La place de l’anthropologie dans l’œuvre de Mammeri

Forum à la mémoire de l’écrivain

L’œuvre de l’écrivain et anthropologue Mouloud Mammeri a été «fort empreinte d’une vision anthropologique tirée de son vécu», ont soutenu jeudi à Tizi-Ouzou des intervenants au forum de la radio locale consacré à la mémoire de l’écrivain.

Cette influence se reflétait dès son premier roman, «La Colline oubliée», publiée en 1952 où «une vision et un regard anthropologique, qui ont déteint sur l’ensemble de ses écrits étaient déjà perceptibles», a souligné le docteur en littérature à l’Université locale éponyme, Malika Boukhelou. «Les positions sociales attribuées par l’écrivain à ses personnages (Mokrane, Mohand), autant que les fonctions dédiées aux espaces cités dans ce roman, ainsi que dans toute son œuvre, découlent d’un constat anthropologique vécu et enregistré», a-t-elle poursuivi. Cette vision anthropologique lui servira aussi à représenter à travers son œuvre «les différentes étapes de l’Histoire de l’Algérie, à commencer par «La Colline oubliée» qui était, selon elle, la matrice et le socle sur lequel l’écrivain l’avait construite.
Vint ensuite «Le Sommeil du juste» ou l’éveil et la conscience, «L’opium et le bâton» qui était l’aboutissement de cet éveil et «La traversée» qui symbolise la délivrance, a ajouté l’universitaire. Aussi, a-t-elle fait remarquer, son œuvre a marqué «la fin de l’oralité et inauguré le début de l’écriture qui a consacré l’universalité de la personne algérienne, souvent décrite de manière péjorative et réductrice dans la littérature coloniale, et inscrit la culture et la mémoire algérienne dans la pérennité». Abondant dans le même sens, l’universitaire et écrivain Hacène Hallouene a évoqué «l’incarnation par l’œuvre de Mammeri, du lien entre les cultures vécues et savantes». Elle était, dira-t-il, «la représentation de cette réalité qui a fait de sa culture vécue, dominée et réduite à une forme orale, une culture vivante par sa transmission écrite aux autres». Une œuvre, ajoutera M. Hallouene, qui a été «rendue possible grâce à ce flair et cet œil anthropologique que l’auteur avait acquis et mis en œuvre pour la sauvegarde et la pérennité de sa culture».
Pour sa part, l’anthropologue, écrivain et élève de Mammeri, Ali Sayad, a considéré qu’il (Mammeri) a été «le précurseur d’une anthropologie moderne et décolonisée, à travers ses travaux au Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques (CRAPE) de l’Université d’Alger». Sous sa conduite, a-t-il souligné, «le groupe de travail qui s’est constitué autour de lui avait pris exemple de ce qui s’était fait au Vietnam du Nord qui avait encouragé l’ethnographie et l’anthropologie, qui était jusque-là des sciences coloniales, pour la connaissance de soi».
Pour ce faire, des séminaires ouverts aux universitaires de l’ensemble des régions du pays, et même aux étrangers — à l’exemple de l’anthropologue anglais Ernest Gellner qui a beaucoup travaillé sur le Maroc et Pierre Bourdieu et aussi Fanny Colonna — étaient alors organisés au CRAPE. M. Sayad évoquera, également, ses nombreux travaux et voyages effectués aux quatre coins du pays et de toute l’Afrique du Nord, et qui découlaient, a-t-il dit «de l’intérêt anthropologique qui l’avait toujours animé». De son côté, le sociologue Azeddine Kenzi a soutenu que «l’œuvre de Mammeri demeure pionnière dans l’anthropologie nord-africaine post-coloniale et constitue un repère pour les travaux de recherches actuels».
R. C.