Le rêve est gratuit

Ne m’en voulez pas

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Revenons à notre sinistre voleur, devenu milliardaire, en l’espace d’un été. En r&alité, je voudrais à travers lui vous parler de ses semblables, et ils sont légion dans notre pays. C’est un peu une nouvelle génération de «nervis» qui s’implante au détriment d’une autre génération, modeste, humble, sérieuse, laborieuse, engagée, élevant ses enfants dans la rigueur des vertus cardinales et dans le respect de nos bonnes traditions. En effet, je vous ai parlé de l’acquisition des terres, voyons maintenant comment vend-il ces terres. Par le procédé le plus démoniaque ! Eh oui, sous la barbe de la justice ou, qui sais, avec la complicité des «hommes» de la justice. Vous voulez acheter un terrain, il vous le vend, selon un «procédé génial», même si les transactions concernant le foncier agricole sont interdites. Un petit jugement, au niveau d’un tribunal complaisant, et le tour est joué. Vous devenez acquéreur d’un terrain légalement et, tenez-vous bien, vous êtes détenteur d’un acte officiel dûment établi par la «justice» de votre pays. De quelle manière ? Il vous propose une parcelle de terre. Elle vous plait. Vous vous imaginez une belle maison, la vôtre, construite sur ce site merveilleux. Mais le hic est que ce terrain est inaliénable, parce qu’il se situe dans une zone agricole.
Il vous le vend quand même, et à un prix très fort, vous sachant dans le besoin d’une bonne parcelle pour édifier la demeure de votre vie. Vous vous posez encore une autre question: comment se termine «l’affaire» ? Rien de plus simple. Il vous cède le terrain «inaliénable», prend son dû et vous demande d’engager une procédure contre lui, auprès du tribunal, pour le motif de «dettes impayées» ou de «chèques sans provision», que sais-je encore. Vous vous exécutez. Vous «l’attaquez» comme disent les fervents passionnés des cours de justice et de procès interminables. Il est convoqué à l’audience. Il se présente, tout content de voir sa transaction se concrétiser publiquement et juridiquement. Le tribunal siège pour démêler cette affaire, au demeurant banale pour la justice, mais lourde de conséquence pour celui qui constate l’altération des mœurs dans une société déjà épuisée par tant de vicissitudes. «Hakamet el Mahkama…» et là, le président du Tribunal donne raison à une «fripouille» de la pire espèce, sans le savoir, d’abord au détriment de la loi, ensuite au détriment de la morale et de l’équité.
Et pourquoi ne le ferait-il pas quand le plaignant réclame son argent et que le mis en cause déclare, sur la foi du serment, devant Dieu et le tribunal : «ne pas avoir un sou pour rembourser ses dettes» et qu’il pourrait éventuellement céder, en contrepartie, une parcelle de terre. Que ferait le tribunal – dans le cas où ce dernier n’est pas complice – devant la malice d’un dégoûtant et méprisable individu ? Que ferait-il quand il ne peut lire dans les mains de ces deux plaideurs qui viennent entériner un marché illicite et repartir, satisfaits, d’avoir acquis ce qu’ils voulaient et surtout d’avoir déjoué cette loi que personne n’aime voir s’appliquer correctement. L’opération s’est répétée plusieurs fois et là l’on se demande si, effectivement, la justice n’a pu déceler, à la longue, un quelconque caractère de «cocasserie» dans ces jugements plusieurs fois réitérés. A moins que ! Continuons le récit de nos histoires alléchantes. Le palmarès de cet énergumène, de mauvaise foi, est lourd …de conséquences, pour ne pas dire qu’il est «la palme des palmes» de la canaillerie et de la forfaiture.

