Une défiance à l’égard du système partisan face à une situation socio-économique préoccupante

La leçon des élections législatives du 12 juin 2021

Le constat est amer en ce mois de juillet 2021, l’Algérie depuis l’indépendance politique est une économie fondamentalement rentière, le système financier, enjeu énorme de pouvoir, étant étroitement connecté à la production de la rente. Toute augmentation ou baisse du cours des hydrocarbures avec les dérivés (98/97% des recettes en devises) ont eu des incidences à la fois économiques et politiques comme en témoigne les impacts politiques de la crise de la baisse du cours entre 1986/1990.

1- Sans sécurité, existant un lien dialectique sécurité développement, et un retour à la confiance Etat –citoyens, nécessitant des intermédiations politiques, économiques et sociales crédibles, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Bien qu’il y a lieu de ne pas comparer ces résultats avec les anciennes élections du fait qui ne sont pas significatifs ayant reposé sur des quotas et le bourrage des urnes, la leçon à tirer est qu’il reste un long chemin à parcourir pour redonner confiance afin de rapprocher l’Etat du citoyens, tout en rappelant que les pays développés ont mis des siècles à asseoir la démocratie et qu’avec la nouvelle révolution des télécommunications qui influent sur les comportements il y a de plus en plus méfiance des citoyens vis-à-vis du politique. Lors d’élections législatives anticipées. Les résultats officiels du scrutin, publié officiellement au journal officiel, ont été marqués par un fort taux d’abstention, le taux de participation ayant été de 23,03% sur un nombre d’électeurs inscrits de 24.453.992 et celui des votants de 5.622.401, avec 1.011.749 de bulletins nuls, restant pour les députés élus 4.610.652 voix, soit 18,85%.
Si, l’on prend la structure démographique qui constitue d’ailleurs une véritable bombe, la population totale est passée de 11.479.247 en 1962, à 18.936.298 en 1980, à 253.435.21 en 1990, à 30.833.966 en 2000 et au 1er janvier 2021 44.680.256 dont avec une prévision horizon 2030 de 51,3 millions d’habitants, pour 2019, nous avons la structure d’âge suivante en pourcentage : 29,49% 0-14ans, 14,72% 15-24 ans, 42,97% 25-64 ans, 7,01% 55-64 ans et 5,81% 65 ans et plus. Si l’on prend seulement 50% de la tranche des 15-24 ans, les personnes en âge de voter représenteraient 62,80% et si l’on applique de taux à la population en âge de voter pour 2021, nous aurons environ 27,50 millions sur un total de votants de 24,12 millions, donc presque trois millions ne se sont pas inscrits sur les listes électorales. Le nombre de voix des votants pour les députés rapporté aux personnes en âges potentiels de voter serait alors de 16,70%. En référence au nombre de députés et de voix nous avons : -FLN 98 sièges, avec 287.828 voix soit par rapport aux inscrits 1,17% et 1% par rapport au nombre de votants potentiels : – le MSP 65 sièges, avec 208471 voix soit par rapport aux inscrits 0,8%et 0,7% par rapport au nombre de votants potentiels : – le RND 58 sièges, avec 198.758 soit par rapport aux inscrits 0,8% et 0,7% par rapport au nombre de votants potentiels : – le Front El Mostakbel 48 sièges avec 153.987 soit par rapport aux inscrits 0,63% et par rapport au nombre de votants potentiels 0,55% : et le Mouvement El Bina 39 sièges, 106.203 soit par rapport aux inscrits 0,43% 0,38% par rapport au nombre de votants potentiels.
Pour l’ensemble des partis nous avons 955.247 voix soit environ 4% par rapport aux inscrits et 2,66% par rapport au nombre de votants potentiels. Ainsi, tous les partis cités le nombre de députés a été de 308 sièges soit par rapport au total 75,67%. Pour les indépendants le nombre de sièges représente 24,33% pour un nombre de votants de 3.655.405 voix, avec 84 sièges soit 20,63% montrant qu’il y a urgence de revoir le code électoral en inscrivant une dose de proportionnelle pour avoir une représentativité réelle. Avec les indépendants nous avons au total 392 sièges sur 96,31% et les femmes ayant obtenu seulement 33 sièges (8,1 %). Le faible taux de résultats au nombre de voix des partis et des indépendants élus résulte des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappent la majorité d’entre elles, de la défiance nourrie à leur égard et à l’endroit du militantisme partisan, se pose cette question si les formations politiques- pouvoir et opposition sont dans la capacité aujourd’hui de faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient, évitant un affrontement direct citoyens forces de sécurité et donc de contribuer significativement à la socialisation politique et donc d’apporter une contribution efficace à l’œuvre de redressement national, assistant souvent à leur déconnexion par rapport à la vitalité de la société toujours en mouvement, d’où l’urgence de leur restructuration.
Quant à la société civile force est de constater qu’elle est éclatée y compris certaines confréries religieuses qui avec la désintégration sociale et une jeunesse parabolée ont de moins en moins d’impacts contrairement à une vision du passé. C’est que la confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend urgent l’élaboration d’une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traverse et sa relation complexe à la société et à l’Etat ajoutent à cette confusion avec une société civile informelle, inorganisée, atomisée qui est de loin la plus active et la plus importante, formant un maillage dense, mais du fait de tendances idéologiques contradictoires incapables de s’entendre sur un programme de gouvernement cohérent.
Les élections du 12 juin 2021 ont montré que la majorité des députés dits indépendants sans nous tromper plus de 50% sont des personnes issues des partis traditionnels dont les partis FLN, RND, et ceux d’obédience islamique. L’intégration intelligente de la sphère informelle, non par des mesures bureaucratiques autoritaires, mais par l’implication de la société elle-même, est indispensable pour sa dynamisation. Car lorsqu’un Etat veut imposer ses propres règles déconnectées des pratiques sociales, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner. Mais ce discrédit de la classe politique traditionnelle n’est pas propre à l’Algérie où le monde est devenu une maison de verre avec la révolution du système de communication.

