La problématique d’une nouvelle politique fiscale en Algérie liée à une stratégie de développement socio-économique

Vision stratégique

Le grand trafic auquel le gouvernement doit porter toute l’attention essentiel provient des surfacturations dont une partie reste à l’étranger et une autre partie rentre par différentes voies alimentant les marchés de devises sur le marché parallèle, constituant une atteinte à la sécurité nationale et dont la responsabilité est interministérielle : finances à travers ses démembrements, douanes, fiscalité, banques, ministère du Transport, ministère du Commerce, et bon nombre d’autres départements ministériels.

C’est en réalité une dilapidation de la rente des hydrocarbures, principale richesse du pays. Cette pratique a existé entre 1963/1999, ayant eu à le constater puisque j’ai eu à diriger le bilan de l’industrialisation 1965/1978 et le dossier des surestaries en 1983 en tant que directeur général des études économiques et haut magistrat comme premier conseiller à la Cour des comptes, au moment du programme anti-pénurie, au vu des importants montants illégaux détectés à travers des échantillons, j’avais conseillé à la présidence de l’époque d’établir un tableau de la valeur en temps réel, reliant toutes les institutions concernées aux réseaux internationaux (prix, poids, qualité), tableau qui malheureusement n’a jamais vu le jour du fait que la transparence des comptes s’attaquait à de puissants intérêts occultes. Prenons l’hypothèse d’un taux de 15% de surfacturation, étant plus facile pour les services où certaines surfacturations peuvent atteindre plus de 20-25%. Les sorties de devises de biens et services entre 2000 et fin 2018, étant estimées à environ 920 milliards de dollars, cela donnerait un montant total de sorties de devises de 138 milliards de dollars soit au cours actuels 16 530 milliards de dinars, plus que les réserves de change au 31/4/2019. Cela n’est qu’une hypothèse devant différencier acte de gestion, pratique normale de la corruption, les services de sécurité et les différents organismes de contrôle devant vérifier l’origine de ces montants de transferts illicites.

4- L’efficacité fiscale doit reposer sur la bonne gouvernance
L’on devra s’attaquer à l’essentiel, une nouvelle régulation de l’économie algérienne s’impose, existant un théorème en sciences politiques : 80% d’actions mal ciblées ont un impact seulement de 20% sur le fonctionnement de la société avec un gaspillage financier et des énergies que l’on voile par de l’activisme, mais 20% d’actions bien ciblées ont un impact de 80%, favorisant le développement, renvoyant à une vision stratégique qui fait cruellement défaut. La lutte contre la sphère informelle implique un Etat de droit qui n’est pas un Etat fonctionnaire, mais un Etat fonctionnel qui fonde son autorité à partir d’une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d’une vision future de ses perspectives. La sphère informelle n’est pas le produit historique du hasard mais trouve son essence dans les dysfonctionnements de l’Etat et ce, à travers toutes les sphères, n’étant que la résultante du poids de la bureaucratie et du trop d’Etat au sein d’une économie et du blocage des réformes. C’est faute d’une compréhension l’insérant dans le cadre de la dynamique sociale et historique, que certains reposent leurs actions sur des mesures seulement pénales la taxant de tous les maux, paradoxalement par ceux mêmes qui permettent son extension en freinant les réformes.
Cela ne concerne pas uniquement les catégories économiques mais d’autres segments difficilement quantifiables. Ainsi, la rumeur est le système d’information informel par excellence, accentué en Algérie par la tradition de la voie orale, rumeur qui peut être destructrice mais n’étant que la traduction de la faiblesse de la démocratisation du système économique et politique, donnant d’ailleurs du pouvoir à ceux qui contrôlent l’information. L’utilisation de divers actes administratifs de l’Etat à des prix administrés du fait des relations de clientèles transitent également par ce marché grâce au poids de la bureaucratie qui trouve sa puissance par l’extension de cette sphère informelle. Cela pose d’ailleurs la problématique des subventions dont toute analyse doit la lier au système fiscal (étant un acte de redistribution fiscal indirect) qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisés (parce généralisables à toutes les couches) rendant opaques la gestion de certaines entreprises publiques et nécessitant à l’avenir que ces subventions soient prises en charges non plus par les entreprises mais budgétisées au niveau du Parlement pour plus de transparence. Toutes nos recommandations posent toute la problématique du montant de l’évasion fiscale tant dans la sphère réelle qu’informelle. Bon nombre d’opérateurs privés dans leur bilan d’exploitation clôturé, remis à la fiscalité, ne reflète pas l’accumulation des richesses en biens immobiliers sans compter les transferts illégaux de capitaux via la distorsion du taux de change.
Concernant les entreprises publiques, en dehors de Sonatrach dont les comptes dépendent souvent des fluctuations des prix gaz et pétrole qui sont externes à sa gestion, (le Président de la République ayant exigé récemment une audit détaillée de cette société qui procure directement et indirectement 98% des recettes en devises du pays). Combien contribuent aux recettes fiscales après des assainissements de plusieurs diazotes de milliards de dollars ? Quel est le montant des exonérations fiscales et des prêts bancaires avec bonifications d’intérêts, depuis les 20 dernières années accordées aux différentes institutions, et ces montants ont-ils été compensés par la création de valeur ajoutée ? Force est de constater qu’après cinquante-huit ans plus tard, en ce 5 juillet 2020, l’Algérie est toujours à la recherche de son destin, avec une transition inachevée tant sur le plan politique qu’économique, mais un pays plein de vitalité. Les défis qui attendent l’Algérie sont nombreux et complexes. Toute politique de développement envisageable sur la période 2020 à 2030 n’aura de chance d’aboutir que si d’abord l’on tient compte des trajectoires du passé, afin de ne pas renouveler les mêmes erreurs. Cela implique la mise en place de nouvelles institutions débureaucratisées et décentralisées, une refonte de l’Etat et un minimum de consensus social pour la mise en œuvre, tout projet étant forcément porté par les acteurs politiques, sociaux et économiques.
(Suite et fin)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul