Les musées tirent la sonnette d’alarme

Covid-19 aux États-Unis

Selon un nouveau rapport de l’American Alliance of Museums, de nombreux musées perdent actuellement des millions d’euros et sont menacés de fermeture définitive.

Samedi 21 novembre 2020. Le soleil tape sur le bitume des rues de Houston, dans l’État du Texas, où se déroule l’inauguration d’un nouveau musée. Le Museum of Fine Arts (MFAH) rouvre ses portes après des années de travaux, une rénovation qui aura coûté plus de 300 millions d’euros. En dépit de cette bonne – et coûteuse – nouvelle, les institutions muséales américaines, elles, vivent un désastre économique et social. Un «séisme», comme l’indique l’American Alliance of Museums (AAM), un lobby qui regroupe les musées outre-Atlantique depuis 1906 et qui vient de publier un nouveau rapport alarmiste sur la situation des musées aux États-Unis. Des milliers d’établissements pourraient prochainement mettre la clé sous la porte, et ce, pour toujours.

Baisses de revenus et effectifs réduits
Depuis mars, les musées américains ont en effet la gueule de bois, étant pour la plupart des petites structures très vulnérables dont la survie dépend de deux facteurs : les recettes des visites, donc de la billetterie, et le mécénat, avec des donations de diverses personnalités et philanthropes, les fonds privés étant leur principale source de rentrée d’argent, contrairement à l’Europe qui injecte des fonds publics. Deux mannes de financement désormais à l’arrêt depuis le premier confinement et une instabilité accentuée par des marchés financiers très frileux.
De plus, comme l’analysait une précédente enquête de l’AAM, tous les musées, quelle que soit leur taille, ont subi d’importantes baisses de revenus, parfois plus de 80%. Surtout, tous les établissements ont dû tailler dans leurs effectifs, à l’instar du Metropolitan Museum of Art (MET), à New York, qui, malgré son fonds de dotation de plus de 3 milliards d’euros, a réduit sa masse salariale de 20% pour des pertes financières dépassant les 100 millions d’euros. Et il n’est pas le seul à avoir bu la tasse. Selon l’AAM, plus de 30% des musées ont remercié de nombreux salariés, comme le musée des Beaux-Arts de Boston, le musée d’Art moderne de San Francisco ou celui de Pittsburgh, qui se sont tous séparés de près de la moitié de leurs équipes.
En mai dernier, l’AAM estimait alors la perte de chiffres d’affaires de ses 35 000 membres à près de 30 millions d’euros par jour. Selon sa présidente, Laura Lott, un musée sur trois pourrait fermer définitivement, à mesure que les réserves financières s’amenuisent. L’enquête a été menée sur plus de 750 musées en détresse, sans filet de sécurité. «La fermeture de ces lieux serait dévastatrice pour les communautés, les économies, les systèmes éducatifs et notre histoire culturelle», affirmait ainsi Laura Lott.

Verrous financiers et aides extérieures
Selon la nouvelle étude de l’AAM, environ 30% des musées américains sont toujours fermés à l’heure actuelle. Ceux ayant repris une activité sont à peine à 30% de leur fréquentation habituelle, autrement dit trop peu pour survivre. «La situation financière va de mal en pis. Sans aide financière, des milliers de musées vont fermer», a récemment indiqué Laura Lott. Pour cette seconde enquête, basée sur plus de 850 institutions interrogées en octobre, les musées prévoient une perte sèche de 35% de leur budget de fonctionnement en 2020 et un total de 28% en 2021. Au total, l’AAM chiffre dans le secteur une perte de près de 30 milliards d’euros. Un état des lieux dramatique et une situation qui n’est pas viable à long terme. Alors comment faire ? Il y a six mois, l’ensemble des musées du pays ont défendu leur situation devant le Congrès en réclamant 4 milliards d’euros pour leur sauvetage.
Une bataille menée de front avec l’AAM, mais qui est restée lettre morte, l’argent étant actuellement verrouillé. Quelques aides financières ont certes été accordées ici ou là, d’une part, grâce au Paycheck Protection Program (PPP) et, d’autre part, grâce à la loi coronavirus Aid, Relief and Economic Security (CARES Act), mais cela reste bien insuffisant. En mars dernier, le gouvernement fédéral avait également débloqué plus de 70 millions d’euros de subventions. Une somme qui ne peut profiter à tous et en tout état de cause bien éloignée des milliards réclamés. «Les musées implorent leurs gouvernements fédéraux étatiques et locaux de fournir le soutien indispensable pour se remettre de cette crise. Le Congrès et l’administration sont défaillants», a déclaré Laura Lott. Alors que Joe Biden vient d’être élu à la présidence des États-Unis, de vraies aides sont attendues. Or, aucun programme culturel ne semble avoir été présenté, ni dans le camp républicain ni dans celui des démocrates.
Reste une agence fédérale, la National Endowment or the Arts (NEA), qui permet depuis sa création en 1965 de subventionner des institutions culturelles. Mais son budget pèse aujourd’hui à peine plus de 160 millions d’euros et Donald Trump n’a cessé, depuis le début de son mandat, de tenter d’obtenir sa suppression. Les musées américains sont donc acculés, contraints de se dessaisir de leurs trésors aux enchères grâce au «deaccessioning» – c’est-à-dire l’aliénation des biens conservés dans une collection muséale – afin de survivre. Ainsi du musée de Brooklyn qui a vendu cet automne près d’une vingtaine d’œuvres appartenant à ses collections dont une peinture de Monet, Les Iles à Port-Villez adjugée près de 4,5 millions d’euros chez Sotheby’s ou la Lucrèce de Lucas Cranach, envolée à plus de 5 millions d’euros chez Christie’s. Une aberration.
A. F.