La recherche d’une vérité sur certains épisodes de la colonisation (XXVII)

Lettre à René

À son ami René, mais en fait aux générations montantes, Kamel Bouchama rappelle ce qu’entraîna l’acte odieux adopté par le parlement français en janvier 1830. Hélas, cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu’île de Sidi Fredj, amenant ainsi l’Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance… L’avenir, dit l’auteur de «Lettre à René» en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là, où notre vieille garde militante n’a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes.

Enfin, René, j’attends le jour où, toi et moi, parlerons le même langage, celui de la clarté et de la sincérité…, un langage qui nous sera utile pour écrire l’Histoire – notre Histoire –, dans toute sa vérité et, par là même, renforcer nos relations mutuelles. J’attends ce jour avec impatience, car nous, qui avons été à la même école…, communale, bien entendu, saurons dépasser nos pénibles émotions pour nous placer devant la réalité, celle qui nous interpelle pour envisager un avenir commun à l’ombre des défis que nous impose ce nouveau millénaire. Je souhaite également te rappeler, mon cher René, ce défi face à l’Histoire coloniale, que nous ont légué mes frères, tes frères Fernand Iveton, Daniel Timsit, Maurice Audin, Henri Alleg, et combien d’autres, leurs frères, mes frères Mohamed Bouras, Belouizdad, Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad, Zabana, Abane Ramdane, Mostefa Ben Boulaid, Amirouche, Zirout Youcef, Lotfi, Badji Mokhtar, El Haoues, leurs sœurs, mes sœurs, Hassiba Ben Bouali, Malika Gaïd, Ourida Medad, Zouleikha Oudaï, Fatma Hamoun, dont le message qui reste toujours à écrire est celui de l’amitié, de la solidarité, de la justice et du progrès pour nos deux peuples. Ce sera un véritable traité d’amitié qui tournera la page des souffrances sans avoir à la déchirer…, un traité qui tracera des perspectives d’avenir pour nos enfants qui sauront, mieux que nous, ouvrir le chemin du progrès et des sourires retrouvés. Je te remercie de m’avoir prêté toute ton attention et j’espère te rencontrer, bientôt, dans des jours meilleurs, pour nous remémorer notre enfance et essayer, ensemble, de contribuer à la construction de ce grand édifice que nos responsables ne cessent de nous encourager pour activer sa réalisation, pour le bien de nos deux communautés.
Bien à toi.
Ton ami Kamel

Post-scriptum
René, j’insiste, encore une fois, sur le style de cette lettre. Je l’ai voulu ainsi. Il te paraîtra peut-être lourd par certains endroits, ennuyeux dans d’autres, mais c’est le style à moi…, celui que j’ai choisi pour t’expliquer amicalement ce que nous avons ressenti tout au long d’une période vécue avec les tiens qui ne lésinaient pas sur la provocation pour nous humilier davantage. Tu auras aussi cette impression que j’ai trop insisté – à travers quelques redondances, sciemment faites – pour te convaincre de mon inquiétude, pardon de celle de mon peuple, après la promulgation de cette loi qui représente tout ce qu’il y a de plus vil, de plus cynique et de plus révoltant dans les textes de l’Histoire de la colonisation. Ainsi, ce qui pourrait te paraître comme des lourdeurs de style, avec cette insistance sur les réitérations, n’est en fait qu’une façon personnelle pour communiquer avec ceux que je considère comme étant mes proches. C’est l’expression d’un militant algérien qui voudrait attirer l’attention de son ami français, en lui rappelant un passé fait de souffrance et de misère, et dont les siens n’ont pas le droit de s’enorgueillir en le «remuant» et en soulevant des passions et des déceptions, au moment où l’Algérie s’est résolument tournée vers le progrès en assurant et en consolidant son développement, dans tous les domaines. Merci d’avance pour ta compréhension… René.
(Suite et Fin)
K.B