Nous savons tous qu’à une certaine époque, du temps de «l’âge d’or» de notre pays, on construisait à un rythme accéléré. Des opérateurs naissaient de partout, notamment ces «passagers» qui venaient en complément, avec de petites et moyennes entreprises, pour aider à la concrétisation du programme de relance et lui donner plus d’efficacité. Mais combien étaient-ils ceux qui réfléchissaient de la sorte ? Combien étaient-ils ceux qui agissaient pour l’intérêt du pays et s’investissaient corps et âme pour édifier un patrimoine qui devait nous enorgueillir et témoigner de notre courage et de notre solidarité ? En tout cas, notre voyou n’était pas et ne sera jamais de ceux-là. Il ne peut jamais appartenir à cette catégorie de producteurs qui ont l’amour du pays, le sens du respect et le sentiment de la probité. Son amour à lui, c’était et c’est toujours l’argent. Bien sûr un argent qu’il gagne facilement et, sans aller très loin dans l’explication, j’ajouterai…, perfidement. C’est dire que celui que les malheurs n’ont pas corrigé ne se convertira jamais. Continuons, pour dire encore comment a-t-il fait pour avoir autant d’argent ? A-t-il l’initiative pour aller au devant des grands chantiers producteurs et rentables ? Non ! Notre gars est un parasite, mais un parasite dont avait besoin, pendant un temps, une horde de pourris qui remplissait l’administration. Il s’est investi dans le transport des gravats pour débarrasser les chantiers de construction et surtout les routes.
Et c’est là où il a «remué ses méninges» et déployé son intelligence pour gagner des sommes faramineuses. Rien de plus facile que de s’occuper d’un négoce où il n’y a pas de cassement de tête. Rien de plus facile que de louer des camions chez d’autres personnes et de les mettre, au nom d’une société fantoche, à la disposition d’une grande administration. Ainsi, l’affaire est réglée et…gagnée. Il ne reste qu’à facturer «lourdement» des prestations que n’importe qui peut effectuer. Et c’est là où je m’arrête un moment pour expliquer comment se faisaient les factures. Également, rien de plus simple. Quand le camion parcourait une distance de 1 kilomètre, la facture mentionnait 10. Il suffisait d’ajouter un «simple zéro». Quand il en faisait I0, la facture mentionnait 100. Généralement, elles ne descendaient pas en dessous de cent kilomètres, puisqu’il y avait beaucoup d’argent à dépenser et le contrôle n’existait pratiquement pas. Et encore qui contrôlait puisque c’était le «chef- payeur» qui recommandait et insistait sur ce genre d’opération, avec la conviction de se voir verser la moitié du rabiot ? En l’espace de quelque mois, notre «entrepreneur», cet oiseau de mauvais augures, ne savait plus où mettre son argent. Il en avait tellement qu’il a oublié qu’il venait de ce lieu-dit où il empestait l’odeur des caprins.
Il ne s’est plus senti car, de la manière dont il discutait avec de valeureux personnages, dont le destin les a soumis à vivre un fonctionnariat débilitant, on comprenait que la vie qui venait de lui sourire ne lui a pas tout dit sur le sort réservé aux voleurs de son espèce. Des marchés pareils ne peuvent pas rester impunément…sans conséquence ! Sinon, où est le bien par rapport au mal, où est la justice par rapport à l’injustice ? Sinon, doit-on inverser la maxime et dire que la certitude de l’insensé vaut mieux que l’opinion du sage? Mesdames, Messieurs, je peux vous entretenir de la sorte jusqu’à demain matin. Mon répertoire est chargé, tout comme mon cœur. Le vôtre aussi, je n’en doute pas. Mais que voulez-vous ? Simplement, avant de quitter cet horrible personnage, je veux vous assurer que si j’ai tardé avec lui, ce n’est pas du remplissage, c’est parce que je voulais faire le procès d’une société malade, avec ses acteurs qui ne lésinent sur aucun «procédé» pour arriver à leurs fins et, par conséquent, altèrent notre confiance et corrompent notre atmosphère que nous voulons saine et sereine.

