La référence des ultracolonialistes en Algérie

Le modèle nazi

Colonialisme et nazisme, même combat ? Le cas de la répression coloniale en Algérie suggère au moins une convergence entre ces deux fléaux qui ont accablé l’humanité. En tout cas, le nazisme a été la référence qui s’est imposée à chaque fois qu’il fallait caractériser la cruauté de l’armée française face à la résistance du peuple algérien pendant la Guerre de libération nationale. Avant d’être froidement tuée d’une balle dans la nuque, sur ordre d’un officier, Raymonde Peschard avait traité de «nazis»les soldats du lieutenant-colonel Sagalbe. C’est ce que rapporte Djoudi Attoumi dans son livre «Avoir vingt ans dans le maquis».

La chahida Raymonde Peschard avait rejoint l’Armée de libération nationale (ALN) en mars 1957, en wilaya 3 où on lui a donné le surnom de Taous. Le 26 novembre 1957, en route vers la Tunisie, son groupe a été encerclé par l’armée française à une vingtaine de kilomètres au Nord-Ouest de Medjana, près de Bordj Bou-Arréridj. Elle a été blessée. Quand elle a vu que les moudjahidine blessés – Arezki Oukmanou, Si Moh et les étudiants Rachid Belhocine et Redjouani – ont été achevés, criblés de balles, elle a traité les soldats français de «nazis».
Comme pour lui prouver qu’elle avait raison, c’est l’officier lui-même qui lui tira une balle dans la nuque, à bout portant. C’était dans les habitudes de l’armée française : après un accrochage avec l’ALN, pour «améliorer le bilan», selon la formule d’appelés choqués par les scènes qu’ils ont vues (Raphaëlle Branche, «Papa, qu’as-tu fait en Algérie. Enquête sur un silence familial», p.179), les officiers de l’armée française donnaient systématiquement l’ordre d’achever les moudjahidine blessés.

Les mêmes méthodes
Le 18 mai 1957, vers 20h, rue Polignac (actuelle rue des Fusillés, Ruisseau, Alger), un fidaï de la Zone autonome d’Alger tire sur un groupe de trois parachutistes de l’armée française qui regagnaient leur campement installé à proximité, chemin Vauban ; un para est tué, un autre blessé, le troisième non touché. L’attentat entraîna la réaction immédiate des paras qui sont sortis du campement et ont bouclé le quartier. En représailles, ils ont tué au moins 30 musulmans et en ont blessé 15 autres, bilan donné à l’époque par les autorités coloniales. Un confrère (Samir Azzoug, «La Tribune» du 15 juin 2012) a rappelé ce fait en le comparant au massacre commis pendant la Seconde Guerre mondiale dans le village français d’Ascq (Lille, France) par des troupes de la Waffen SS (Organisation paramilitaire et policière nazie). À la suite d’un attentat contre un convoi militaire aux abords de la gare d’Ascq dans la nuit du 1er avril 1944 au 2 avril 1944, quatre-vingt-six civils ont été fusillés par l’armée allemande qui occupait la France. Treize ans, à peine, séparent ces deux faits similaires.
«Quant aux interrogatoires ? Pour les détails, reportez-vous à la Gestapo en France, il y a quelques années. Les méthodes sont les mêmes, sauf que dans les bleds perdus comme B., les flics utilisent les moyens du bord : courant de dynamo, pieds, poing, sel. J’arrête sur ce sujet»(Lettre d’un appelé à son frère, citée par Raphaëlle Branche). Pendant la lutte de libération nationale, la torture n’a pas été le monopole des paras. Jusqu’au début 1957, les interrogatoires étaient menées par la police, la DST (Direction de la surveillance du territoire), dont la torture «était peut-être moins hystérique que celle pratiquée plus tard par les ‘’paras’’ (qui n’étaient pas encore rentrés à Alger) mais plus professionnelle et efficace»…, se souvient Jules Molina («Un communiste d’Algérie») arrêté au début du mois d’avril 1956.
A partir du 7 janvier 1957, «l’ensemble des pouvoirs de police, normalement dévolus à l’autorité civile, sont dévolus à l’autorité militaire», stipule l’article 1 de l’arrêté rendu public par le préfet de police Barret, sur instruction de Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie, (résidant, avec un a, a tenu à préciser à l’époque Guy Mollet, président du Conseil, «par cette subtilité, le gouvernement avait voulu souligner que le ministre resterait en permanence en Algérie, durant son mandat», explique Alain Ruscio, dans son livre «Les communistes et l’Algérie». Des origines à la Guerre d’indépendance, 1920-1962 »). Le général Jacques Massu, chef des paras de la Xème Division, a reçu tous les pouvoirs pour le «maintien de l’ordre» dans l’agglomération d’Alger. Les tortionnaires ont la voie libre. Dans la salle de torture, les officiers paras «se flattent d’être les émules de la Gestapo» (Henri Alleg, La Question). Le capitaine Faulques, chef des tortionnaires de la villa Susini, se vante, devant Henri Alleg, d’être «le fameux capitaine SS». «Vous avez entendu parler ?», lui lance-t-il après l’avoir frappé et jeté par terre. Le lieutenant Erulin prend la suite et hurle en plein dans le visage de Henri Alleg : «Ici, c’est la Gestapo ! Tu connais la Gestapo ?». C’est rapporté par Henri Alleg dans son livre «La Question», publié en 1958, qui a révélé à l’opinion publique mondiale la pratique de la torture par les officiers parachutistes, spécialement, dans son cas, par ceux de la Légion étrangère (1er REP, bérets verts) composée en majorité d’anciens soldats nazis, dont des Allemands et des Polonais.
En relatant l’histoire de l’engagement dans la lutte de libération nationale de l’«Algérienne, Eliette Loup», dans son livre intitulé «Ma guerre d’Algérie», André Moine – lui-même militant de l’indépendance, arrêté en juillet 1957, et torturé, emprisonné à Serkadji puis aux Baumettes, libéré après le cessez-le-feu – mentionne la présence de «paras, des jeunes, un Polonais et un Allemand «parmi les soldats qui ont mis en place dans une «planque» de militants clandestins une souricière supervisée par le capitaine Faulques. Les légionnaires étrangers, d’origine nazi la plupart, étaient facilement reconnaissables.
«Avec Le Pen, il n’y avait que des paras allemands», a témoigné un des «Torturés par Le Pen», dans le livre qui porte ce titre, publié par Hamid Bousselham dont l’oncle paternel, M’hamed, avait été «arrêté en 1957 à Sidi Bel-Abbès, par les paras de la Légion étrangère, avec dix-sept jeunes résistants, torturés pendant des jours, avant d’être jetés, encore vivants, dans un four à chaux des environs de la ville». Ils ont rendu leur dernier souffle dans ce «four crématoire diabolique d’un genre tout à fait nouveau, méconnu ailleurs, mais, hélas, souvent utilisé par les paras pour ne laisser aucune trace de leurs forfaits». L’auteur compare «ce four crématoire terriblement performant et tout aussi inhumain» aux «fours crématoires nazis». Il se demande si «on peut s’autoriser à comparer la folie des hommes dans les camps nazis et dans les geôles coloniales de l’Algérie martyre ?».

