Le «voile» en islam : approche historique et coranique (partie 1/2)

Religion

Ces derniers jours, la thématique du voile de la musulmane refait surface (notamment à cause d’un projet d’amendement voulu par une députée LREM pour interdire le port du voile aux petites filles), thématique il faut le dire très récurrente sur la scène médiatique et politique française, et de cela naissent ou resurgissent de nombreux débats et prises de position. Parmi celles-ci, nombre de musulmans affirment, face à ce qu’ils appellent les «modérés» ou les «égarés», que le Coran, la sunna prophétique et le consensus des savants contiennent des arguments irréfutables quant à l’obligation du fait de se couvrir la tête pour la femme musulmane.

Évidemment, dans la conception islamique classique, le «voile» représente l’ensemble de la tenue que la femme est amenée à porter pour couvrir tout son corps, à l’exception du visage et des mains (voire des pieds), bien qu’il y ait des divergences sur cela. Mais, dans les sociétés occidentales, ce qu’on appelle communément le «voile» constitue l’un des éléments les plus visibles de l’appartenance religieuse d’un individu et, malheureusement, il suscite beaucoup de critiques, voire parfois de mépris et de confusions. Alors certes, on aura beau crier, comme le font certains, que le voile est secondaire en islam et qu’on en fait trop à son sujet, la réalité c’est qu’il n’y a qu’à voir l’hystérie que génère cette thématique pour constater qu’il est loin d’être considéré comme secondaire pour les femmes musulmanes qui font le choix de le porter, parfois même des femmes venant à peine d’embrasser l’islam, pour les hommes musulmans qui le défendent bec et ongle en développant une rhétorique bien enveloppée (bien qu’hasardeuse) de crainte d’être parfois assimilés à des dayyûth, pour ceux qui voient à travers les tentatives de limiter son port en France un argument justifiant leur projet de hijra (émigration), pour ceux qui le rejettent en y voyant un signe de la soumission de la femme et pour ceux qui le combattent en voyant à travers lui un outil de l’islamisme radical et politique.
En bref, même si le voile est très loin d’être l’alpha et l’oméga de l’islamité d’une femme et même si théologiquement il apparaît comme secondaire dans le texte coranique où on prétend que ce sujet est traité via deux à trois versets principalement, soit moins de 0,05% du message, dans le corpus hadistique où on ne le mentionne (en évoquant le khimâr, le jilbâb ou le hijâb) dans moins de 0,5% des textes (selon une estimation haute) ou encore dans les premiers traités de fiqh (droit musulman), le voile reste dans la mentalité d’un grand nombre de musulmans et de non-musulmans un symbole très important. Aussi, avant de revenir sur les principaux arguments utilisés dans le sujet et en proposer une critique vulgarisée et fortement ramassée pour cadrer avec le format d’un article lisible et accessible, je voudrais commencer par dire que par principe et en tant que citoyen français, je soutiens, au nom de la liberté et de la laïcité – indispensable au vivre et au faire ensemble – les femmes musulmanes qui décident de ne pas porter le voile, mais également celles qui, librement et en conscience, veulent se voiler. A ce titre, je rappelle que la laïcité n’est ni l’athéisme ni l’agnosticisme.
C’est la neutralité de l’État, non de ses membres, à l’égard des convictions religieuses ou philosophiques des citoyens, et la garantie pour ces derniers de leur droit à exprimer leur religiosité. Toutefois, je revendique en revanche et dans le même temps, d’un point de vue théologique et en tant que personne de confession musulmane cette fois, mon droit de rechercher, d’analyser et de critiquer le statut de la pratique du port du voile que d’aucuns présentent comme obligatoire et ce, au nom même du contenu des sources islamiques. Ceci ne signifie pas que je considère le port du voile comme interdit, mais que je considère que son statut général est simplement celui de la permission. Cette subtilité est souvent incompréhensible pour les gens qui se complaisent dans un esprit binaire, qui plus est dans un monde où l’on nous demande sans cesse de soutenir tel ou tel camps… Mon camp est celui de l’honnêteté intellectuelle et de la recherche objective. Mais si je soutiens que le port du voile n’est pas une obligation coranique, alors pour certains je deviens un opposant à l’islam et aux musulmans, et l’on m’accuse de donner du crédit aux thèses laïcardes, voire islamophobes.
Je veux crier ici que les choses ne sont pas ainsi. Les nuances sont importantes pour un esprit libre et ma liberté est de dire que je peux soutenir, en tant que citoyen, la liberté de se vêtir comme on le veut dans le respect de sa spiritualité ou des lois de la société, tout en dénonçant, en tant que croyant, ce que l’on fait dire à mon sens injustement au Livre de Dieu et à la religion que j’ai fait mienne. Revenons à présent sur la critique des arguments des partisans de l’obligation du voile. Évidemment, le format article ne me permettra pas de développer comme je le fais dans l’un de mes ouvrages cette thématique, au risque de produire un texte extrêmement long et indigeste. Je me contenterai donc d’aborder les principaux arguments et les axes de réflexion qui m’apparaissent essentielles théologiquement afin de discuter ce que certains prétendent incontestable. Aussi, j’aborderai le principal argument historique, deux versets, quelques hadîths et l’argument principologique (des usûl al-fiqh) dit du «ijmâ’» (consensus).

