La peinture est une poésie muette et la poésie est une peinture parlante

œuvres picturales

Deux domaines artistiques qui ont donné beaucoup à réfléchir sur leurs représentations du monde.

Deux arts qui demandent beaucoup de dextérité pour ceux qui les pratiquent en tant que modes d’expression exigeant de l’attention et de la réflexion pour qui fait l’effort de décoder. Les œuvres picturales ou poétiques sont produites par des artistes d’un tempérament particulièrement difficile. Ils sont exigeants dans leur travail, cherchant constamment à faire mieux pour gagner plus en esthétique et se rendre plus admiratifs face à un public de plus en plus demandeurs de travail original et merveilleux sur le choix des signifiants : des couleurs et des formes pour les peintres, de mots pas toujours faciles à décrypter pour les contemplateurs. Une peinture, c’est-à-dire une œuvre picturale est une poésie muette, c’est une œuvre poétique muette, qui ne dit rien à quiconque l’observe ou la contemple, si elle parlait pour expliquer ce qu’elle véhicule comme messages, elle dispenserait l’observateur attentif de tous les détails que l’on donnerait, tous les détails importants concernant la forme de l’œuvre picturale, de formuler la moindre explication du tableau considéré comme une œuvre esthétique finie et portant une signature. Mais, la peinture est une œuvre muette de nature qu’il faut savoir décoder, il faut donc parler à sa place en faisant l’effort de décoder chaque signe porteur de signifiés : couleurs variées et choisies pour leur lourde charge sémantique. Et l’ensemble en polychrome est chargé de significations. Une œuvre picturale est complexe, elle est à valeur narrative, elle raconte l’histoire d’un pays, comme les grands tableaux muraux de Fromentin ou ceux de Delacroix qui ont fait en couleurs extrêmement nuancées des principales péripéties de l’histoire coloniale de l’Algérie vues du côté des colonisateurs. Colonisés et colonisateur ne racontent pas notre histoire de la même façon. Revenons à la poésie muette qu’est une toile, chaque couleur bien mariée à d’autres, chaque forme accentuée a un sens profond qu’il faut savoir expliquer en tant que tel et en tant qu’élément d’un ensemble signifiant. La poésie est une peinture parlante, cela signifie que la poésie qui aussi un œuvre artistique à part entière, est faite de mots choisie pour composer un ensemble signifiant de vers que le lecteur doit faire l’effort de comprendre moyennant une méthode d’analyse qui permette d’aller au fond du poème et d’en dégager la quintessence. Il en va ainsi des arts en général où le compositeur choisit ses matériaux pour bâtir une œuvre.

La peinture est une poésie muette
D’ailleurs tous les peintres, quelles que soient leurs envergures, ont tous travaillé dans le silence le plus, et ils ont besoin de ce silence pour réussir une poésie muette, contrairement au poète qui a besoin du tumulte multiforme de la rue, des masses humaines parlantes pour être facilement inspiré, et c’est une fois qu’il est profondément imprégné de messages humain qu’il se retire de la société pour travailler dans le silence. Seule avec lui-même, le poète compose ses poèmes pour mieux faire une peinture qui rendent le mieux possible tous les bruits de la nature, le murmure des masses humaines, ou les voix personnalisées de tous ceux qui font les foules. Pour composer dans le silence, le poète a besoin de se mêler à cette réalité humaine pour faire son choix de mots qui traduisent mieux les paroles qui sensibilisent tout le monde, dans des situations particulièrement émouvantes. La peinture est une poésie muette, il faut savoir la faire parler pour lui faire ce que l’artiste s’est fixé comme objectif en réalisant sa toile. Les coups de pinceau du peintre c’est des coups de pinceau dirigés pour réaliser des formes à deviner et sur lesquelles il faut réfléchir pour comprendre car tout a une signification. Quand le peintre a des idées, dans un moment d’inspiration, il donne des coups de pinceau qui pour un ignorant ne signifient rien mais un connaisseur habitué au langage ésotérique de la peinture trouve un sens profond à saisir à partir de quelques données précises. Le peintre qui improvise est comparable au poète qui, à la faveur des facilités d’expression peut vous faire des vers sensationnels qui met en difficultés de compréhension quiconque n’a pas de méthode d’analyse efficace. Ils sont rares les poètes qui improvisent en poésie, c’est de vrais inventeurs qui possèdent la langue à la perfection et qui versifient avec beaucoup de facilité. On peut les appeler des génies de la poésie. Comme les peintres, il y a parmi eux des amateurs qui s’essaient à l’art pictural sans jamais y parvenir et d’autres, des chevronnés à qui il suffit de bouger le pinceau pour obtenir une œuvre d’art qui suscite de la curiosité et des efforts de compréhension, une œuvre d’art muette qu’il faut savoir interpréter à partir de quelques données essentielles telles les couleurs, les lignes en polychrome, l’éclairage en demi teinte, quelquefois on y voit l’ébauche d’un personnage qui a sa place sur la toile. Quand on fait le tour d’une galerie d’art de peintres différents, il y a beaucoup à apprendre. Une fois, c’était dans une salle d’exposition de tableaux réalisés par des peintres spécialistes de l’abstrait, par exemple une feuille d’arbre coupée dans le sens de la longueur. La feuille est en vert naturel qui appartient à une famille d’arbre, mais il faut retracer tout le processus végétal qui a permis d’arriver à la feuille. Un accident de parcours a fait que la feuille soit coupée en deux, mais les deux parties ont un lien, c’est la même feuille coupée en deux ; mais ces deux moitiés sont liées par une nervure. C’est un tableau de peinture difficile à comprendre si on n’a pas au départ quelques éléments de réponse. Et parmi les peintures qui demeurent muettes, il y a des représentations d’objets jetés mais qui ont un lien historique important qui permet de comprendre l’ensemble. D’après celui qui a réalisé le chef d’œuvre, qui a fait ses études en Italie, c’est une spécialité en peinture, que de représenter des objets abandonnés et ramassés dans la rue, ils sont peints avec leurs mutilations, et sur la toile du maître, ils gardent une certaine beauté, surtout grâce aux couleurs qui leur donne une belle allure. Là où la peinture reste muette, c’est dans le prémonitoire. Cela consiste à peindre le monde et tout ce qui s’y trouve dans une perspective futuriste, c’est le monde de demain tel qu’il est perçu par les penseurs de tous bords.

La poésie est une peinture parlante
Cette pensée fait allusion à toute poésie qui est en même temps une peinture des objets dont elle parle. Il y a dans ce domaine un genre étonnant, c’est le calligramme qui représente avec des lettres ou des mots tous les objets dont il veut parler comme chez Apollinaire qui fait une poésie sur la pluie avec des suites de lettres indiquant les gouttes qui tombent, les lettres qui se suivent appartiennent à des mots qui parlent de la pluie ; l’auteur de cette poésie peint la pluie avec des mots et cela un très beau tableau de maître. Le même auteur fait un poème en forme de calligramme avec des mots qui dessinent une cravate. De Kateb Yacine pour qui tout est poésie ; chacun de ses romans sont à la fois des pièces de théâtre, de longs poèmes, et des œuvres romanesques où il est difficile de comprendre parce que tout vous échappe. Voici une partie d’un long poème qui s’étale sur une quinzaine de pages et qui donne à voir plusieurs tableaux de peinture, un chef d’œuvre de Kateb Yacine que personne ne pourra comprendre, à moins d’être d’un bon niveau et de le lire une cinquantaine de fois. Voici ces quelques vers du Vautour : « Quand nous risquons ta chute/A retenir ta robe/Au bout du gouffre chaleureux / Car jamais tu n’auras / Que la raideur des pétales/ Déjà mouillés, pour traverser la cataracte ! Et ta première crue/Loin de son lit, hanté de rêves juvéniles/ Te livrera aux fleuves ravageurs/ Sachant que tes noyades/ Seront publiques, le nourricier/ Des fleuves s’est enfui/ Je n’ai pillé jaloux/ De tes escortes/ Que ta nombreuse obscurité. » Voilà un extrait de ce long poème de quinze pages écrit par Kateb. Il est composé d’une série de tableaux de peinture qui se suivent. On peut comprendre ces tableaux mais superficiellement tant il y a un sens profond difficile à saisir, à condition de lire intelligemment tout le texte poétique de quinze pages. Un autre poète parle de la lune qui se lève a l’aide de vers superbement beaux que voici : « Et le char vaporeux de la reine des ombres/Monte et blanchit les bords de l’horizon. » Deux vers pour exprimer la lune qui monte à l’horizon avec sa lumière qui illumine tout, c’est le clair de lune. Quel beau tableau que l’on peut imaginer comme une toile d’artiste avec ses couleurs fortes.
Boumediene Abed