2- Sur le plan économique, l’Algérie dépendra encore longtemps, du fait qu’avec ce mythe de la rente des hydrocarbures, elle n’a pas entamé réellement les réformes structurelles dont le cours le 03 juillet 2021 est de 76,06 dollars le Brent,75,04 dollars le Wit et le gaz naturel à 3,700 le MBTU, en nette augmentation en raison des perspectives, sous réserve de la maitrise de l’épidémie du coronavirus, d’un retour à la croissance de l’économie mondiale. Aussi, la future politique énergétique l’Algérie doit miser sur l’efficacité énergétique, revoir la politique des subventions généralisées notamment des carburants et dynamiser la production en baisse, en volume physique, les recettes de Sonatrach n’étant pas tributaire d’une bonne gestion interne mais de l’évolution du cours du niveau international qui échappe à la décision interne. Selon le rapport de l’OPEP de mai 2021 la production ne dépasse pas 860.000 barils/j, contre 1,2,à 1,3 million de barils/j entre 2007/2008, idem pour le gaz où les exportations sont passées pour la même période de 65 milliards de mètres cubes gazeux, à environ 55 en 2018 et 40/41 en 2020 selon un ex-ministre de l’Energie. Cela rend l’urgent un nouveau management de Sonatrach et la publication tant du code d’investissement que des décrets d’application de la loi des hydrocarbures pour attirer les investisseurs si l’Algérie veut profiter de cette hausse des prix, dont le retard et le manque de visibilité dans la politique économique deviennent intolérable ayant assisté à un net recul des IDE en Algérie entre 2018/2020.
Pour l’énergie, pour le moyen et long terme, il y a urgence d’avoir une vision stratégique de la transition énergétique ( Mix énergétique), de revoir le modèle de consommation énergétique et développer les énergies renouvelables l’hydrogène afin de s’adapter aux mutations énergétiques mondiales entre 2025/2030 qui modifieront le nouveau pouvoir énergétique mondial. La structure des exportations en 2020, montre la dominance des hydrocarbures traditionnels dont le volume est en déclin, et que les données de 2,2 milliards de dollars d’exportation hors hydrocarbures, 70% sont des semi produits et de dérivées d’hydrocarbures, étant utopique, surtout avec la paralysie de l’appareil de production et de la majorité de segments non concurrentiels, d’annoncer, une exportation de 4/5 milliards de dollars hors hydrocarbures pour l’année 2021 et pour avoir la balance devises nette, pour l’Algérie, il faudra retirer les matières importées en devises. Comme effet du manque de vision , le taux de croissance du produit intérieur brut qui détermine le taux d’emploi, est en nette diminution, estimée en 2020 à 160 milliards de dollars et selon le FMI de 153 milliards de dollars pour 2021.
Cela s’explique par la léthargie de l’appareil de production impacté tant par sa structure passée que par l’épidémie du coronavirus, ( selon le patronat une perte d’emplois d’environ 500.000 uniquement dans le BTPH) et le tissu économique fonctionnant s à peine à 50% de ses capacités. Dans ce contexte les tensions budgétaires seront vivaces si l’on s’en tient à l’avant-projet de loi de Finances complémentaire 2021, non encore adopté par le conseil des ministres, les prévisions donnent un déficit budgétaire record au cours de 130 dinars un dollar, 25,46 milliards de dollars soit 16,0% et 13,6% du PIB. Quant au déficit du Trésor qui s’aggrave, il est prévu 31,85 milliards de dollars. Nous assistons à une dépréciation accélérée du dinar qui est passé d’environ à 75/78 dinars un euro entre 2000/2005 et le 03 juillet 2021 avec un écart d’environ 50% sur le marché parallèle induisant une inflation importée, malgré les restrictions drastique des importations et des voyages.
La Banque d’Algérie vient de décider le 30 juin 2021 d’un programme spécial de refinancement de l’économie nationale d’une durée d’une année s’élevant à 2100 milliards de dinars soit au cours moyen de 130 dinars un dollar un montant colossal de 16,15 milliards de dollars. Je ne saurai trop insister sur l’urgence de synchroniser la sphère réelle et la sphère financière, la dynamique économique et la dynamique sociale , la vision purement monétariste, la planche à billets (sans contrepartie productives), l’Algérie souffrant de rigidités structurelles, la théorie néo keynésienne étant inapplicable et du manque de devises et non pas de dinars, sous prétexte d’éviter l’endettement extérieur qui peut être positif s’il est ciblé et créateur de valeur ajoutée, et la dévaluation du dinar pour combler artificiellement el déficit budgétaire, politique qui conduira inéluctablement au scénario vénézuélien avec une faillite de l’économie marquée par une hyperinflation et de vives tensions sociales avec un impact sécuritaire.
(A suivre)
Professeur des Universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul