Genèse, caractéristiques, évolution et perspectives

Hirak

Dans cette modeste contribution, sur la base d’une tentative d’approche marxiste-léniniste de l’histoire immédiate, sur le «Hirak» ou soulèvement populaire, je m’appuierai sur une reconstitution chronologique approximative des divers faits marquants amassés dans les sources journalistiques et orales de première main, en plus de certains échanges avec des camarades et ami(e)s, d’internet (avec la nécessaire prudence exigée à cause de la propagande perfide – fake news – des protagonistes), et de l’observation directe de l’événement à Oran pendant plusieurs semaines et Alger pendant le 8 novembre 2019 et les 21 /22 février 2020.

Une seconde et nouvelle phase commencera pour le «Hirak» qui se vida des larges masses populaires et l’arrêt des débrayages des zones industrielles et tous les secteurs de la production, des différents services socio-économiques – des millions de personnes – (après le limogeage du président), pour laisser la place aux troupes aguerries des forces politiques coalisées et où l’initiative appartiendra aux réseaux de l’ex-DRS disséminés partout, qui passeront à la contre-offensive, profitant de quelques erreurs tactiques du haut commandement de l’ANP, et du manque d’expérience politique et de maturité chez la grande masse des jeunes pour saisir les vrais enjeux des luttes se déroulant dans un contexte géopolitique régional et international défavorable aux forces de la paix et de la lutte anti-impérialiste(49). Certes une toute petite marge de manœuvre est permise à l’Algérie par l’instauration inéluctable d’un monde multipolaire grâce à l’émergence de la Chine et de la Russie ; mais la situation frontalière très étendue et tendue de tous les côtés reste instable et périlleuse par l’encerclement des bases militaires de l’OTAN, le danger provenant de la Libye, du Sahel (infecté par la France) et de la frontière Ouest avec le Maroc à l’ambition expansionniste.

Notre pays vit toujours une menace réelle et durable.(50) Cette deuxième phase déclinante du «Hirak» – sauf à certaines dates symboliques – s’instaurera aussi progressivement après presque un trimestre et durera jusqu’aux présidentielles retardées fixées au 12 décembre 2019. Certains faits et tendances qui vont dominer cette période étaient déjà perceptibles dans la première phase, mais à l’état embryonnaire et potentiellement amplifiés. D’ailleurs il n’y a pas une cloison hermétique entre les deux moments, mais les faits marquants et dominants pendant le premier se réduiront pendant le second temps, pour laisser submerger d’autres nouvelles caractéristiques si on examine bien à rebours le déroulement du «Hirak» dans son processus d’évolution objectif correspondant aux normes de la conception scientifique de l’histoire. La possibilité est une réalité potentielle qui se concrétise parfois lorsque les conditions murissent et sont réunies.

Elle préfigure toujours les prémisses d’apparition d’une alternative historique probable et réalisable qui se dégage de l’analyse globale et juste de la situation concrète. (51) Les marches du mardi après-midi qui étaient celles des étudiants ont étés désertées à partir de l’été 2019 par eux pour laisser la place aux vieux et seulement quelques étudiants. Mais sur les réseaux sociaux elles étaient amplement gonflées ! (52) L’état-major de l’ANP, pour lequel s’était imposée la gestion d’une forme particulière de transition, mènera un programme de manœuvres le long de toutes les frontières du pays, pour dissuader toute force étrangère de s’ingérer dans les affaires intérieures de l’Algérie. Il s’appuiera sur deux principaux pays alliés, la Russie et la Chine dans sa stratégie de défense et de préservation de la souveraineté nationale. A la veille du scrutin présidentiel du 12 décembre 2019, il mènera de nouvelles manœuvres militaires en pleine méditerranée. Cela servira surtout à se prémunir contre un danger potentiel de l’OTAN (AFRICOM), la France et Israël dont les visées destructrices dissimulées contre l’Algérie souveraine sont réelles.(53)

L’agitateur principal Rachid Nekkaz, qui avait chauffé le tambour contre le 5éme mandat mais pour préparer le terrain au candidat de l’ex. DRS Ali Guediri, épaulé financièrement et matériellement par Issad Rebrab, l’un des pivots de ce réseau, avait essuyé (avec son groupe) un arrosage de produits sur le balcon où ils étaient perchés à Alger-centre, pendant la première phase du «Hirak» massive. (54) Avec la décapitation de la nouvelle sainte alliance opérée par l’arrestation spectaculaire principalement de Saïd Bouteflika et le général-major Mediène Toufik, ainsi que le démantèlement de sa base de soutien logistique, cette seconde phase du «Hirak» verra le redéploiement de l’Etat profond néocolonial par l’émergence de la coalition dite de l’alternative démocratique – dont des forces néo-colonisées consciemment ou manipulées – dominante juste momentanément par rapport aux divers courants islamistes. Cette force politique coalisée mobilisera toutes ses potentialités pour faire avorter le scrutin avec la volonté d’imposer l’alternative politique de l’assemblée constituante précédée d’un triumvirat provisoire à la tête de l’Etat. Elle élabora une plateforme politique social-libérale dite «de l’alternative démocratique». (55).

Dans son bras de fer faire avec l’Etat-major de l’A.N.P. gérant de facto la transition, elle se coalisera avec le courant islamiste, principalement le mouvement «Rachad» pour saborder l’échéance du 4 juillet 2019. Cette réorientation du cours du «Hirak» se basera sur des objectifs qui ne feront plus l’unanimité et ne rassembleront plus la majorité des gens. Mais l’événement de la coupe d’Afrique créera une accalmie et la victoire de l’Algérie, dont l’équipe nationale soutenue à fond et par tous les moyens du pouvoir d’Etat provisoire animé par l’Etat-major de l’ANP, isolera la force de la nouvelle alliance politique de l’opposition. De nombreux éléments activistes de cette mouvance ne manifesteront aucune joie avec le peuple, comme s’ils étaient déçus et souhaitaient discrètement la défaite de l’Algérie.(56). Ce front tactique exigera le départ du chef d’Etat-major comme préalable et dominera la scène du «Hirak» avec le mot d’ordre mystificateur de «Dawla madaniya machi 3askariya». Il galvanisera ses troupes au moment de la reprise des manifestations à partir du 1 novembre 2019 – alors qu’en été elles se sont drastiquement diminuées – autour d’un «héros» symbolique emprisonné, en l’occurrence Lakhdar Bouregaâ, au parcours controversé d’éternel opposant et déformé par ses propres admirateurs, et à l’accointance visible avec l’ex-DRS.(57).

Pendant cette période régna un climat de défoulement semblable à celui des stades, en particulier à Alger où on faisait gonfler les effectifs par des contingents de toutes les régions du pays, même en assurant le transport et la restauration aux gens. Mais la chaleur humaine et la solidarité qui régna pendant la première phase ont laissé la place à l’intolérance, l’invective, et au commerce de tout produit, y compris l’eau, en particulier à Alger. L’ingérence flagrante et directe sur le «Hirak» sera celle de la France néocoloniale, dans la mesure où les réseaux internes de la FrançAlgérie n’avaient pas l’influence suffisante pour peser sur la situation et modifier le rapport de force en leur faveur. (58) Comme dans l’affaire de la Syrie et de la Libye, le PC – qui n’a de communiste que l’étiquette – et la France (prétendument) insoumise mouvement social-démocrate de Jean-Luc Mélenchon se sont bien démasqués en s’ingérant ouvertement dans la souveraineté nationale ! C’est le vrai visage du Front de Gauche qui défend l’Union Européenne néocolonialiste à laquelle l’Algérie est toujours ligotée. (59).

Si le mouvement populaire dans son apogée, tout en se massifiant avait créé des schismes dans l’édifice et les courroies de transmission du pouvoir politique, économique, sécuritaire, militaire – APN, FLN, RND, UGTA, FCE, DRS … – c’était bien au moment de son soutien ferme par l’Etat-major de l’AN et le noyau dur de son commandement. Mais un segment niché au sein du service de renseignement de l’armée, par une action sournoise, feutrée et un double jeu infiltra le «Hirak» avec le mot d’ordre de «Badissia-Novembaria», créant l’amalgame dans sa première phase et profita du tournant de sa seconde phase déclinante pour fomenter une diversion politico-idéologique d’un courant anti-kabyle – avec la tenue d’une rencontre semi-secrète dans la région de Mostaganem d’où avait fuité la motion dite zéro kabyle – au moment de la rencontre d’Ifri du 20 août 2019 de la coalition dite de l’alternative démocratique, pour légitimer davantage son ambition d’accès au pouvoir. (A suivre)

B. Lechleche. Chercheur-Historien