A l’épreuve du temps et de la modernisation

Patrimoine architectural kabyle

Le patrimoine architectural kabyle a subi d’innombrables transformations, influences et dégradations, a observé lundi, Kedjar Aldjia, architecte et enseignante au département d’architecture de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, à l’occasion de la célébration du mois du patrimoine.

Qualifié «d’architecture indigène, folklorique et populaire, car conçue et réalisée par l’habitant lui-même et où la structure architecturale est le reflet même de celle socio-culturelle du village, il est, aujourd’hui, en proie à une métamorphose et une rupture totale, du fait de diverses influences et de dégradations», déplore l’architecte. Cette métamorphose, a-t-elle souligné, a «commencé avec le retour de la première vague des immigrés aux lendemains de l’indépendance». Ces derniers, ayant vécu un peu partout en France et en Europe, «ont rapporté avec eux des modèles architecturaux qu’ils avaient reproduit dans les villages». «La hiérarchie spatiale du village, publique, familiale et privée, construite sur un concept architectural vernaculaire introverti et utilisant des matériaux de construction locaux adapté à la situation géographique locale et intégré au relief, a ainsi commencé à se transformer complètement», explique l’universitaire.
Au début de cette transformation, précise-t-elle, «il y avait, toutefois, une certaine intégration en adaptant ces concepts architecturaux importés, mais, au fur et à mesure, avec, notamment, l’amélioration relative de la situation sociale des gens, la standardisation architecturale rampante a pris le dessus». Autres facteurs participants à cette métamorphose architecturale, les échanges culturels, le développement économique, la démographie, la viabilisation des zones rurales et l’absence de foncier, qui ont ainsi «induit une évolution pas du tout homogène», note l’architecte. «Les gens construisent en hauteur car la famille s’agrandit et ils manquent d’espace et de foncier, mais aussi, et besoin économique oblige, ont intégré l’impératif d’espaces commerciaux à fructifier, ce qui a complètement dénaturé l’espace villageois» fait-elle remarquer.
Ce dernier facteur a, également, «généré un abandon et une dégradation de ce patrimoine du fait de l’exode des habitants des villages vers l’espace urbain, plus prometteur, à la recherche du travail et des commodités de vie meilleure», ajoute-t-elle. Considérant ce patrimoine architectural à travers lequel elle décèle «une ingéniosité et une immensité de formes architecturales» comme une «empreinte et une richesse ancestrales reflétant une réalité socio-culturelle à préserver», l’universitaire préconise, pour sa sauvegarde, sa mise sous «protection de la loi pour assurer sa réhabilitation». Toutefois, avertit-elle, «il ne suffit pas de le déclarer patrimoine national à préserver, mais, surtout, mobiliser l’ensemble des moyens, juridique, institutionnel et financier, nécessaires pour cette sauvegarde».
Une démarche qui devrait se traduire, en premier lieu, par «l’adaptation et l’actualisation des instruments d’urbanisme en tenant compte et en y intégrant les plans de sauvegarde du patrimoine. Ce qui permettra d’élaborer des orientations et recommandations visant à protéger la morphologie de l’environnement architecturale». Dans le même sillage, il serait, également, «judicieux», poursuit-elle, de «promouvoir le concept de villages touristiques, qui alliera restauration et sauvegarde de ces lieux et activité économique rentable, par la réhabilitation et la rénovation de ces villages dans cette optique, en créant une jonction entre tradition et modernité». Une sauvegarde «nécessaire et salvatrice», note-t-elle. Ce patrimoine représentant «un témoin de l’Histoire».
R. C.