Le plan de relance économique 2020/2024 du Gouvernement est-il réalisable sans une nouvelle gouvernance ?

Face à la crise mondiale et à une situation socio-économique préoccupante

Il faut dire la vérité, rien que la vérité, en privilégiant les intérêts supérieurs du pays, au-delà des personnes, la démagogie et les discours populistes, pour préserver des intérêts de rente, auxquels la population algérienne est allergique, pouvant conduire le pays à une déflagration économique et sociale. Pour le président de la République Abdelmajid Tebboune en Conseil des ministres du 3 janvier 2021, «le bilan socio-économique 2020 du gouvernement est mitigé».

Oui les véritables réformes structurelles économiques n’ont pas commencé, contrairement à certains discours mais soyons réaliste, on ne peut en une année après une léthargie de plusieurs décennies redresser le bateau Algérie où uniquement pour la période 2000/2019, les recettes ont devises ont dépassé les 1 000 milliards de dollars avec une sortie de devises en biens et services de plus de 935 milliards de dollars avec un taux de croissance dérisoire qui a fluctué entre 2/3% alors qu’il aurait dû être de 9/10%. Oui, la situation socio économique est préoccupante à l’instar de bon nombre de pays dans le monde du fait de la crise actuelle. Face à la crise actuelle qui se traduira par de profonds bouleversements géostratégiques, économiques, sociaux culturels et sécuritaires, l’Algérie ne peut naviguer à vue au gré de la conjoncture. Dans ce cadre, le dernier rapport du programme de relance économique 2020/2024 établi par le département de prospective du premier ministère, doit définir avec exactitude les hypothèses de ses prévisions, chiffrées et datées selon le couple objectifs- réalisations/moyens humains et financiers avec plusieurs scénarios dont bon nombre de variables et paramètres sont exogènes. Afin de voir si la réduction des importations de 10 milliards de dollars et la réalisation d’au moins 5 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures en 2021 est réalisable face à la détérioration des indicateurs économiques et sociaux, produit tant d’ erreurs des politique économique du passé l que de l’épidémie du coronavirus qui impacte toute l’économie mondiale. Ce plan que j’ai étudié avec attention doit être amélioré pour être véritablement opérationnel devant avoir un bilan sans complaisance devant tenir compte des mutations tant internes que mondiales, ni sinistrose, ni autosatisfaction, afin de pouvoir tracer les perspectives du redressement national.

1- Tout plan fiable doit reposer sur six piliers :
– Premièrement, sur une démarche méthodologique, existant un théorème universel, 80% d’objectifs mal ciblés ont un impact seulement de 20% avec un gaspillage des ressources rares, mais 20% d’actions bien ciblées ont un impact sur l’activité économique et sociale de 80%. Pour paraphraser les experts militaires, il faut que les tactiques s’insèrent dans le cadre d’un objectif stratégique d’optimisation du bien être de l’Algérie. Toute analyse opérationnelle doit partir du général, de l’évolution de l’économie mondiale, au niveau interne du cadre macroéconomique et macro social, puis aux réseaux intermédiaires et enfin au niveau micro économique des collectivités locales et aux projets fiables dans le cadre des avantages comparatifs, ne pouvant pas tout produire.
– Deuxièmement, tout plan opérationnel doit s’inscrire dans le cadre d’une vision stratégique tant des mutations internes qu’internationeles, en étant réaliste les hydrocarbures traditionnels resteront encore pour 5 à 10 ans la principale ressource en devises du pays sous réserve de la mise en place de nouvelles filières concurrentielles.
– Troisièmement sur un diagnostic serein de la situation socio-économique et sur une nouvelle gouvernance nationale et locale avec plus de décentralisation et non déconcentration.
– Quatrièmement sur de nouvelles organisations plus crédibles que les anciennes à travers des réseaux, loin de l’ancienne organisation hiérarchique rigide, impliquant les élus locaux et la société civile, entrepreneurs publics, privés, banques, universités, centre de recherche, associations.
– Cinquièmement, sur une bonne communication, le président de la république lui-même a mis en relief les contradictions dues à l’effritement du système d’information où sans une bonne information aucune prévision n’est possible et encore moins le plan de relance. Nos responsables vivant dans une autre époque ne savent pas communiquer alors qu’il est impérieux de préparer l’opinion médiatiquement et organiquement à l’esprit des réformes qui seront douloureuses mais porteuses d’espoir à moyen terme en utilisant les médias lourds – débats- pièces de théâtre, cinémas- du fait de la tradition orale de l’Algérien. Les actions et les déclarations doivent être inventoriées, sans tomber dans le piège de l’autosatisfaction et du dénigrement, ni tomber dans le populisme médiatique qui serait alors contreproductif ;
– Sixièmement, la levée des obstacles bureaucratiques, fondement du système rentier qui constitue le plus grand obstacle au développement et qui enfante la corruption. La majorité des rapports internationaux, donnent des résultats mitigés, sur le climat des affaires en Algérie où le pouvoir bureaucratique décourage les véritables investisseurs, le cadre macro-économique étant stabilisé artificiellement par la rente des hydrocarbures (note interview le Monde.fr /AFP 10/8/2020). Comme le montrent certaines enquêtes de l’ONS, l’économie algérienne est une économie rentière exportant 98% d’hydrocarbures à l’état brut ou semi brut avec les dérivées et important 75/85% des besoins des entreprises, dont le taux d’intégration, privé et public ne dépasse pas 15%. Environ 83% du tissu économique étant représenté par le commerce et les services de très faibles dimensions, le taux de croissance officiel hors hydrocarbures étant artificiel, 80% du PIB via la dépense publique l’étant grâce aux hydrocarbures.
Selon les données officielles, plus de 90% des entreprises privées algériennes sont de types familiaux sans aucun management stratégique, plus de 90% des entreprises publiques et privées ne maîtrisent pas les nouvelles technologies et la majorité des segments privés et publics vivent grâce aux marchés publics octroyés par l’Etat. Par ailleurs l’économie est dominée par la sphère informelle, plus de 45/50% du PIB hors hydrocarbures et autant d’emplois sinon plus , s’étendant en période de crise, drainant 33% de la masse monétaire en circulation, liée à la logique rentière. Quant à la bourse d’Alger, il faut être réaliste et non verser dans la démagogie, il est illusoire dans la situation actuelle de sa léthargie d’opérer une privatisation partielle (voir nos contributions internationales Africa-Presse-Paris en français et en anglais Mena-Forum/Londres 24/12/2020). Car pour avoir une cotation significative, l’ensemble des titres de capital de la bourse d’Alger doit représenter une part significative du produit intérieur brut, les volumes de transactions observés étant actuellement insuffisants.
Les opérateurs privés susceptibles de se lancer dans cette activité ne pourront le faire que lorsque le nombre de sociétés et le volume traité seront suffisants pour seulement couvrir leurs frais. Sur le plan technique, en l’état actuel de leurs comptes, très peu d’entreprises connaissent exactement l’évaluation de leurs actifs selon les normes du marché. Il se trouve que les comptes des entreprises publiques algériennes de la plus importante à la plus simple sont dans un état qui ne passerait pas la diligence des audits les plus élémentaires. Même une grande société comme Sonatrach ou de grandes banques publiques ne sont pas cotés en bourse, ne pouvant donc pas évaluer leur efficience, contrairement aux grandes sociétés internationales. Pour cela Sonatrach par exemple, a besoin d’un nouveau management stratégique à l’instar de la majorité des entreprises algériennes, avec des comptes clairs afin de déterminer les coûts par sections. L’opacité de la gestion de la majorité des entreprises qui se limitent à livrer des comptes globaux consolidés voile l’essentiel. Pour Sonatrach, dont les recettes devraient clôturer entre 20/21 milliards de dollars fin 2020 contre 34 milliards de dollars en 2019, il s’agit de distinguer si le surplus engrangé est dû essentiellement à des facteurs exogènes, donc à l’évolution du prix au niveau international ou à une bonne gestion interne.

2- La situation économique en ce mois de janvier 2021 implique un sursaut national. L’annonce des 250 milliards de dollars consacrés aux entreprises publiques durant les 25 dernières années, annoncé par le ministère délégué à la Prospective le 2 janvier 2021 doit préciser durant cette période : la ventilation par entreprises, l’évolution de la création de valeur ajoutée, les effectifs, la partie investissement et la partie assainissements en dinars en devises et les solutions concrètes soit de liquidation ou de restructuration afin de faire face tant à la situation socio-économique interne qu’à l’adaptation aux nouvelles mutations mondiales. Le dernier rapport de l’Union européenne sur l’économie algérienne de fin décembre 2020 qui m’a été transmis est inquiétant mettant en relief la paralysie de l’économie algérienne qui pourrait avoir des conséquences déstabilisatrices sur toute la région euro-méditerranéenne et va à contre courant du plan de relance 2000/2024. Ce rapport ne nous apprend pas plus que ce qu’on prédit certains experts algériens (voir notre interview American Herald Tribune USA «Pr Abderrahmane Mebtoul «The World’s Deep Geostretegic Change After the coronavirus 2020/2030/2040» USA 7 mai 2020).
En 2020, excepté le secteur agricole qui a connu un réel dynamisme pour certains produits agricoles, mais toujours dépendant de certains inputs et pour l’importation du blé, le taux de croissance du produit intérieur brut PIB algérien dépend fondamentalement via la dépense publique de l’évolution du cours des hydrocarbures qui détermine à la fois le taux d’emploi et les réserves de change. Pour l’Algérie, selon le FMI dans son rapport du 14 avril 2020, le produit intérieur brut réel (PIB) devrait se contracter de 5,2% durant l’année 2020, revu encore à la baisse dans son rapport de décembre 2020 moins 6,5%. Suite à cette baisse le PIB réel devrait se redresser en 2021 à ¾%, taux calculé en référence à l’années 2020 ( taux de croissance négatif) donnant globalement, à taux constant, un taux de croissance entre 0 et 1% termes réels, ce taux étant inférieur au taux de pression démographique. La sphère informelle contrôle selon la banque d’Algérie plus de 33% de la masse monétaire en circulation et le taux d’intégration entreprises publiques et privées ne dépassant pas 15% dépendantes fortement des importations (le poids de a sphère informelle revue Stratégie IMDEP Ministère de la défense nationale octobre 2019 reprenant en synthèse notre étude pour l’Institut Français des Relations Internationales IFRI Paris Déc. 2013 France).
Actuellement du fait que les recettes de Sonatrach sont passées de 34 milliards de dollars en 2019 à une prévision de 20/21 milliards de dollars fin 2020, la cotation du cours du pétrole étant le 6 janvier 2020 à plus de 53 dollars le Brent en raison à la fois de la réduction des quotas OPEP+ Russie et d’un dollars déprécié coté à 1,2254 un euro (en cas d’un cours à 1,10 dollar un euro, le Brent serait en dessous de 50 dollars). Il ne faut pas oublier que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz naturel dont le cours a chuté de près de 70% étant coté le 6 janvier 2020 à 2,587 dollars le MBTU contre 8/10 dollars en 2010. Le déficit budgétaire selon le PLF 2021, serait de 21,75 milliards de dollars en 2021 au cours de 128 dinars un dollar, cotation au moment de l’élaboration de cette loi, contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars et un déficit global du trésor prévu de 28,26 milliards de dollars. Pour faire face aux tensions financières, vision purement monétariste, source d’inflation en cas de non création de valeur ajoutée, nous assistons à une dévaluation accélérée qui ne dit pas son nom de la cotation du dinar officiel du dinar où le 6 janvier 2021, un euro s’échange à 162,2782 dinars un euro et 132, 1202 un dollar.
La dépréciation simultanée du dinar par rapport au dollar et l’euro a pour but essentiel de combler artificiellement le déficit budgétaire, non articulé à un véritable plan de relance économique et donc assimilable à un impôt indirect que supporteront les consommateurs algériens, devant s’attendre pour 2021 à l’accélération du processus inflationniste. Ainsi, le gouvernement actuel projetant pour 2023 environ 185 dinars un euro et 156 dinars pour un dollar et en prenant un écart seulement de 50% – à l’avenir l’écart pourrait atteindre 100% sinon plus du fait de la rigidité de l’offre, au niveau du marché parallèle, nous aurons environ 300 dinars un euro minimum en 2023 sous réserve de la maîtrise de l’inflation sinon l’écart serait plus important.
Cette cotation du dinar est donc fortement corrélée au niveau de production et productivité et dans une économie rentière aux réserves de change qui ont évolué du 1er janvier 2014 à 194 milliards, les prévisions de la loi de finances complémentaire étant de 44,2 milliards de dollars. L’annonce du ministre des Finances d’une réduction des importations de 8 milliards de dollars en 2020 ne relève pas d’une bonne gestion mais de la réduction drastique des importations qui ont paralysé bon nombre de secteurs. C’est comme dans un ménage où la réduction de la nourriture entraîne des maladies sur le corps social. L’Algérie ne peut continuer à fonctionner sur la base d’un cours supérieur à 100 dollars le baril entre 2020/2021, selon le FMI le cours budgétaire inscrit dans les différentes lois de finances 30 à 40 dollars étant un artifice comptable, le prix d’équilibre était estimé de 104,6 dollars en 2019 et 101,4 dollars en 2018.

3- Cette faiblesse du taux de croissance, où le budget d’équipement est en baisse dans le PLF 2021 avec un accroissement démesuré du budget de fonctionnement, ont un impact sur le cadre macro social (voir interview A. Mebtoul sur la stratégie pour éradiquer les zones d’ombre quotidien gouvernemental Horizon 30/12/2020) qui doit été une priorité nationale à la fois pour des raisons de justice sociale mais également en évitant les fameux programmes sociaux de wilayas ayant eu un impact limité, avec des surcoûts exorbitants, donc économiques dans la mesure où toute création de richesses dépend d’entreprises innovantes. La population algérienne est passée de 12 millions en 1965, à 44,6 au 1er janvier 2020, il faudra créer non par décrets vision administrative mais favoriser les entreprises créatrices de richesses en levant toutes les contraintes d’environnement, dont la bureaucratie, la léthargie du système financier, le foncier, l’adaptation du système socio-éducatif, entre 350 000/400 000 emplois par an qui s’ajoute aux taux de chômage actuel, difficile à réaliser.
Le FMI estime le taux de chômage à 15,5% pour 2020 et pour les organisations patronales le gouvernement n’a pas encore mis en place les plans de sauvetage promis sans compter qu’environ 40/45% de la population active, soit 5/6 millions sont sans protection sociale. Malgré toutes ces tensions budgétaires, le gouvernement a maintenu les transferts sociaux budgétisés, comme acte de solidarité nationale quasiment inchangés par rapport à 2019, s’établissant à environ 14 milliards de dollars, soit 8,4% du PIB, et plus de 21% de la totalité du budget de l’Etat. Or, la Caisse nationale des retraites (CNR), qui a connu, depuis 2014, un déficit qui ne cesse de s’accroître en passant de 1,2 milliard de dollars en 2014 à 5,2 milliards de dollars en 2019, lequel atteindrait les 5,3 milliards DA en 2020, le nombre de retraités s’élevant fin 2019 à 3,2 millions. Ces transferts sont intenables sans actions ciblées pour les plus démunies. En conclusion, force est de constater qu’il reste beaucoup à faire pour que certains responsables algériens s’adaptent aux arcanes de la nouvelle économie, aucun pays à travers l’histoire ne s’étant développé grâce uniquement aux matières premières mais par la bonne gouvernance, la réforme des institutions et la valorisation du savoir.
Par exemple l’investissement de Gara Djebilet nécessitera plus de 7 milliards de dollars d’investissement avec toutes les annexes et le retour en capital pour une exportation de 30 000 tonnes de fer brut/an, le cours sur le marché mondial, ayant baissé d’environ 30% entre 2010 /2019, est de 8/10 ans, le profit net restant à l’Algérie en prenant la règle des 49/51%, ne dépassera pas 1 milliard de dollars par an, donc pas de rente. Soyons réaliste, la rente des hydrocarbures sera pour longtemps, la principale société pourvoyeur de devises où avec la crise actuelle, il est utopique d’attirer massivement les IDE et de canaliser le capital-argent de la sphère informelle. D’où l’importance de l’installation du Conseil national de l’énergie seul organe habilité à tracer la future politique énergétique devant s’orienter vers un Mix énergétique fondement de la transition énergétique. L’Algérie a toutes les potentialités de surmonter la crise actuelle sous réserve d’ une vision stratégique de développement hors hydrocarbures, une lutte contre, la corruption passible du code pénal à ne pas confondre avec acte de gestion, passant par la numérisation avec des interconnexions intra-secteurs reliés aux réseaux internationaux.
La transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, suppose un profond réaménagement du pouvoir, nécessitant une restructuration du système partisan loin des aléas de la rente, et surtout la dynamisation de la société civile ; pas celles qui vivent de la rente et qui ont applaudi tous les gouvernements passés, qui, en symbiose avec les Etats et les institutions internationales jouera un rôle de plus en plus déterminant en ce XXIe siècle. Le compromis des années 2021/2030 devront concilier l’impératif de productivité et la cohérence sociale, les principes d’une société ouverte et le devoir de solidarité, en un mot l’efficacité et l’équité, les politiques parleront de justice sociale qui ne saurait signifier égalitarisme vision populiste suicidaire. En bref la réussite du processus de développement implique la refonte du système politique et socio-économique.
Abderrahmane Mebtoul