A ces mots quelqu’un se lève promptement, un homme d’apparence vulgaire, à la bedaine turgescente, signe distinctif de ces grossiers bouseux, et là l’on comprend qu’il a été touché, voire choqué, par ce que vient de raconter l’artiste. Il doit être de ces gens-là, ces pouilleux qui ne désemparent pas devant le danger et qui ne s’arrêtent pas de dérober au peuple cette richesse qui doit être équitablement répartie, au travers de projets d’utilité publique. Il s’adresse à l’assistance avec arrogance, comme s’il était payé pour défendre cette caste de voleurs qui vous empestent l’existence.
– Vous n’avez vu que ce type-là ! Pourquoi vous le critiquez de cette manière, en utilisant des expressions que vous ne devriez utiliser ? A-t-il pris votre argent, de votre poche ? Et ensuite, de quoi je me mêle, quand je sais que l’État lui-même permet ce genre de transaction illicite ? Est-ce lui qui a proposé ces arrangements ou l’administration qui est pourrie jusqu’à la moelle ? Dites la vérité ! Également, cette histoire de terre, qui lui a permis d’agir ainsi ? N’est-ce pas la justice, ce pouvoir où foisonnent les corrompus, les goinfres et les voraces ? Qui entretient les juges ? N’est-ce pas leurs pratiques machiavéliques…, par lesquelles ils donnent afin de recevoir autant, sinon plus ? D’ailleurs cela se passe de la même manière dans toutes les administrations où le «tampon» est intéressant, lucratif, voire rémunérateur. L’artiste encaisse la réplique et s’abandonne instinctivement à ses pensées. C’est vrai, se dit-il, en lui-même, qui a permis à ceux-là de bomber le torse ? Nous les dénonçons. C’est bien ! Mais d’où leur viennent ces fortunes et cette puissance, si ce n’est du pouvoir central ou, à la rigueur, de ces «Chefs» indélicats qui le représentent.
A partir de là, l’artiste s’élance, une fois de plus, en une remarquable satire contre ce monde étrange qui regorge de gens maculés par la honte et la dépravation. Aléa jacta est ! Après tout, ce n’est pas mon problème, c’est celui de ceux qui nous gouvernent. C’est à eux de se défendre, et c’est à eux d’aller vers des solutions claires qui feraient de notre pays, un pays respectable. – En effet, c’est triste un constat pareil, comme l’ont annoncé les jeunes. Vous aussi, vous avez raison, même si je n’apprécie pas votre façon d’intervenir et n’aime pas votre arrogance. Mais que voulez-vous, je dois vous laisser parler, parce que, vous aussi, vous êtes dans le rêve, ce rêve qui est gratuit, comme je ne cesse de vous le répéter. Voyez-vous, je voudrais m’arrêter de temps à autre, pour ne pas trop vous fatiguer avec ce que pensent être des fantasmes les gens comme vous, ceux qui ont profité de la mansuétude du système, et qui semblent être arrivés au sommet de la pyramide, mais le souffleur qui est là, qui me regarde et me talonne, me dit qu’il faut poursuivre le rêve jusqu’à la fin. Je n’y peux rien, je dois me conformer à mon texte. Je suis payé pour ça. Les artistes ne sont-ils pas payés pour vous amuser, pour vous distraire ou vous ennuyer, en tout cas, pour vous éclairer sur certaines choses de la vie ? Continuons, notre rêve.
Oui, continuons, dans le même style, sans complaisance et sans indulgence, car les questions qui nous taraudent, doivent être posées, même si nous subissons ce rêve on ne peut plus difficilement. Il faut les poser quand même. La première. N’ont-ils pas peut-être raison, ces bouseux, quand ils se comportent de la sorte, c’est-à-dire lorsqu’ils nous défient, irrespectueusement et insolemment ? Le génie malfaisant qui nous tarabuste de près nous dit : oui, ils ont peut-être raison de se comporter de la sorte, lorsque l’État perd son autorité et démontre toute sa faiblesse devant des événements qu’il aurait dû prendre en charge, comme tout État qui se respecte. De ce fait, il cède devant ces masses de gens qui ont complètement changé, parce que leur comportement n’est pas comme celui d’avant, lorsqu’ils étaient plus vaillants devant les vicissitudes, plus loyaux envers leur pays, plus déférents envers leurs supérieurs et plus scrupuleux envers la morale. Oui, ils ont complètement changé par rapport à avant lorsqu’ils étaient plus respectueux des valeurs, plus attachés aux constantes, plus cléments envers les pauvres et les nécessiteux, plus solidaires dans le malheur et l’affliction. Ainsi, dans cette atmosphère d’abandon et de démission, nous constatons une grande dégradation qui touche tous les domaines et qui nous conduit tout droit vers la désuétude.

