Les talibans s’emparent des armes américaines, un butin de guerre désormais entre leurs mains

Afghanistan

Depuis la débâcle de l’armée afghane, l’entrée des taliban dans la capitale afghane et la fuite précipitée de l’ancien président Ashraf Ghani, le 15 août 2021, la victoire de ces islamistes ultra-radicaux après près de 20 ans de guerre les a fait revenir sur le devant de la scène médiatique.

Les images ont fait le tour du monde : des taliban équipés d’armes et de treillis les faisant ressembler à des agents des forces spéciales américaines inspectant l’aéroport de Kaboul le 30 août quelques instants après le départ des derniers soldats de l’US Army. Devant les caméras des correspondants étrangers encore tolérés, les talibans exhibent fusils d’assaut M16 et carabines M4 en dotation dans l’armée américaine à côté de leurs éternels kalashnikovs et RPG soviétiques de l’époque de la Guerre froide. Des images de Taliban posant devant des hélicoptères américains, dont des Black Hawk pouvant coûter jusqu’à 21 millions de dollars pièce, et même des avions, sont partagées sur les réseaux sociaux.
Le 1er septembre, des membres du mouvement islamiste ont même paradé fièrement dans la ville de Kandahar, considérée comme le berceau des talibans. Des milliards de dollars d’armement En 20 ans de guerre, les Américains ont dépensé 2.300 milliards de dollars en Afghanistan, d’après une estimation de la Brown University. Selon le site Openthebooks.com, les Etats-Unis ont alloué au moins 83 milliards de dollars à l’armement et la formation des 300.000 soldats des forces de sécurité afghanes même si les données exactes sont difficiles à obtenir.
Sur la base de deux rapports du Government Accountability Office (GAO, un organisme d’audit, d’évaluation et d’investigation du Congrès des États-Unis chargé du contrôle des comptes publics du budget fédéral des États-Unis) et de l’Inspection générale pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR) datés de 2017 et 2020, l’organisation rapporte entre autres que 75.898 véhicules et 208 avions ont été fournis aux forces armées afghanes entre 2003 et 2016. Selon le GAO encore, c’est près de 600.000 armes d’infanterie, 162.000 pièces d’équipement de communication, 16. 000 lunettes de vision nocturne (qui coûtent entre 5.000 et 10.000 dollars chacune) qui ont été transportées dans le pays. Les Talibans mieux équipés que l’armée ukrainienne.

Les talibans mieux armés que l’armée ukrainienne
Selon Moscou Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a déclaré le 30 août 2021 que les Etats-Unis avaient abandonné plus d’une centaine de lance-missiles antichars portables Javelin, directement tombés entre les mains des talibans considérés comme une organisation terroriste interdite en Russie. Selon lui, le chiffre est largement supérieur à l’armement mis à disposition de l’armée ukrainienne par les Etats-Unis. «Si l’on dit que les Etats-Unis ont livré quelques dizaines de Javelin à l’Ukraine, je ne me souviens plus, ici, il y en a plus d’une centaine. Pas livrés, mais simplement tombés entre les mains des talibans», a-t-il déclaré sur la chaîne YouTube Soloviev Live. Répondant ensuite à une remarque du journaliste Vladimir Soloviev selon laquelle les Talibans seraient «mieux armés que l’armée ukrainienne, avec des armes plus modernes», le ministre a répondu : «Si l’on compte en milliers de militaires, on peut le dire».
Des armes bientôt remises en circulation ? Combien de ces armes sont tombées effectivement entre les mains des Taliban ? La question demeure entière. Entre 40 et 50 avions de l’armée Afghane ont pu échapper à leur contrôle et sont en Ouzbékistan après que 500 soldats les ont utilisés pour fuir le pays. D’autres encore étaient en maintenance aux Etats-Unis au moment de la chute de Kaboul. «Nous n’avons pas une idée complète, bien sûr, d’où est allé chaque matériel de défense militaire, mais certainement qu’une bonne partie d’entre eux sont tombés entre les mains des taliban», a reconnu le Conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Jake Sullivan le 17 août 2021. «Il est inconcevable que des équipements militaires de haute technologie payés par les contribuables américains soient tombés entre les mains des Taliban et de leurs alliés terroristes. La sécurisation des actifs américains aurait dû figurer parmi les principales priorités du département américain de la Défense avant d’annoncer la retraite d’Afghanistan», lit-on dans une lettre au Secrétaire de la Défense Lloyd Austin signée le 18 août par 25 sénateurs menés par le républicain Marco Rubio.
Les élus demandaient par ailleurs une évaluation précise du nombre des armes en possession des taliban. Selon un responsable américain cité par Reuters, le 12 août, le renseignement américain évaluait alors à au moins 2.000 blindés, dont des transporteurs Humvees, et jusqu’à 40 aéronefs dont des hélicoptères UH-60 Black Hawk ou des drones militaires Scan Eagle récupérés par les talibans. Après leur départ de l’aéroport de Kaboul, les militaires américains ont fait savoir qu’ils avaient saboté le matériel militaire qui s’y trouvait encore. Le général Kenneth McKenzie a déclaré que 73 aéronefs ne voleront plus jamais après avoir été démilitarisés, pareil pour 70 véhicules blindés MRAP résistant aux mines (1 million de dollars pièce), 27 véhicules légers Humvee et leur système de défense anti-missile C-RAM.
Si on peut avoir des doutes sur la capacité des talibans à utiliser et entretenir les hélicoptères ou les avions qu’ils ont pu récupérer en état de fonctionnement, ces derniers peuvent tout de même en tirer de confortables bénéfices à la revente : «Par exemple, le seul manche de commande de certains avions militaires a une valeur d’acquisition de 17.808 dollars 15.086 euros et un réservoir de carburant se vend jusqu’à 35.000 dollars 29.650 euros», note Openthebook. Il en va de même pour les armes légères qui peuvent intéresser de nombreux acheteurs. De quoi assurer aux talibans des fonds dont ils vont avoir besoin alors que leurs caisses ont été mises à mal par le gel des avoirs de la Banque centrale afghane détenus aux Etats-Unis, et la fin des aides internationales après leur victoire.
Ces armes pourraient aussi être utilisées pour anéantir les derniers foyers de résistance aux talibans dans la vallée du Panshir qui est désormais le théâtre de combats. Les plus hauts responsables du Pentagone se sont engagés le 1er septembre à tirer les leçons de la guerre en Afghanistan, reconnaissant ressentir «douleur et colère» après avoir remis le pays aux mains des talibans, leurs ennemis de 20 ans. «Aucune opération n’est jamais parfaite», a reconnu le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, qui s’exprimait publiquement pour la première fois depuis la fin de l’évacuation chaotique de 124.000 civils de Kaboul, dans la nuit de 30 au 31 août.
Oki Faouzi