L’argument historique du voile dans le christianisme et le judaïsme
L’ornement de la tête a toujours fait l’objet de pratiques, souvent religieuses ou culturelles et ce, depuis l’antiquité. D’ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, il concerna souvent les hommes et eut différentes significations selon la couleur et la forme utilisées : le némès des pharaons, le fès ou tarbouchottoman, le chèche (‘imâma), le tagelmust ou litham des Touaregs, le dastar ou pagri des sikhs ou encore le keffieh porté au Proche-Orient en sont des illustrations. Ainsi, évoquer cet habit coutumier et traditionnel chez certains peuples revient à aborder une histoire vieille de plus de 3 000 ans, aussi vieille que l’écriture ou plus… Le voile, symbole d’un temps, d’une époque, d’une culture, peut être celui de la femme chypriote du IVe siècle modelée dans l’argile, des jeunes filles égyptiennes photographiées vers 1900, mais aussi de la mère de Rembrandt gravée par son fils, de la paysanne picarde peinte par Julien Dupré ou, plus proche de nous dans le temps, de Sharbat Gula, «l’Afghane aux yeux verts» photographiée par Steve McCurry. Outre les raisons liées à la culture et au climat, le voile des femmes dans sa dimension sacrée ou allégorique fut porté pour des raisons rituelles, confessionnelles ou symboliques, à l’instar du voile des vestales romaines, de certaines communiantes et de certaines mariées.
Quant aux hommes, il s’agit davantage d’un voile lié aux circonstances comme le talit des juifs à la synagogue par exemple. Le voile, moyen de protection face au climat, n’était pas le seul apparat utilisé à ces fins. En effet, à l’instar des Égyptiens de l’Égypte antique, la technique ancestrale du khôl, outre sa dimension esthétique, était également utilisé comme un moyen de se prémunir contre les rayons du soleil et le sable, et agissait aussi comme un antiseptique. Il est souvent précisé que la première mention historique du port obligatoire du voile pour les femmes pubères remonte aux lois assyriennes (tablette A, 40) attribuées au roi Téglath-Phalasar Ier ayant régné sur l’Assyrie vers 1200 avant J.-C., cette région de la Haute-Mésopotamie correspondant en partie à l’actuel Irak. Dès 1921, l’orientaliste américain Morris Jastrow évoque «le voile en Assyrie antique» dans un article détaillant les révélations des tablettes déterrées à Assur (nord de l’actuel Irak). On y apprend qu’il s’appliquait alors aux filles d’hommes libres, à leurs épouses et concubines ainsi qu’à ce qu’on appelle les hiérodules mariés, à savoir des femmes le plus souvent vouées à la prostitution dite sacrée. De même, au Ve siècle avant notre ère, en Grèce, le voile était déjà porté par les femmes comme en témoignent, entre autres, quelques répliques de la comédie «Lysistrata» d’Aristophane ou encore des stèles funéraires en marbre exposées au musée du Louvres. D’ailleurs, ici, les esclaves n’étaient pas concernées par le voile, car étrangères au système d’honneur.
