Une mort annoncée ?

Presse écrite

Le cas de la presse écrite en ces temps de crise financière est plus qu’inquiétant. Comment ne pas prendre acte, avec étonnement, de cet «acharnement» à vouloir donner le coup de grâce, économiquement et par les canaux fiscaux et parafiscaux, à ce qui subsiste encore de vitalité dans le corps meurtri de la corporation et des éditeurs de presse ? Faut-il donner un nom et une intention à des démarches qui ne répondent à une aucune logique «idéo-logique» ou politique ?

A l’origine de cette débâcle, une déprime profonde dans les «allocations» publicitaires publiques qui se réduisent en peau de chagrin ne laissant plus de place pour les largesses publiques à l’égard des éditeurs de presse sommés alors de serrer la ceinture et, pire encore, de répondre à des injonctions fiscales, parafiscales, et de leurs créanciers imprimeurs. Après avoir fait croire à l’opinion publique que les éditeurs de presse étaient riches comme Crésus, l’ex-P-dg de l’ANEP, qui ne fera pas long feu pour avoir commis des bourdes politiques en se prenant pour le porte-parole du porte- parole du Gouvernement, voire plus encore, tire sa révérence, mais laisse derrière lui sa manière de voir la corporation que les pouvoirs publics continuent assidument à exécuter en ciblant les éditeurs qui se trouvent sur cette même liste que Larbi Ouanoughi, pour ne pas le nommer, avait léguée aux gestionnaires qui venaient après lui. Certains éditeurs, choqués par cette chasse aux sorcières, peinent à comprendre cette «approche stratégique» qui tend à vouloir euthanasier la corporation, et ne conçoivent l’autisme qui a atteint leurs interlocuteurs institutionnels par rapport à leur état de morbidité avancée, que sous la forme d’une volonté de donner le coup de grâce à un allié déjà à terre. Le concept d’allié est souvent repris par les uns et les autres qui estiment que la presse a toujours accompagné les pouvoirs publics dans leurs efforts de développement, dans les moments de faste et dans les moments de crise, sachant qu’un produit culturel, porteur de l’enjeu de liberté d’expression et de presse et fonctionnant comme un garde-fous contre les dérives totalitaires dans un contexte où le passé récent de notre pays le prouve plus que jamais, subisse les contrecoups d’une offensive financière aussi acharnée et doive payer la TVA comme s’il était soumis au principe de rentabilité commerciale au même titre qu’un magasin de pièces détachées ou de prêt-à-porter, est un fait unique au monde, inédit et inouï y compris chez nos voisins occidentaux et orientaux.
Mais cette démarche qu’aucun programme politique n’a supportée à la veille et au lendemain de l’élection présidentielle, semble beaucoup miser sur ces actes de «régulation» économique et financière ; elle s’accompagne, voire s’affine davantage, par des mesures de redressements fiscaux qui se fondent sur des paramètres irrécouvrables dont il faudrait rechercher les traces dans le monde insondable de l’informel, à savoir l’exigence singulière de fournir l’état des ventes sur de nombreuses années, alors que les distributeurs de journaux ont depuis longtemps imposé leur loi, y compris à l’ANEP lorsqu’elle a voulu faire de la distribution via sa filiale «Anep Messagerie», et qui s’est heurtée à une grève des distributeurs et des revendeurs qui ne voulaient pas travailler à la facture. Est-il possible que des acteurs du fisc, à qui on aurait demandé de recouvrer le maximum de valeur, aient cru naïvement qu’il y a de l’argent chez les éditeurs ? Chez quelques-uns, peut-être, que personne ne cible aujourd’hui, mais pas dans des journaux qui ont toujours vivoté en honorant leurs factures et leurs dettes jusqu’au dernier centime. Et puis la pauvreté et la richesse, la vérité et le mensonge ne peuvent rester cachés longtemps. On décide d’augmenter le prix à la vente d’un journal papier qui ne se vend plus et dans cette perspective on décide aussi d’augmenter, conséquemment, le coût à l’impression de l’unité imprimée, alors que les imprimeurs aux abois, qui n’ont pas de quoi payer les salaires à la fin de chaque mois, mettent la pression sur les éditeurs pour les pousser à imprimer plus afin de hisser leurs plans de charge et justifier, ne serait-ce qu’en écriture, une situation bénéficiaire qui leur vaudra, en dépit d’un défaut de recouvrement massif des impayés auprès des éditeurs, des primes conséquentes en fin d’année. La boucle est bouclée avec ces fonds de la publicité qui circulent à l’intérieur d’un cercle qui, aujourd’hui, ne se suffit plus à lui-même, les imprimeurs, le fisc, la sécurité sociale et les salariés dont les salaires suffisent à peine à boucler le panier alimentaire, demandant bien plus que ce qu’il y a dans ces chèques que l’ANEP confie aux éditeurs, après en avoir déduit ses royalties royales, pour en redistribuer la valeur à tous ces intervenants de la chaîne moribonde de la presse papier.
On décide d’augmenter le prix du loyer dans les maisons de la presse de 150%, alignant ce coût sur les coûts économiques ordinaires, comme si la presse avait une rentabilité commerciale et pouvait supporter le poids d’une telle charge ; cela au mépris de la loi qui impose une augmentation de 15% tous les trois ans. Effet rétroactif ? Au nom de quelle urgence active-t-on ce dispositif, sinon celle, peut-être, d’achever la bête ? Dans un pays où on a besoin de lire, car on ne lit plus ou très peu, on fait très peu cas du sort de cette presse qui, à trop subir le mépris et l’abandon systémiques, risque de dépérir et de disparaître et il ne faut surtout pas croire qu’elle aura dans la presse électronique un alter-ego et une alternative. Ce sont deux univers différents qui, sans s’opposer, ont des formes et des contenus d’expression qui s’adressent à des publics que tout distingue des points de vue générationnel et culturel. A un moment crucial de notre histoire, dans un contexte difficile de pandémie qui a mis à genoux les plus aguerris, le pays a besoin, outre son armée pour des raisons évidentes, de deux leviers principaux pour se soutenir dans sa lutte pour la justice et la vérité internationales : une diplomatie et une presse fortes, la première s’appuyant également sur la seconde pour faire prévaloir ses positions. Qu’advient-il de ce principe ? Devient-il secondaire et subsidiaire au point de s’autoriser la possibilité d’une défection chronique ? Il est inconcevable qu’une pensée structurée puisse dessiner ainsi les contours du devenir algérien sans laisser transparaître les éléments probants d’une stratégie constructive qui soit issue de la concertation la plus large et qui préserve les intérêts complémentaires de tous. En quoi cela sert-il le pays de mettre fin à des entreprises de presse, à des emplois et à des cotisants fiscaux et sociaux ?

Par Larbi Balta