Les six conditions de la rentabilité du gazoduc Nigeria–Algérie

Energie

Le secteur de l’Energie au Nigeria est marqué par le poids dominant de l’industrie pétrolière et gazière procurant 75% des recettes du budget national et 95% des revenus d’exportation et les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 5 300 milliards de mètres cubes gazeux.La faisabilité du projet du gazoduc Nigeria Europe doit tenir compte des nouvelles mutations gazières mondiales pour évaluer sa rentabilité où des annonces sont contredites par la dure réalité économique, car les lettres d’intention ne sont pas des contrats définitifs. Comme le démontre une importante étude de l’Institut stratégique l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région, expliquant l’importance de la diplomatie économique, un tel projet placerait la région comme un nouveau pôle d’approvisionnement pour l’Europe face à la Russie, la Norvège et le pays qui fera obstacle à ce projet étant la Russie, à moins qu’il ne soit partie prenante d’où l’importance d’avoir une vision économique froide sans sentiments pour sa rentabilité, surtout en ces moments de graves tensions financières. La rentabilité du projet Nigeria Europe, suppose six conditions.

Premièrement de la position des autorités nigériennes, qui doivent éclairer définitivement leurs positions concernant le projet du gazoduc soit l’Algérie ou le Maroc, existant des déclarations contradictoires. A l’occasion d’une visite officielle du roi Mohammed VI au Nigéria, le Maroc et le Nigeria ont signé un protocole d’accord le 3 décembre 2016 pour l’étude la construction d’un gazoduc entre l’ouest nigérian et le Maroc, accord avalisé le 12 juin en 2018 lors de la visite du président Muhammadu Buhari au Maroc. Le gazoduc Maroc-Nigéria mesure environ 5 660 kilomètres de long. Il longerait la côte Ouest africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc. Ce projet a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains existant pays déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline», qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé « Pedro Duran Farell ») qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc. C’est un projet de 1 400 km de plus que le TSGP, le grand problème est le financement sachant que le dernier gazoduc Russe, le Nord Stream 2, long de 1 230 kms, a coûté environ 11 milliards de dollars. Etant plus long que le gazoduc Russe, le projet selon une étude de l’IRIS nécessitera environ 20 ans avec un cout prévisionnel entre 25/30 milliards de dollars. Le Maroc autant que le Nigeria connaissent de vives tensions financières donc une impossibilité. Concernant le gazoduc Nigeria Algérie, la longueur du gazoduc trans-saharien sera de 4 128 kilomètres et sa capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’Mel en passant par le Niger. Rappelons qu’actuellement , les exportations de l’Algérie se font grâce au GNL qui permet une souplesse dans les approvisionnements et des marchés régionaux pour 30% et par canalisation pour 70%. L’Algérie possède trois canalisations. Le TRANSMED, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui permet d’augmenter la capacité de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il est d’une longueur de 550 km sur le territoire algérien et 370 km sur le territoire tunisien, vers l’Italie. Nous avons le MEDGAZ directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension prévu courant 2021 la capacité sera porté à 10 milliards de mètres cubes gazeux. Nous avons le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner, dont le contrat s’achève le 31 octobre prochain, d’une longueur de 1300 km, 520 km de tronçon marocain, la capacité initiale étant de 8,5 milliards de mètres cubes ayant été porté en 2005 à 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. Le 21 septembre 2021 le ministre nigérian de l’Énergie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie Selon une étude de l’Institut Français des Relations Internationales IFRI en 2019, le coût initial es est passé de 5 milliards de dollars en 2009, à 17/20 milliards de dollars. Le Nigeria et l’Algérie traversant une crise de financement, il faudra impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile , voire impossible de lancer ce projet.

Deuxièmement, de la concurrence internationale qui influera sur la rentabilité de ce projet. Les réserves avec de bas couts, sont de 45 000 pour la Russie, 30 000 pour l’Iran et plus de 15.000 pour le Qatar sans compter l’entrée du Mozambique en Afrique (4500 de réserves). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie-Chine, le Qatar et l’Iran, proches de l’Asie, avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le gazoduc Israël-Europe en activité vers 2025, les importants gisements de gaz en Méditerranée (20.000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie. Et l’Algérie est concurrencée même en Afrique, avec l’entrée en Libye, réserves d’environ 2000 milliards de mètres cubes non exploitées, et les grands gisements au Mozambique (plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL. Outre les USA, premier producteur mondial avec le pétrole/gaz de schiste, avec de grands terminaux, ayant déjà commencé à exporter vers l’Europe, nous avons la concurrence en provenance de la mer Caspienne dont gazoduc Trans Adriatic Pipeline (818 km) concurrent direct de Transmed, qui achemine le gaz à partir de l’Azerbaïdjan qui traverse le nord de la Grèce, l’Albanie et la mer Adriatique avant de rallier, sur 8 km, la plage de Melendugno au sud-est de l’Italie, opérationnel pouvant transférer l’équivalent de 10 milliards de mettre cube par an. Mais le plus grand concurrent de l’Algérie sera la Russie, avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 de 55 milliards de mètres cubes gazeux, ce dernier en voie de régularisation, assouplissement de la position des USA, soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l’Europe (Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne 31 mars 2021). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie Chine, le Qatar et l’Iran proche de l’Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, et en Afrique le retour de la Libye (sans compter le pétrole 42 milliards de barils de réserves et 2000 milliards de mètres cubes gazeux non exploitées pour une population de 6 millions d’habitants), les grands gisements au Mozambique ( plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL, le marché naturel de l’Algérie, en termes de rentabilité, est l’Europe où la part de marché de l’Algérie face à de nombreux concurrents , en Europe est en baisse où selon le site Usine Nouvelle la Russie fournit 36% du gaz importé par l’Europe, la Norvège (23%), les autres fournisseurs de GNL (10%) et l’Algérie 7/8%, presque le même niveau que le Qatar qui n’était qu’à 2% en 2000.