La deuxième. N’ont-ils pas peut-être raison quand ils vont au fond des choses, dans leur simplicité ou, dans leur ruse paysanne – c’est selon – en affirmant que le pouvoir n’est pas «fréquentable» pour les «dérapages» et les «extravagances» que ses dirigeants commettent ? Ainsi, ils n’ont aucune gêne quand ils ne le respectent pas. L’autre génie malfaisant – hélas il y en a plusieurs – nous interpelle pour nous pousser à croire que ce que disent ces «anciens pauvres» est vrai, surtout en ces moments où le pouvoir – comprenez ses responsables – dit une chose et son contraire, en ces moments où il souffle le chaud et le froid, et perd le peu de crédibilité qui lui reste. C’est dommage ! En effet, comment le respectent-ils, lorsque ce dernier, le pouvoir, se permet des écarts dans l’application de ce qu’il y a de plus sacré dans ce qu’il considérait comme des constantes du pays. Les exemples sont nombreux et la pratique de « l’entorse » dans l’application des orientations et l’exécution des directives était, il y a quelque temps, et elle reste hélas, une monnaie courante. Si bien que beaucoup de gens, même parmi les plus honnêtes, étaient par trop septiques quand il leur était demandé de soutenir telle ou telle « option », classée, alors, dans les idéaux qu’avait conçus la «Révolution». Ils avaient même de l’aversion contre ce pouvoir représenté par une faune de « simplets» et de dévoyés qui s’excitaient beaucoup plus pour leurs propres affaires que pour les intérêts du peuple.
Oui, ce langage n’est pas dur, il ne sent ni la diffamation, ni l’insulte, il est direct et sincère…, il explique cette sacrée mascarade où des pitres, reconvertis en responsables, tenaient (et tiennent encore) le haut du pavé dans une république qui a perdu ses marques. Ils n’arrivaient plus à croire ce pouvoir qui leur mentait, par le biais de responsables aussi sales que les collectifs de bandits. Ils ne pouvaient plus supporter l’idée d’avoir affaire à un pouvoir qui gardait en son sein des hommes prétentieux, au comportement défiant toutes les règles de la morale, à la conduite dépravée qui n’inspire aucune confiance. Enfin, ils ne voulaient plus comprendre pourquoi ce pouvoir s’obstinait à perpétuer son règne, malgré qu’il n’avait plus de considération, ni même sa place, au milieu d’un peuple qui lui prouvait toute sa répugnance, par son mépris, son ignorance et sa morgue. Pour ne pas rester dans les généralités – car dénoncer est courageux mais donner des exemples concrets est encore mieux – je vais aller au fond des choses pour ne pas avoir l’air d’un ennuyeux pamphlétaire. Une histoire me vient à l’esprit. Elle est faite des mêmes ingrédients que celles que j’ai racontées déjà. Celle-ci peut traduire, à elle seule, toute la fourberie de ces responsables qui gravitaient autour du pouvoir, qui lui portaient préjudice et qui persistaient à y demeurer pour le corrompre et le «putréfier» davantage et, par delà, tirer de nombreux privilèges et de substantiels bénéfices.