Ce sont d’ailleurs les Grecs qui ont introduit le voile en Égypte via l’hellénisation et qui, dès le IVe siècle avant notre ère, diffuseront le «tegidion», voile intégral, correspondant à la burqa afghane ou au niqâb arabe, avec des trous pour les yeux et un bandeau et un voile pour couvrir la tête. Il serait possible de développer grandement sur l’histoire de la pratique du voile dans de multiples civilisations moyen-orientales et du bassin méditerranéen. Mais pour synthétiser et aller droit au but, j’évoquerai simplement l’argument historique utilisé par les partisans de l’obligation du voile, tout en précisant avant cela qu’à l’instar des coutumes héritières de traditions multiséculaires, on avance que les femmes arabes portaient également un voile traditionnel sur les cheveux, voire sur le visage. Les poèmes qualifiés d’antéislamiques en témoignent (bien que leur datation soit discutable) et Tertullien (père de l’Église), comme d’autres auteurs, mentionne dans ses écrits le voile des femmes païennes d’Arabie (même si à mon avis, il parle plutôt de ce qui était en pratique dans l’Arabie pétrée et non dans l’Arabie désertique). Ceci dit, nombre de musulmans affirment, pour justifier qu’il en soit de même selon eux en islam, que le port du voile par la femme est aussi une pratique demandée dans le judaïsme et le christianisme. Mais il y a dans cette affirmation une précision importante qui n’est jamais donnée, à savoir qu’aucun Livre considéré en islam comme révélé et en lien avec ces deux religions, à savoir la Torah et l’Évangile, n’impose le port du voile.
Ce sont à chaque fois, comme en islam d’ailleurs, les Hommes, et bien souvent les hommes, qui outrepassent le texte révélé pour imposer à la femme ce qu’ils voudraient qu’elles soient. Ainsi, dans le christianisme, la première mention textuelle de l’obligation pour la femme de se voiler, pour des motifs par ailleurs contraires au Coran, vient de l’apôtre Paul, titre qui lui fut souvent contesté par les premières communautés chrétiennes, via son Épître aux habitants de la cité de Corinthe. Par la suite, ce texte sera développé par les Pères des Églises latine et grecque qui en feront l’attribut de la vierge consacrée et de l’épouse chrétienne. Toutefois, Paul n’est pas Jésus et son épître n’est pas l’Évangile… De même, dans le judaïsme se sont les rabbins et religieux juifs qui ont développé cette idée de l’imposition du port du voile dans le Talmud et dans la littérature kabbalistique en général (via le Zohar notamment) mais, dans la Torah, aucun verset ne stipule que le fait de se voiler serait une obligation. Certes, dans le judaïsme, comme dans les religions monothéistes, la pudeur au sens large (ṣenî’uth en hébreu) a une grande importance, mais aucun verset de la Torah ne fait de lien entre pudeur et couverture obligatoire de la chevelure. Cette obligation, selon un certain cadre, fut développée dans les ouvrages talmudiques et mishnaïques.

Contestation des arguments coraniques
Le volet histoire ayant permis de mettre en avant le fait que la pratique du port du voile n’a rien d’islamique, mais également que les textes fondateurs des deux autres religions monothéistes n’imposent nullement cette pratique, il convient de s’intéresser au texte coranique.
(A suivre)
William Blob