Face aux nouvelles mutations gazières mondiales, les enjeux géostratégiques du gazoduc Nigeria-Algérie

Energie

Depuis la déclaration du ministre de l’Energie du Nigeria et récemment de l’ambassadeur à Alger, nous assistons à des déclarations sans analyses sérieuses sur le fameux gazoduc Algérie-Nigeria. Pour ne pas renouveler les erreurs du passé de déclarations sans lendemain, il s’agit d’analyser ce dossier très complexe, sans passion devant privilégier uniquement les intérêts de l’Algérie, objet de cette présente contribution.Avec les tensions budgétaires que connaît l’Algérie, il y a lieu de ne pas renouveler l’expérience malheureuse du projet Galsi, Gazoduc Algérie–Sardaigne–Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, devant approvisionner également la Corse. Il a été abandonné par l’Algérie suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts de marché, avec des pertes financières de Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises et dinars pour les études de faisabilité (conférence à la Chambre de commerce en Corse A. Mebtoul en 2012 sur le projet Galsi). Évitons ces déclarations utopiques où avec toutes les contraintes bureaucratiques que n’ont pas levées tous les codes d’investissement depuis l’indépendance politique, que si des projets hautement capitalistiques sont lancés en janvier 2022 , ils ne seront rentables qu’entre 2027/2030 comme la pétrochimie, le fer de Gara Djebilet ou le phosphate de Tébessa.
En effet, le gouvernement prévoit un nouveau code d’investissement en Algérie, après tant d’autres qui ont eu peu d’impact sur la production et l’exportation hors hydrocarbures, ayant peu attiré les investisseurs étrangers, excepté par le passé, dans le segment des hydrocarbures, mais avec une chute depuis 2018. Malgré le dérapage du dinar pour ne pas dire dévaluation de 5 dinars vers les années 1970/1973 de 80 dollars entre 2000/2004 et actuellement entre 137/138 dinars un dollar, cela n’a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures où plus de 97% avec les dérivées des entrées en devises proviennent des hydrocarbures, le rapport Sonatrach 2020 donnant 2 milliards de dollars et pour 2021 le montant est plus important et sur les 4 à 5 milliards de dollars prévus ne laissant aux autres rubriques moins de 2 milliards de dollars pour fin 2021. En plus pour une appréciation objective, doit être tenu compte, pas seulement la valeur, certains produits comme les engrais et d’autres ayant vu leurs prix augmenter au niveau du marché international entre 30/50% mais du volume, les volumes (en kg ou en tonnes) des produits exportés, la seule référence pour voir s’il y a eu réellement augmentation des exportations et performances des entreprises algériennes. Et pour la balance devises nette pour l’Algérie, il y a lieu de soustraire les matières premières importées en devises, les subventions comme le prix de cession du gaz pour certaines unités exportatrices à un prix largement inférieur à l’international, et des exonérations fiscales. Comment dès lors vouloir attirer les investisseurs, outre le dérapage prévu du dinar dans le PLF2022 où le taux de change du dinar par rapport au dollar américain, en moyenne annuelle, devrait évoluer à 149,3 dinars pour un dollar en 2022, à 156,8 dinars pour un dollar en 2023 et 164,6 dinars pour un dollar en 2024. Avec un écart de plus de 50% sur le marché parallèle, aucun pays de par le monde ne prévoit une dévaluation de sa monnaie sur deux ou trois ans qui a pour finalité d’encourager les activités spéculatives, selon le Premier ministre environ de 2 500 projets d’investissement sont en attente de l’aval du Conseil national de l’investissement (CNI). Mais, il faudrait comptabiliser d’autres projets qui ne passent pas par le Conseil national d’investissement à l’ANDI, l’ANSEJ, la CNAC, l’ANGEM, organe sous différentes tutelles ministérielles alors qu’ils ont le même objectif, densifier le tissu économique. Cela n’est pas propre l’investissement puisque pour les énergies renouvelables, nous avons le ministère de l’Energie à travers Sonelgaz et Sonatrach, un commissariat aux énergies renouvelables en plus d’un ministère de la Transition énergétique, un ministère de l’Environnement, en plus de l’Aménagement du territoire rattaché au ministère de l’Intérieur, alors que les objectifs stratégiques doivent relever du Conseil national de l’Energie, toutes ces structures qui se télescopent montrant le manque de coordination. Car en plus du scénario interminable des importations de voitures qui ne voit pas le jour, des augmentations de prix des voitures d’occasion de 100%, avec le risque d’accidents du fait de la pénurie de pièces détachées, de certains médicaments et biens d’autres produits accélérant le processus inflationniste (déséquilibre offre/demande), cela est la résultante de la restriction drastique des importations afin de préserver les réserves de change qui ont paralysé la majorité de l’appareil de production. Et si ces 2 500 projets sont calqués sur la structure économique actuelle où 85% des matières premières sont importées en devises, entreprises publiques et privées en plus de l’importation des équipements en devises, avaient été réalisés, le scénario le plus probable aurait été l’épuisement des réserves de change fin 2021, qui sont passées de 194 milliards de dollars au 1er janvier 2014 à 48 fin 2020 et 44 fin mai 2021. L’attrait de l’investissement à forte valeur ajoutée ne saurait résulter de lois mais d’une réelle volonté politique allant vers de profondes réformes, une stabilité du cadre juridique et monétaire permettant la visibilité et que les pays qui attirent le plus les IDE n’ont pas de codes d’investissement. Mon expérience et mes contacts internationaux aux plus hauts niveaux, montrent que le temps est terminé des relations personnalisées entre chefs d’Etat ou de ministres à ministres où dominent les réseaux décentralisés et que tout investisseur est attiré par le profit qu’il soit américain, chinois, russe, turc ou européen. Il appartient à l’Etat régulateur, stratégique en économie de marché, comme un chef d’orchestre de concilier les coûts privés et les coûts sociaux. C’est par la méconnaissance des nouvelles règles qui régissent le commerce international qui explique les nombreux litiges internationaux avec des pertes se chiffrant en dizaines de millions de dollars.

En conclusion, fortement dépendante des hydrocarbures, est avant tout un pays gazier qui lui procure avec les dérivées plus de 33% de ses recettes en devises, devra donc être attentif aux mutations gazières mondiales (voir analyse développée par Pr A. Mebtoul dans la revue internationale gaz d’aujourd’hui Paris 2015 sur les mutations mondiales du marché gazier). La part du GNL représentant en 2020 plus de 40% de ce commerce mondial contre 23% à la fin des années 1990, n’est pas un marché mondial mais un marché segmenté par zones géographiques alors que le marché pétrolier est homogène, du fait de la prépondérance des canalisations, étant impossible qu’il réponde aux mêmes critères. Pour arriver un jour à un marché du gaz qui réponde aux normes boursières du pétrole (cotation journalière), il faudrait que la part du GNL passe à plus de 80%. D’ici là, car les investissements sont très lourds, tout dépendra de l’évolution entre 202122030/2040, de la demande en GNL qui sera fonction du nouveau modèle consommation énergétique mondial qui s’oriente vers la transition numérique et énergétique avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique et entre 2030/2040 de l’hydrogène qui déclassera une grande part de l’énergie transitionnelle.
Le monde s’oriente en 2021/2030, inéluctablement, vers un nouveau modèle de consommation énergétique fondé sur la transition énergétique. L’énergie, autant que l’eau, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité.
Les nouvelles dynamiques économiques modifieront les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux. La stratégie gazière mondiale et notamment en Méditerranée principal, marché de l’Algérie, la concurrence est acerbe, ne devant jamais oublier que dans la pratique des affaires et des relations internationales n’existent pas de sentiments mais, que des intérêts, chaque pays défendant ses intérêts propres.
(Suite et fin)
Professeur des universités
Expert international
Abderrahmane Mebtoul