Bordj Menaïel ou la mémoire oubliée

Boumerdès

L’histoire riche d’une ville au passé glorieux, dont les visiteurs que nous sommes, figée dans le temps et dans l’espace, tant le progrès sous ses formes multiples tarde à frapper à ses portes.

Pourtant, par le passé et selon l’aveu même des habitants des localités limitrophes, cette localité faisait parler d’elle depuis la nuit des temps durant la période romaine, turque et avant même le déclenchement de la lutte pour l’indépendance contre le colonialisme français. En effet, selon moults témoignages recueillis sur place, Bordj Menaïel était le fief du militantisme. C’est ainsi que nous avons appris auprès des « anciens », du moins du peu qui reste de la région que les grands noms de la Guerre de libération nationale, comme feu Krim Belkacem et Amar Bouamrane, ont souvent séjourné dans la localité de Bordj Menaïel, vieille de quelque quatre siècles. Le militantisme et l’amour de la patrie trouvaient leur vocation auprès des hommes qui sans tenir le moins du monde à la reconnaissance de leurs pairs ni à celle de la postérité sont rattrapés par leur aura en continuant à illuminer la mémoire immatérielle de leur société, grâce à ceux qui n’oublient pas, malgré les vicissitudes des systèmes et du temps qui passe. Des personnages clés et charismatiques de la ville qui étaient à la fois des militants de la première heure, des martyrs qui sont tombés au Champ d’honneur les armes à la main. Chaque coin de rue, chaque arbre s’il pouvait arriver à parler, les ménailis retrouveraient leurs repères d’enfance. Il n’est pas étonnant dès lors de découvrir que pendant la Révolution et même avant 1954 que la ville de Bordj Menaïel a été un pourvoyeur de combattants de premier ordre et que si les premiers moudjahidine à avoir participé aux fameuses batailles de Boumissra, de Ghar Yahmane, de l’attaque de Blida et autres sont issus de cette région, ce n’est point le hasard.
La ville qui autrefois faisait partie du territoire de la Grande Kabylie a aussi donné naissance par le passé à des hommes de légende comme Sidi Abderrahmane Ethaalibi, un grand homme qui a consacré sa vie à la parole de Dieu, à l’Islam, à la connaissance et l’apprentissage du saint Coran, un personnage (natif des Issers et dont le chef-lieu de daïra était Bordj Menaïel) vénéré et dont Alger la Blanche est vénérée par son saint Sidi-Abderahmane Ethaalibi. Ainsi que Sidi Ahmed Bel Abbès, un personnage mythique qui a défrayé la chronique à son époque, qui savait prédire l’avenir par des versets comme celle où il disait qu’il arriverait un jour où l’eau impure monterait sur l’eau propre, allusion faite aux gens de bonne famille qui seront noyés par les opportunistes et les matérialistes. C’est la région du saint wali essalah qui a toujours veillé sur ses disciples et où beaucoup de symboles et de repères rattachés à la ville n’ont pu être traités dans cette panoplie narrative. Dans la wilaya de Boumerdès et plus spécialement dans la région de Zemmourut, où il est enterré, Sidi Ahmed Bel Abbès, wali vénéré et respecté, savait prédire l’avenir. Dans son temps, les gens avaient remarqué qu’il passait son temps à acheter des moutons qu’il égorgeait, il leur enlevait la viande qu’il offrait aux pauvres et éprouvait du plaisir à noyer dans la rivière la tête et le reste de la peau. La tête descendait dans l’eau et le reste stagnait sur la surface, ce qui voulait dire pour Sidi Ahmed Bel abbès qu’il arriverait un jour où nous assisterions à la disparition des gens honnêtes et à la recrudescence des personnes de mauvaise foi.
