«Avant de parler, assure-toi que ce que tu vas dire est bien meilleur que le silence»

Culture des anciens

Cette citation de grand sage ancien, mais encore d’actualité, recommande vivement à tous ceux qui daignent la suivre à la lettre de l’appliquer dans le respect des règles de l’art.

L’art de bien parler s’acquiert comme les autres arts en tenant compte d’un grand nombre de facteurs. Il faut considérer que ceux à qui on parle ont un tempérament, un niveau supposé bon, moyen, médiocre, sont-ils familiers ou inconnus ; les sujets de discussion sont-ils à la portée de tout le monde ? Eviter de parler pour ne rien dire, au risque de se faire ridiculiser. Bien des gens prennent ce risque et peu importe l’opinion des autres, ce qui compte pour eux, c’est de parler pour signifier qu’ils existent et font partie de la société. Un groupe d’individus échangeant des banalités ne suscitent que désintéressement et dégoût d’un public à l’écoute attentive. La pensée doit viser des participants réellement intéressés et qui n’interviennent que lorsqu’ils ont des idées intéressantes qui font avancer le débat. Cela doit se faire dans un échange à caractère pédagogique, par exemple, entre des enseignants d’un bon niveau et très motivés cherchant à savoir pourquoi les jeunes dans leur écrasante majorité ne lisent pas et quels procédés faut-il adopter pour recréer l’envie de lire, c’est là un exemple de sujet brûlant à débattre sérieusement et qui va dans l’intérêt d’une jeunesse qui n’a pas appris à lire ni à réfléchir et dont l’avenir est incertain. Il faut repenser sérieusement l’avenir d’une jeunesse totalement démotivée quant à son avenir scolaire. Et que de sujets comme à propos des conséquences sur le plan culturel d’une jeunesse qui a arrêté de lire depuis quelques décennies. Autre sujet majeur sur le plan scolaire, comment arrêter le copiage aux examens et c’est un véritable drame sans compter qu’il des gens qui recopient mot à mot un mémoire à soutenir alors qu’un mémoire qui mérite d’être soutenu doit être le fruit d’un travail de recherche. Il y a chez nous énormément de sujets essentiels qui doivent être l’affaire de vrais spécialistes qui ont toujours réussi à la sueur de leur front.

Parle si tu as quelque chose à dire, sinon garde le silence
Cette pensée est venue d’un grand dramaturge de la Grèce antique et connu sous le nom d’Euripide. En tant qu’homme de théâtre, il parle en connaissance de cause, lui qui a fait de la vie sociale, une source inépuisable d’inspiration pour bâtir des scénarios d’une centaine de pièces de théâtre dont les personnages sont représentatifs de toutes les catégories sociales. Son théâtre marqué par les guerres du Péloponnèse, déconcerta ses contemporains par ses innovations dramatiques importantes et par ses analyses psychologiques qui ont permis un rajeunissement des mythes et une autre forme d’intervention des chœurs. Dans un village, imaginons une discussion à bâtons rompus à l’image d’une pièce théâtrale entre partenaires qui n’arrivent pas à se mettre d’accord, au cours d’une réunion sur la place publique, sur des sujets intéressant la communauté, par exemple : la propreté dans l’environnement, l’état de dégradation des routes. Il y a à ce sujet des interventions logiques : mobilisons-nous pour une opération de nettoyage, disent ces gens sensés qui cherchent à aller droit au but, pendant que d’autres font du bavardage en affirmant ne pas être disposés à y participer sous prétexte que ni ses enfants ni lui-même n’ont jamais été la cause de quelque dégradation ou salissure que ce soit. Un autre voisin arrive, on lui réexplique les raisons de cette réunion alors qu’il avait été informé depuis une semaine par voie d’affichage.
Ce dernier répond de go qu’il refuse d’y prendre part, trouvant que les parents des enfants qui causent les pires dégâts sont indifférents. Et sur un ton de mépris, un vieux encore solide a tenu à faire entendre sa voix pour dire : ne croyez pas qu’on va se retrousser les manches pour rendre carrossable la voie qui relie le village à la route et ce afin que les citadins puissent venir en voiture pour passer les vacances. Mais des gens de bonne volonté avaient juré de lever le défi pour améliorer le milieu et ce pour le bien de tous, ne serait-ce que pour donner une leçon de civisme à ceux qui refusent de comprendre. Très vite, on se met d’accord pour le jour et on revient en tenue de travail qui avec un balai, qui avec une pelle ou avec une brouette et la tâche commence. A cœur vaillant, rien d’impossible et sans trop parler, on se met à l’œuvre. Au bout d’une journée de travail tout le monde a constaté le changement. Même les plus jeunes comme les enfants voyant les adultes trempés de sueur pour un travail d’intérêt commun se sont mis à l’œuvre en aidant du mieux qu’ils pouvaient, cette sensibilisation vaut beaucoup plus que les paroles des gens aigris, malintentionnés.

Dommage que la nouvelle génération n’a pas suivi la voie des aînés
Les anciens étaient cartésiens avant le cartésianisme tant ils étaient méthodiques et rationnels. Quand il leur arrivait de se réunir, ils chargeaient le crieur public d’appeler les habitants à venir sur la place publique, pour affaire qui concerne tout le monde. Et lorsque la majorité est supposée être présente, le premier autorisé à parler c’était l’aîné, il était connu comme maître de la parole, après qu’il avait parlé, il donnait la parole à tous ceux qui veulent la prendre dans une ambiance de sérieux le plus absolu. On écoutait chaque intervention dans un silence presque religieux. Par respect, tout le monde devait rester attentif à chaque intervention. Et attention chacun avait le devoir d’être dans le bon sens en parlant et de parler dans un langage conforme aux convenances. Quiconque n’avait pas la capacité de respecter les règles imposées devaient se taire et à la moindre erreur, on s’excusait. «Parle si tu as quelque chose à dire, sinon garde le silence» était une citation de rigueur dans toutes les réunions de nos sages de l’ancien temps. Jadis, pour prendre part à un débat, il fallait avant tout savoir parler et acquérir la culture des anciens, pour cela il était impératif de suivre une formation auprès de ceux qui en avaient une longue expérience. C’était la seule école possible. On a demandé à un vieux représentant de la culture de la vieille génération, comment il avait appris à bien parler tout en acquérant la culture. C’est en écoutant d’une oreille attentive le débat entre vieux que j’assimilais puis emmagasinais dans ma mémoire. L’écoute était primordiale, mais si elle était suivie d’une bonne compréhension et d’une mémorisation. D’ailleurs, on a toujours dit qu’on ne retient bien que ce qui est bien assimilé.

La parole est ce qu’il y a de pire et de meilleur
C’est là une citation d’Esope, plus grand fabuliste du temps de Platon, plagié par toutes les générations de fabulistes venues après lui et y compris Jean de La Fontaine, pourtant renommé dans tous les temps. Esope raconte qu’étant à l’origine descendant d’esclave éthiopien et de peau noire, son maître, roi en Grèce antique, l’avait affranchi pour son extrême intelligence et ses connaissances approfondies. Il le plaça à ses côtés pour le consulter à chaque fois qu’il était en difficulté. Un jour, ce roi l’envoya au marché en lui recommandant bien de ramener ce qu’il trouverait de meilleur. Après avoir fait plusieurs haltes au marché, il acheta une langue de veau et revint chez lui. Le roi l’attendait quand tout à coup, il le vit arriver avec une langue, c’est tout ce que tu as trouvé de meilleur lui dit son maître, c’était tout ce qu’il y avait de meilleur lui répondit Esope. Le marché suivant, il l’envoya encore pour qu’il lui ramène ce qu’il y a de pire et Esope revint avec une langue. Le roi le voyant ainsi, fut décontenancé, il demanda aussitôt des explications. Esope lui fit savoir qu’il n’y a rien de meilleur et de pire qu’une langue. La langue, organe de la parole, peut sauver quelqu’un comme elle peut l’enfoncer, tout dépend de l’usage qu’on en fait. Que de gens ont pu se tirer d’embarras grâce à leur savoir-parler alors qu’ils étaient empêtrés dans de mauvaises affaires, pendant que d’autres ont échoué par leur maladresse d’expression.
Boumediene Abed