Ananda Devi raconte le «Fardo» millénaire des femmes

Chemins d’écriture

Le nouveau livre sous la plume de la romancière mauricienne Ananda Devi n’est pas un roman, mais un exercice original d’écriture publié en coédition avec le musée des Confluences à Lyon.

Inspiré de la rencontre de l’auteure avec la momie d’une femme péruvienne, précolombienne, qui a vécu il y a trois mille ans, Fardo est un texte à mi-chemin entre anthropologie, histoire et réflexion sur l’art et l’écriture. Original dans sa forme, ce livre renoue toutefois avec les thématiques obsédantes de l’œuvre d’Ananda Devi, qui vont de la condition féminine à la violence sociale, en passant par la prise de parole par ceux qui n’ont pas droit à la parole. «Chemin d’écriture» brosse le portrait de cette autrice prolifique et féministe qui a fait de la littérature son outil d’exploration des continents de souffrances.

«Mon chemin d’écriture…»
«Ananda Devi est la voix de Maurice», a écrit Jean-Marie Le Clézio, prix Nobel de littérature. Auteure de 18 textes de fiction et 5 recueils de poésie, la romancière est l’une des écrivaines majeures de langue française. Depuis Solstices, son premier recueil de nouvelles qu’elle a publiées au sortir de l’adolescence il y a quarante ans, Devi s’est imposée, faisant entendre des voix étouffées des femmes, des exclus et autres êtres crépusculaires privés de parole dans la société patriarcale mauricienne où elle a grandi.
Les livres d’Ananda Devi racontent aussi l’Inde dont sont originaires ses ancêtres. Les légendes et les épopées indiennes revisitées nourrissent aujourd’hui les histoires que fait entendre la romancière. Dans Le voile de Draupadi, le roman qui l’a fait connaître en 1993, elle met en scène un personnage de femme obligée de marcher sur le feu dans l’espoir d’obtenir le rétablissement de son enfant malade. Dans Eve de ses décombres, roman couronné par le prix des Cinq continents de la francophonie, la Mauricienne entraîne ses lecteurs dans le monde des exclus et des marginaux, privés d’horizon.

Ce qui fait la cohérence de mon œuvre…
Anthropologue de formation et féministe par conviction, Ananda Devi est sans doute la meilleure exégète de sa propre œuvre dont Toni Morrison est la principale inspiratrice. Longtemps, la Mauricienne a gardé sur sa table de travail une photo de la romancière Africaine-Américaine, espérant s’imprégner de sa prose cadencée et féroce. Elle y est souvent arrivée, même si Ananda Devi reconnaît volontiers être assaillie de doutes et d’appréhensions.

Pour tout écrivain, une énergie qui retombe…
Une crainte injustifiée, comme en témoigne Fardo, le dernier titre sous la plume de cette écrivaine talentueuse. A mi-chemin entre récit et réflexion, Fardo s’inspire de la figure hiératique d’une femme précolombienne dont Devi a croisé le chemin au détour des couloirs d’un grand musée à Lyon où est préservée la momie de cette tisserande d’Yschma. Tenant dans une main des fuseaux, et des plumes d’oiseaux marins dans l’autre main, enveloppée dans sa protection textile appelée «fardo» avec un «o», cette femme débarquée par-delà des millénaires interpelle l’auteur qui voit en elle l’ancêtre des héroïnes de ses romans courbées sous le fardeau social. Conteuse hors pair, la Mauricienne Ananda Devi tisse avec les vestiges de la vie des récits intemporels, faisant parfois entrevoir derrière le «fardo» le chatoiement des plumes comme autant de promesses du bonheur à construire.
T. Chanda