Pourtant, malgré ce passé «bondé» de gloires et d’honneur, la question est d’autant plus pertinente, quand on sait que la ville de Bordj Menaïel ne manque ni d’intellectuels ni de cadres ni de compétences. Mieux encore, elle a vu la naissance, de par un passé lointain et récent de figures emblématiques. Elle était belle jadis la ville des Coquelicots, localité accueillante, hospitalière et charmante, relevant autrefois de la wilaya de la Grande Kabylie et située à une trentaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya de Tizi-Ouzou. Actuellement, suite au dernier découpage administratif de 1984, elle fait partie de la wilaya de Boumerdès. Elle est la première commune la plus importante de par sa superficie et sa population et est réputée de région à vocation agricole possédant des terres fertiles regorgeant de richesses où les agriculteurs labouraient leurs champs et cultivaient leurs terres afin d’en tirer des ressources abondantes. On a souvent tendance à vouloir identifier la localité de Bordj Menaïel par un simple chiffre, «Quinze et demi», elle est située à soixante-dix kilomètres d’Alger et une trentaine de kilomètres de Tizi-Ouzou, c’est-à-dire entre la seizième wilaya (16) et la quinzième wilaya (15) d’Algérie. Cette situation régionaliste, nous semble-t-il, a faussé un tant soit peu toute l’histoire de cette charmante et coquette localité plus connue par la «ville des Coquelicots». Bordj Menaïel ne peut se confiner dans un tel monde, car autrefois elle avait ses repères et ses symboles, elle fait partie de l’histoire de l’Algérie combattante, de la lutte armée durant la Guerre de libération puisqu’elle a versé un lourd tribut. Aussi, qu’on le veuille ou pas, dans l’esprit de la population, Bordj Menaïel demeure toujours la porte d’entrée de la Grande-Kabylie qui historiquement commence à la sortie du territoire de Theniet Beni Aicha (Thenia, ex-Menerville).
Son histoire est ici, comme une hirondelle qui aux premiers bourgeons des coquelicots, le souvenir se lève altier pour nous rappeler cette grande formation footballistique de la JSBM (Jeunesse sportive de Bordj Menaïel), club fondé dans les années 1932 aux couleurs rouge et noir qui a fourni d’excellents footballeurs à l’équipe nationale algérienne, mais cela n’empêche que par respect à l’histoire sportive de la balle ronde ménaïlie, on n’omettra pas de rendre hommage aux personnes inoubliables qui avaient consacré leur vie à l’équipe locale. Bordj Menaïel est chargée d’histoire, elle regorge d’un passé constitué d’évenements réels ou légendaires en allant de la période romaine jusqu’à la période turque en passant par les vestiges et autres trouvailles de l’ère romaine, turque, qui ne demandent qu’ à entreprendre des fouilles, car la colonisation française de 1830 à 1962 a voulu les enterrer. Elle dispose d’une richesse archéologique inestimable enfouie, ou plutôt ensevelie dans les entrailles de son sol, mais l’usure du temps conjuguée à l’incurie des hommes ont fait que ce patrimoine en soit affecté. C’est une région magnifique qui se distingue par sa beauté à vous couper le souffle grâce à ses majestueux massifs montagneux où elle englobe des villages perchés sur les hauteurs à chaque fois que l’on s’y aventure : Tiharakine, Alouane, Tizi-n’ali Slimane, Taourirt, Bouassem, Ain Skhouna, Ghoumrassa, Ouriacha,Taazibt, Ouannougha, Boughaoua, Azouza, Timezrit et des dizaines de petits hameaux tels que Ouled Sidi Amara,Ouled Bentafat. D’ailleurs, beaucoup de familles sont des descendants des villages avoisinants dont ils portent le nom tels que les Ghoumrassi qui sont de Ghoumrassa, les Alouane du douar Alouane, les Ouriachi de Ouriacha, les Bougaoua de Boughaoua, les Amara de Ouled Sidi Amara, les Ouannoughi de Ouannougha, les Kaidi de Ain Skhouna.
Bordj Menaïel est une ville cosmopolite, charmante et très hospitalière qui vous accueille à bras ouverts, c’est un lieu chargé de grandes valeurs et symboles et ce n’est pas rien si autrefois il n’existait qu’une seule adresse pour recevoir son courrier, il suffisait de mettre le nom et prénom accompagnés soit de «rue de la Mosquée » ou «rue du Château d’eau ». Le facteur se chargera du reste, et quel facteur, un métier pratiqué par les Agraniou frères qui connaissaient chaque coin et recoin de la ville ainsi que chaque famille qui y résidait, que ce soit à Aïn Bouharrou, la rue du cimetière Lalla Aicha, la forêt el Calitous, la Cascade, l’écurie Moh Kouider, El Gouba (Château d’eau), la rue des Touama (Toumi), le cimetière Sidi-Zaher, le quartier la commune, la rue du Commissariat (autrefois Quartier latin), la rue de la Tabacoop, la rue du marché à côté de la cité Micheline. Si Bordj Menaïel pouvait parler, elle aurait plein de choses à raconter…
KOUIDER DJOUAB