J’emploie le passé, mais je peux employer le présent car les mêmes «traditions» persistent, dans un environnement qui n’a pas tellement changé. Sauf qu’aujourd’hui, il y a peut-être une relative liberté d’expression avec, cependant, autant de dédain et d’irrévérence de la part de certains hauts responsables, au sein du pouvoir, à l’égard des citoyens. Il faut le dire clairement car cette démocratie tellement psalmodiée, n’est pas encore au seuil de notre porte. Nous parlerons de cela, plus tard. Revenons à notre histoire. Elle sera longue. Prenez patience car vous n’avez pas autre chose à faire. Et d’ailleurs vous êtes dans un rêve et je vous rappelle, encore une fois, qu’on peut tout se permettre… même d’être harassant, provocant et désagréable quelquefois. Le rêve n’est-il pas gratuit, comme je le dis constamment ? Notre histoire a donc pour décor, cette fameuse révolution agraire. Elle a pour composants la feinte et la ruse, plutôt la fausseté et l’hypocrisie, des gens du pouvoir et la crédulité des pauvres citoyens qui attendaient beaucoup de cette option, dite fondamentale. De quoi s’agit-il dans cette histoire ? Suivez-moi pour tout comprendre. Cela se passait, quelque part, dans une coopérative agricole de la révolution agraire. Ce jour-là, il y avait une animation inhabituelle sur les lieux où régnait une ambiance de joie et d’allégresse.

La coopérative s’était parée de ses plus beaux atours et les nombreuses banderoles, confectionnées pour cette toute première cérémonie dans le pays, insistaient sur l’esprit de non-retour et sur les positions inaliénables des paysans quant à l’application de cette «option irréversible». Des poignées de main chaleureuses et des accolades fraternelles montraient, dans la solennité de l’opération, ce désir de rapprochement entre les gens du pouvoir et leurs administrés et, dans ce cas particulier, toute la relation entre la révolution et ses artisans qui l’appliquaient et la défendaient avec force et engagement. Les responsables ont pris la parole, avec beaucoup d’enthousiasme et de satisfaction pour dire, dans l’aisance de la circonstance, tout ce qu’ils pensaient de cette révolution et de son impact dans la société. Ils ont expliqué ses dimensions et sensibilisé les ayants droit pour aller toujours de l’avant, en travaillant davantage, en produisant plus et en défendant inlassablement ses acquis. Ils ont insisté sur la vigilance en mettant en garde les bénéficiaires sur les éventuelles réactions de ceux qui attendaient quelques faux pas pour tricher et entamer la volonté des paysans dans cette grande opération. Des applaudissements nourris suivaient chaque prise de parole.
Ce jour-là était la preuve irréfutable de la réussite de cette option pour la région et, par voie de conséquence, pour l’ensemble du pays. Si cette dernière a réussi et a fait des bénéfices dans cette région, pourquoi pas dans d’autres, dans tout le pays, disait-on à un certain niveau du pouvoir ? L’événement a été porté au petit écran qui s’investissait dans presque tous les foyers. C’est dire que cette cérémonie, à travers le message qu’elle transmettait, pouvait être également un autre moyen de sensibilisation puisqu’elle devenait l’exemple d’une si belle réussite et une preuve concrète de la réhabilitation du paysan avec sa terre, dans ses traditions séculaires et dans sa propre culture. Effectivement, c’était la première fois que le paysan recevait des mains de ses responsables des bénéfices – une somme d’argent appréciable – «parce qu’il avait bien travaillé et produit suffisamment». Je mets ce bout de phrase entre guillemets…, vous saurez pourquoi à la fin de cette chronique. Ainsi, devant les flashs des photographes, les projecteurs et les caméras de la télévision, un bataclan étrange et insolite pour ces gens habitués plutôt à une vie simple, avec le chant du coq et la grisaille du matin, ils venaient un à un devant la tribune, d’un pas décidé, comme s’ils avaient répété maintes fois l’opération.
Ils avançaient souriants, visiblement satisfaits, pour recevoir leurs enveloppes, épaisses en apparence et soigneusement remplies par des «responsables soucieux de la bonne marche de la révolution agraire». Les journalistes présents, en bon nombre bien sûr, s’empressaient de reproduire dans leurs écrits et d’imprimer sur leurs pellicules, ces instants de bonheur en des tableaux inédits qui feront le tour du pays… C’était l’un des moments les plus importants de la révolution agraire. C’était un moment crucial car il signifiait pour tous le début d’une réussite tant attendue et le couronnement d’une étape faite de labeur et d’engagement. Le partage des bénéfices devenait par la suite une affaire courante dans l’ensemble du pays. Toutes les régions distribuaient des enveloppes. La télévision ne montrait que cela, un certain moment, même si souvent le contenu ne pouvait jamais atteindre celui de cette première opération dans la région où est née cette «histoire». Ainsi, chaque période d’application possédait ses moments forts, de la distribution des terres, à l’attribution des titres de propriété, au partage des bénéfices et à la remise des logements dans des «villages socialistes».

En somme, tout était réglé pour que ça marche bien et que l’ensemble des bénéficiaires puisse avoir plus de goût pour le travail et le rendement. Mais qu’y avait-il exactement derrière ces opérations qui mobilisaient plus d’un, les militants et les responsables ? Ces opérations étaient-elles honnêtes et sincères pour aboutir à la concrétisation de toutes les phases de la révolution agraire et, partant, pour investir le monde rural et en faire du secteur agricole un monde économiquement et socialement plus acceptable ? Ces questions ne pouvaient trouver leurs réponses qu’avec le temps. Et le temps qui a changé a livré certaines vérités amères sur ces responsables aux mœurs douteuses et aux pratiques aventureuses, pour ne pas dire frauduleuses et perfides. De ce fait, concernant cette option qui fut soutenue à bras-le-corps par de véritables militants et de loyaux citoyens, c’est-à-dire par ces couches sociales défavorisées, il y a matière à écrire et à argumenter pour situer toutes les responsabilités. De cette manière l’on va permettre aux «acteurs» et aux «réalisateurs», de dire toute la vérité, sans jeter le discrédit – comme cela a été le cas – sur ceux qui avaient un grand intérêt à voir cette option réussir.
C’est ici le fin mot de notre histoire, une histoire encourageante apparemment, mais en réalité parsemée de fumisterie et de honte où des forbans, sans scrupules, usaient de leur autorité pour falsifier des bilans, dans le but bien évident de paraître les plus forts et, ainsi, gagner la sympathie des hauts dirigeants du pays. En ce temps-là, la révolution agraire était considérée, «en haut», comme cette pierre angulaire qui mettait les responsables «à l’épreuve»…, et donc chacun s’évertuait en usant de sa démagogie, de son opportunisme et de son hypocrisie pour plaire et se placer avantageusement dans le hit-parade des «nominés». En effet, c’est une histoire cocasse pour les amateurs d’aventures, mais elle est révélatrice d’un comportement indigne chez des responsables en qui l’État a placé toute sa confiance. La vérité, il faut la dire clairement et hautement.
La région où s’est déroulée l’histoire n’avait pas fait plus en matière de révolution agraire, et ses responsables n’étaient pas plus forts ni plus militants que les responsables des autres régions. Ils avaient, seulement, ce don de présenter des situations sous des aspects autrement plus «ornementés» que ceux qui existaient réellement sur le terrain. En tout cas, c’était une pratique à travers laquelle ils comptaient réussir. Ils ont été jusqu’à induire en erreur le Président de la République et lui arracher ce large sourire de complaisance, considéré comme un vibrant hommage pour ce qu’il chérissait le plus, en cette période de construction du socialisme. Que s’était-il passé exactement pour que chaque bénéficiaire, installé pourtant depuis peu dans cette coopérative, perçût une somme «astronomique», en guise de bénéfices, équivalente à trois fois le salaire d’un haut cadre de l’État ? Les bénéficiaires eux-mêmes n’en revenaient pas. Le secret ? Je vais vous le raconter.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)