Une comparaison automatique
Sa pensée va «aux Tziganes, aux Juifs, aux communistes morts dans les camps nazis et à nos martyrs».
Un soldat appelé a visité un centre où se pratiquait la torture. «Les cellules trop petites dans lesquelles sont contraints de se tenir des dizaines de prisonniers dans un tunnel, lui font penser à ce qu’il a entendu dire des pratiques nazies» (Raphaëlle Branche, déjà cité, p. 199). Dans ce même livre : «Nous étions des envahisseurs comme l’armée allemande en France en 1940, des SS», écrit un appelé pour exprimer l’impression tirée de son passage à Nedroma en automne 1960.
La comparaison avec le nazisme est automatique dans les récits des appelés qui ont noté dans leur «journal intime» les horreurs qu’ils ont vues et les impressions qu’elles ont laissées à jamais sur eux.
Quelle différence entre la cruauté des colonialistes et celle des nazis ?, interroge l’un d’eux, et il répond : «Il n’y a aucune différence». Il faut lire le livre de Raphaëlle Branche, «Papa, qu’as-tu fait en Algérie. Enquête sur un silence familial», on dirait qu’il a été écrit pour faire ressortir l’empreinte nazie dans l’action militaire française en Algérie. «Combien d’Oradour-sur-Glane en Algérie ?». Oradour, «ce nom propre renvoie au village martyr du Limousin, «témoignage de la barbarie allemande et des souffrances du peuple français au cours des quatre années d’occupation, où périrent 642 personnes le 10 juin 1944», explique Raphaëlle Branche. (p.199). La différence : en Algérie, ce sont des «Oradour sans église», fait remarquer un appelé dans son journal, en août 1957.
Les tendances fascistes des mouvements extrémistes partisans de l’Algérie française sont apparues lors des manifestations du 13 mai 1958.
Les Juifs qui avaient déjà noté la compromission des représentants de ces mouvements extrémistes en Algérie avec le gouvernement de Vichy (soumis aux nazis, il avait dès 1940 promulgué des lois raciales à l’encontre des Juifs) se sont rendus compte, après le 13 mai 1958, que «les ultracolonialistes voulaient instaurer le fascisme en France», fait remarquer William Sportisse («Le Camp des oliviers» Entretiens avec Pierre-Jean Le Foll-Luciani). Il souligne qu’«il n’y a pas eu beaucoup de Juifs dans les comités de salut public».
Fascisme et nazisme vont ensemble. Parmi les extrémistes partisans de l’Algérie française qui s’agitent en janvier 1960 pour arrêter le cours des évènements qui mènent à la libération de l’Algérie de l’occupation coloniale, il y a un certain «M. Bilger, ancien leader des chemises vertes pro-nazies avant guerre dans le Haut-Rhin», (cité dans le livre «Barricades et colonels», de Merry et Serge Bromberger, Georgette Elgey, J.-F. Chauvel, p.89). Un autre, Philippe de Massey est également cité dans le même livre (p.75) pour sa tentative de «constituer dans le Nord (de la France) une force de frappe reposant sur les activistes belges et l’Association des Anciens SS», comme appui aux extrémistes Pieds-noirs algérois. Il y a les enfants de «collabos», comme ceux «d’un commissaire de police, fusillé à la libération, animateurs de Jeune Nation, un mouvement estudiantin de tendance national-socialiste, ayant pour emblème la Croix celtique» (p.89).
Le 24 janvier 1960, premier jour de la «semaine des barricades» érigées à Alger par les ultra partisans de l’Algérie française, «les officiers en tenue léopard qui font le tour de la ville en jeep, sont fâcheusement impressionnés «par les civils en armes, en chemise kaki avec des brassards à croix celtique (croix entourée d’un cercle)».
Les auteurs du livre précisent qu’il s’agit de la milice d’Ortiz (p.204), qui donnera plus tard ses effectifs à la criminelle OAS (Organisation de l’armée secrète). La création de l’OAS a traduit la collusion entre colonialistes et fascistes. Des historiens ont établi que l’OAS a été créée en Espagne le 11 février 1961 avec l’aide de Ramón Serrano Súñer, beau-frère de Franco et qui était connu pour avoir organisé la rencontre entre Hitler et Franco le 23 octobre 1940 à Hendaye, puis entre Franco et Mussolini le 12 février 1941 à Bordighera.

