanne le « justicier, craint et respecté». Il est aussi «le héros qui sait rendre justice, qui résiste à l’autorité, qui sauvegarde le code d’honneur coutumier». Arezki L’Bachir, Bouziane El-Kalai (1838-1876) dans l’Oranie, comme plus tard Messaoud Benzelmat (1894-1921) dans les Aurès, Ahmed Oumeri (1911-1947) en Kabylie, auront tous des chants populaires à leurs gloires et une place dans la mémoire collective, conclut l’universitaire.
R. C.