Quand la langue du colon devient moyen d’expression

Les écritures europhones

être europhone, c’est choisir comme moyen d’expression en littérature, la langue de l’ancienne colonisation. Les théoriciens de la littérature, décrypteurs de messages de tous niveaux ont constaté que les textes africains analysés sont porteurs de marques identitaires.

La colonisation de l’Afrique a commencé il y a de cela près de deux siècles, et si on se réfère à la mise en esclavage des Noirs, il faut remonter au XVIe siècle. Les occupants étrangers : Anglais, Français, Portugais, Espagnols ont eu le temps d’installer leur langue qu’ils ont parcimonieusement dispensé aux Africains selon un système d’enseignement colonial. A l’ère des indépendances, le développement de ces langues étrangères a eu un impact capital au point de devenir des langues nationales, si bien que des nationaux, les meilleurs dans leurs pays respectifs qui, à la faveur d’un niveau d’expression acquis dans les langues européennes, sont détenus, selon les prédispositions de chacun des poètes, romanciers, dramaturges, producteurs de scénarios de films. Ce que des linguistes ont appelé des Europhones. Mais que d’interférences entre langue du pays et langue de l’ex-colonisateur ! Par interférence, on veut dire : décalage d’ordre sémantique entre langue maternelle et langue européenne adoptées pour des raisons historiques. Autrement dit, ce qu’on pense dans la langue d’origine n’est pas exprimé à la perfection dans la langue européenne. Ce que dit Makhily Gassama à propos de la langue d’Amadou Kourouma qui donne à remarquer de « Kourouma emploie des mots français pour y couler la pensée de sa forêt natale. Il met en évidence dès l’incipit, un processus d’encodage du message consistant à chaque mot étranger d’autres valeurs sémantiques qui laissent une impression de flou qui suscite la curiosité chez le lecteur placé dans son univers linguistique habituel. Il existe depuis des décennies une pléthore d’écrivains africains qui pensent dans leur pays d’origine pour écrire dans une langue européenne : anglais, espagnol, portugais ou français. Ils sont après un cycle d’études secondaires ou universitaires devenus des Europhones. Certains ont traduit dans une langue africaine des œuvres empruntées à des auteurs européens. Beaucoup d’autres hommes de plume écrivent dans leur langue dans la langue des colonisateurs. C’est le cas de Ngugima Thiong’o qui a écrit en Gikurga avant de traduire en anglais. Cette littérature africaine plurilingue est d’une richesse extrême étant donné sa grande diversité. Si on devait en faire un objet d’investigation, il y aurait un grand débat et beaucoup de domaines de recherche. On trouverait par exemple lorsque ces hommes de plume écrivent en langue étrangère que leurs œuvres sont toujours emmaillées de termes de leur milieu naturel. Ce qui s’est passé en Algérie lorsqu’un de nos écrivains écrit en langue française avec un niveau culturel ainsi qu’un ensemble d’expressions et mots de leur langue orale en version étrangère. « La grande maison » sinon toute la première trilogie de Mohamed Dib, « Rue des tambourins » de Taos Amrouche en sont des exemples. Il s’agit là de plurilingues malgré eux. Mais à la différence des locuteurs européens parlant et écrivant dans leurs langues respectives, les écrivains africains europhones passent d’abord par leurs langues d’origine pour arriver au stade de la pratique de l’anglais, ou de l’espagnol ou du portugais ou du français, langues les plus parlées dans les pays anciennement colonisés en Afrique comme en Amérique latine. Chantal Zabus, spécialisée dans le domaine décrit le phénomène en l’adaptant à une ère d’expression orale et écrite spécifique, l’ouest de l’Afrique d’expression anglaise en ayant des langues africaines très diversifiées et extrêmement développées d’un de vue syntaxique, lexicale qui ont véhiculé une culture authentique des plus anciennes dans le monde. L’auteur de ce travail de recherche met en évidence les interférences et expressions des langues africaines : wolof, igbo, yoruba, malinté et d’autres par rapport aux langues d’écriture d’origine européenne : français, créole, anglais, pidgin. Chantal Zabus apporte la preuve que derrière les structures syntaxiques des langues européennes se cachent des marques importantes des langues africaines et chez les écrivains africains europhones une tendance à vouloir moduler les langues européennes de manière à les adapter aux besoins des relations entre les peuples pour des relations commerciales ou des échanges de toutes sortes, utiles pour toutes les parties. Ainsi, les langues du pays pour les hommes et femmes d’écriture en Afrique servent de sources d’inspiration d’influence considérable pour les langues européennes. Ces apports viennent de l’oralité aux racines lointaines chez les africains au profit de l’écrit. Selon Alioune Tin qui se réfère aux œuvres romanesques de Sembene Ousmane, le roman africain ne saurait se comprendre sans une référence maternelle ou vernaculaire de l’auteur et à la technique narrative de la langue orale. Dans son œuvre « Des textes oraux au roman moderne ». Amanora Koné développe l’hypothèse selon laquelle le roman africain (d’expression anglaise) fait partie de la parole artistique traditionnelle africaine. Pour le même chercheur, la littérature et les langues européennes de tradition écrite depuis des siècles n’empêchent pas les europhones de garder les couleurs et saveurs des origines africaines.
Abed Boumediene