Idem pour l’OAS
A contrario, anti-colonialistes et anti-
fascistes ont fait un en Algérie comme le montrent les exemples de Georges Raffini et Maurice Laban qui ont fait partie des brigades internationales dans la guerre d’Espagne, contre le franquisme, et ont, ensuite, combattu contre le colonialisme pour l’indépendance de l’Algérie.
D’après «Le Monde» du 13 juin 1961, l’assassinat, à coups de poignard de parachutiste, du commissaire central d’Alger Roger Gavoury, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1961, a été accompli, pour le compte de l’OAS, par deux légionnaires, arrêtés avec cinq autres, tous déserteurs du 1er R.E.P. La même source indique que l’un des légionnaires qui a joué le rôle d’ordonnateur de l’assassinat avait été condamné à mort par la justice française en 1945 pour avoir appartenu aux Waffen SS. Il s’engagea dans la Légion étrangère et combattit un temps dans ses rangs en Indochine avant de s’établir à Alger. Il a été soupçonné d’avoir organisé l’attentat au plastic dont aurait pu être victime M. Coup de Fréjac, directeur de l’information à la délégation générale. «La Dépêche quotidienne» avait révélé que le fanion nazi était accroché à un des murs de la villa (à Bouzaréah) où ont été arrêtés les légionnaires assassins. Le 25 janvier 1961, avant l’annonce de la création de l’OAS, Me Pierre Popie, avocat algérois favorable aux Algériens, avait été poignardé de la même façon, dans le dos.

Les pratiques monstrueuses
des colonialistes
Le 8 mai 1945 et les jours suivants, à Guelma, Sétif, Kherrata et plusieurs autres villes d’Algérie, l’armée française aidée par les milices de colons a organisé une répression sauvage contre la population algérienne qui réclamait son droit légitime à la liberté et à l’indépendance. Avant d’être fusillés, «les hommes qui vont mourir sont contraint de creuser les fosses de ceux qui viennent d’être tués», écrit Henri Alleg («La guerre d’Algérie», tome 1). Il rapporte un témoignage bouleversant: «Les légionnaires prenaient les nourrissons par les pieds, les faisaient tournoyer et les jetaient contre les parois de pierre où leur chair s’éparpillait sur les rochers». Les corps de prisonniers exécutés par rangées, dans le dos, étaient précipités du haut d’une falaise.
Des corps sont brûlés dans les fours à chaux. Des groupes de prisonniers enchaînés sont écrasés sous les roues des chars des légionnaires. Ces monstres étaient dans la lignée des généraux sanguinaires (Saint Arnaud, Pélissier, Cavaignac…), qui les ont devancés dans la barbarie au siècle précédent et sont devenus tristement célèbres par les enfumades de grottes où des résistants et la population se réfugiaient et mouraient asphyxiés. Bien plus tard, en 1985, dans l’Algérie indépendante, sur la base de témoignages directs, le cinéaste Azzedine Meddour révélait pour la première fois au grand public, dans un film documentaire (en 35 mm) «Algérie, combien je vous aime», que des prisonniers de guerre algériens avaient été utilisés comme cobayes durant des expériences nucléaires françaises au Sahara sous domination coloniale.
M’hamed Rebah