‘’La Discrétion’’, sixième roman de Faïza Guène

Chemins d’écriture

C’est un parcours singulier celui de Faïza Guène. Issue de la banlieue de la Seine-Saint-Denis où elle est née en 1985 et où elle a grandi avec ses parents venus d’Algérie, la jeune femme avait tout juste 19 ans lorsque elle a fait irruption sur la scène littéraire avec son premier roman «Kiffe Kiffe demain», qui fut un succès inattendu.

Depuis ce succès inaugural, Faïza Guène a continué d’écrire, cultivant la sensibilité sociale qui a fait sa renommée. Elle revient avec « La Discrétion », son sixième roman dont l’action se déroule entre l’Algérie et la banlieue parisienne. Il y a seize ans la Franco-algérienne Faïza Guène publiait Kiffe Kiffe demain, devenu depuis un roman culte. La romancière s’étonne encore de la résonance qu’a eu son livre. « Pour moi, l’écriture a toujours été de l’ordre de loisirs, confie-t-elle. Il n’y avait pas vraiment de modèle pour moi dans cette voie-là. Dans mon environnement social aussi, j’ai grandi dans un quartier populaire. Même votre ambition est conditionnée par le lieu où vous grandissez. Moi, je n’avais pas imaginé que j’allais en faire mon métier. » Personne n’a oublié l’adolescente aux joues rondes, à la langue acérée, qui en 2004 a pris d’assaut l’univers des lettres françaises en publiant son premier roman. Il s’agissait d’un récit autofictionnel qui mettait en scène les heurs et malheurs d’une jeunesse issue de l’immigration, cherchant ses repères dans un monde violent et injuste, dominé par la culture majoritaire. Le roman s’est vendu à 400 000 exemplaires et a été traduit en 26 langues. Il s’agissait d’un véritable phénomène éditorial qui a révélé les talents de son auteure et à travers elle, ceux de toute une génération de jeunes banlieusards bouillonnant d’énergie et de dynamisme créatif.

Les Trente Glorieuses
Agée aujourd’hui d’une trentaine d’années, Faïza Guène en est à son sixième roman. Paru cet automne, son dernier livre La Discrétion est un roman historique et social, qui donne à voir à travers le portrait d’une famille algérienne vivant dans la banlieue parisienne, la difficile intégration de deux générations d’immigrants nord-africains dans la France post-coloniale. Mêlant adroitement les turbulences du passé et les tensions contemporaines, la romancière instaure le cadre socio-temporel à l’intérieur duquel évoluent ses personnages, interrogeant le roman national devenu tout d’un coup trop étriqué, incapable d’embrasser la diversité des destins que l’Histoire a réunis sur le sol français en cette aube du nouveau millénaire. Au cœur de ce roman, la famille Taleb. Les parents font partie de la première génération d’Algériens venus s’installer dans la France des Trente Glorieuses, à la recherche du travail. Leurs quatre enfants naissent et grandissent dans le pays d’adoption. Confrontés au racisme, mais aussi à leurs propres ressentiments face à une société d’accueil qui tarde à faire la paix avec son lourd passé colonial, les enfants Taleb peinent à trouver leur place. Sur eux pèsent le poids des humiliations et des traumatismes que leurs parents ont subis en silence, réprimant leurs révoltes. Cet héritage est un obstacle aujourd’hui à leur construction. Aussi, la deuxième génération est-elle prise comme dans un étau, entre leur besoin de revendiquer leur présence et l’attitude de leurs parents qui ont fermé les yeux sur la condescendance, le racisme, répétant à l’envi à leurs enfants : « On doit accepter, on est comme leurs invités, on est chez eux. »