Troisièmement de l’évolution de la demande, tant des pays africains et surtout de l’Europe. La part du GNL représentant en 2020 plus de 40% de ce commerce mondial contre 23% à la fin des années 1990, n’est pas un marché mondial mais un marché segmenté par zones géographiques alors que le marché pétrolier est homogène, du fait de la prépondérance des canalisations, étant impossible qu’il réponde aux mêmes critères. ( Voir analyse développée par Pr A. Mebtoul dans la revue internationale gaz d’aujourd’hui Paris 2015 sur les mutations mondiales du marché gazier ). Pour arriver un jour à un marché du gaz qui réponde aux normes boursières du pétrole (cotation journalière), il faudrait que la part du GNL passe à plus de 80%. D’ici là, car les investissements sont très lourds, tout dépendra de l’évolution entre 2021/ 2030/2040, de la demande en GNL qui sera fonction du nouveau modèle consommation énergétique mondial qui s’oriente vers la transition numérique et énergétique avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique et entre 2030/2040 de l’hydrogène qui déclassera une grande part de l’énergie transitionnelle. La production mondiale de gaz naturel s’étant élevée à 3 890 milliards de m3 (Gm3) en 2020 selon Cedigaz, soit 115 Gm3 de moins qu’en 2019 (- 2,9%), environ 22% du Mix énergétique et surtout la demande européenne où sa dépendance pourrait atteindre, près de 70% de la consommation totale d’énergie, soit 70% pour le gaz naturel, 80% pour le charbon et 90% pour le pétrole, selon les estimations de la Commission européenne.

Quatrièmement, l’élément déterminant sera l’évolution du prix de cession du gaz au niveau mondial. Comme le souligne le PDG de Sonatrach, Intervenant lors du Forum de la Chaîne I de la Radio nationale, le 12 septembre 2021 a précisé que la faisabilité est liée à l’étude du marché au vu de la baisse du prix du gaz, soulignant que le prix de ce dernier est passé de plus de 10 dollars l’unité calorique il y a 10 ans entre 1,5-2 dollars le MBTU entre 2018/2020, pour remonter depuis juin 2021 à 4/5 dollars le MBTU, le cours le 23 septembre 2021 sur le marché libre étant de 4,810 dollars le MBTU. Ce qui pourrait, selon Sonatrach , «influer sur la prise de décision de lancer un tel investissement», d’où la démarche de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet». Cette faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz qui devrait approcher les 9/10 dollars le MBU. Comme se pose le problème central.
Cinquièmement du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 1er janvier 2021, pour l’Algérie de 48 milliards de dollars pour 44 millions d’habitants, le Maroc 36 milliards de dollars pour 37 millions d’habitants et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants. Sans un apport de grands groupes financiers et surtout avec l’aval de l’Europe principal client, le projet ne pourra pas se réaliser d’autant plus que les pays développés connaissent une crise d’endettement et les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 01 janvier 2021, pour l’Algérie de 48 milliards de dollars pour 44 millions d’habitants, le Maroc 36 milliards de dollars pour 37 millions d’habitants et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants

Sixièmement, la sécurité et des accords avec certains pays où le projet surtout pour le Maroc, traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz, les conséquences d’une telle action, si elle se reproduit, pourraient être remettre en cause la rentabilité de ce projet. Par ailleurs, il faudra impliquer les États traversés où il faudra négocier pour le droit de passage(paiement de royalties) donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.

En conclusion, avec les tensions budgétaires que connaît l’Algérie, il y a lieu de ne pas renouveler l’expérience malheureuse du projet GALSI, Gazoduc , Algérie – Sardaigne – Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’un cout initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, devant approvisionner également la Corse, qui est tombé à l’eau suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts de marché, avec des pertes financières Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises et dinars pour les études de faisabilité
(conférence à la Chambre de commerce en Corse A. Mebtoul en 2012 sur le projet Galsi). La stratégie gazière mondiale et notamment en Méditerranée principal, marché de l’Algérie, est marquée par la concurrence acerbe, ne devant jamais oublier que dans la pratique des affaires et des relations internationales n’existent pas de sentiments mais, que des intérêts, chaque pays défendant ses intérêts propres. L’Algérie fortement dépendante des hydrocarbures, est avant tout un pays gazier qui lui procure avec les dérivées plus de 33% de ses recettes en devises, devra donc être attentif aux mutations gazières mondiales. Evitons ces déclarations utopiques de remplacer les exportations d’ hydrocarbures (98% des recettes en devises en 2020 avec les dérivées) du jour au lendemain alors qu’un projet PMI/PME, sachant toutes les contraintes bureaucratiques que n’ont pas levées tous les codes d’investissement depuis l’indépendance politique, du fait d’une gouvernance mitigée, le manque de visibilité de la politique socioéconomique, en plus du problème du financement en devises est lancé en janvier 2022, ne sera rentable qu’en 2025 et pour les projets hautement capitalistiques comme la pétrochimie, le fer de Gara Djebilet ou le phosphate de Tébessa que vers 2027/2028. L’énergie, autant que l’eau, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité. Les nouvelles dynamiques économiques modifieront les rapports de force à l’échelle mondiale et affecteront également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux.
Abderrahmane Mebtoul Professeur
des universités Expert international