Yamina «aux yeux couleur de miel»
Faïza Guène a raconté comment l’idée de tisser sa fiction autour de « la discrétion » comme grille de lecture du vécu de la génération lui est venue d’un texte qu’elle avait écrit pour la radio. « C’est un texte qui s’appelait « La lourdeur des nuages » que j’avais lu il y a trois ans sur France Inter, se souvient-elle. On m’avait donné carte blanche. Je me suis laissé porter. Et naturellement j’ai commencé à écrire l’histoire de cette femme avec une dimension poétique, cette femme qui était écrasée par la lourdeur des nuages dans le ciel gris. Un moment, je parle de son mari qui est rapatrié en Algérie pour être enterré et j’ai dit qu’il était mort de discrétion. Dès que j’ai dit ça, ça a résonné en moi. J’ai pensé à mon père qui était de cette génération. Cela a provoqué quelque chose en moi que je ne saurais pas bien expliquer. C’est ça qui a fait germer le roman. » La romancière aime dire qu’elle a écrit ce nouveau livre comme un hommage à la génération de ses parents, surtout à sa maman qui a été l’inspiration pour le beau personnage de la mère dans le récit, la douce et lumineuse Yamina « aux yeux couleur de miel». Yamina refuse de hausser la voix face aux humiliations du quotidien. Le roman suit la trace de cette femme dont le parcours incroyable l’a conduite d’un petit village berbère à la banlieue parisienne. Elle a connu la colonisation, la guerre d’indépendance, l’exil, la réalité migratoire, tout en laissant les brutalités des hommes et de l’histoire glisser sur elle. Sa résignation apparaît moins comme une stratégie de survie que comme une forme d’affirmation de soi, comme si, comme l’écrit Faïza Guène avec délicatesse et perspicacité, « refuser de se laisser envahir par le ressentiment était une façon de résister ». C’est ainsi que les mères arabes des cités entrent dans la littérature.

«La France d’en bas»
La Discrétion est sans doute le roman le plus réussi de celle que les médias anglophones ont pris l’habitude d’appeler « la Françoise Sagan des cités ». Sa force réside dans sa sensibilité sociale que Faïza Guène n’a cessé de cultiver depuis son premier roman tant médiatisé, martelant à qui veut l’entendre son ambition de voir ses romans classés dans la catégorie de la littérature populaire. « Je dirais que pour moi, dans mon travail, ce qui est important, beaucoup plus que mes origines algériennes, ce sont mes origines modestes, banlieusardes, prolo, populaires, proches de ce qu’on a appelé « la France d’en bas ». C’est là que je me situe », aime-t-elle rappeler. Au cours de deux décennies de pratique littéraire, l’écriture de Faïza Guène a aussi mûri, confirmant ses qualités littéraires. S’éloignant de l’usage systématique du jargon de la banlieue, du verlan et de l’argot, elle a gagné en fluidité et simplicité. Dans la presse, la perception de la romancière comme « la beurette phénomène » ou comme « la voix des banlieues » a laissé progressivement place à des considérations plus littéraires de son œuvre. « Cet aspect littéraire, on a beaucoup négligé quand on parlait de moi, raconte la romancière. On parlait justement du phénomène social, de la banlieue, de l’immigration. En fait, je mets du soin à faire en sorte que justement l’émotion et la vérité de ce que je raconte, qu’elles aillent directement aux lecteurs. Cela fait partie du processus littéraire. Tout ce travail que je fais a été masqué. Je réécris énormément et vraiment, j’essaie de faire en sorte que mon texte soit accessible. Rendre les choses simples, c’est hyper dur. C’est vraiment dans ce sens que je travaille. Parfois, quand j’écris, je passe des heures à chercher, après je trouve. Je trouve le mot, la phrase qui sonnent juste. Comme en musique, on pourrait composer une chanson et on trouve la bonne note. C’est exactement la même chose. » Auteure aujourd’hui de six romans, Faïza Guène est aussi scénariste pour le cinéma. Elle a réalisé plusieurs moyens et courts-métrages. L’écrivaine aime rappeler que l’écriture de scénarii pour le cinéma fut son premier amour. C’est d’ailleurs dans les ateliers cinématographiques pour la jeunesse qu’elle fréquentait assidûment au début des années 2000 lorsqu’elle grandissait à la cité des Courtilières, à Pantin, dans la proche banlieue parisienne, que Faïza Guène rencontra le professeur ange gardien, qui allait changer sa vie en transmettant à une grande éditrice parisienne les premières pages de son futur premier roman qu’elle écrivait en son temps libre. Le reste, c’est de l’histoire, l’histoire littéraire bien sûr. Cela va de soi.
T. Chanda
La Discrétion, par Faïza Guène. Editions Plon, 256 pages, 19 euros