Ecrire c’est jongler avec les mots

Il faut beaucoup d’adresse et de savoir-faire pour s’exprimer clairement

Ecrire est un art, l’art de faire des paragraphes qui vont être les constituants d’un texte plus ou moins long, qui va de la lettre au roman et une technique consistant à employer le mot exact et le temps qu’il faut à leur place exacte.

Boileau a eu raison de dire que «ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément». Cette citation datant du 17e siècle sert toujours de référence pour tous ceux qui s’initient à l’écriture qui n’est pas toujours facile tant il faut savoir lier l’idée aux mots nécessaires pour l’exprimer. Dès qu’il y a un écart de sens entre le contenu d’une phrase et l’idée exprimée, on a fait un sémitisme, un écart de sens entre ce qu’on a dit et ce qu’on a voulu dire. Les élèves à qui on reproche d’avoir commis une faute d’expression, n’a peut être pas su employer les mots qu’il faut ou n’a pas respecté la concordance des temps, sinon qu’il a commis une méprise, au lieu de mettre en évidence une idée, il a parlé d’autre chose qui n’a aucun rapport avec le sujet. Dans n’importe quelle langue, il faut posséder la grammaire, et l’essentiel du vocabulaire pour arriver à faire des textes non pas parfaits, mais corrects. Ne peut prétendre être parfaits que chacun des grands écrivains qui ont beaucoup lu dans la langue d’expression si bien qu’il jongle avec les mots pour construire des phrases qui plaisent aux lecteurs parce qu’elles leur apportent de quoi les satisfaire tant sur le plan de la forme que du fond. Par ailleurs, une phrase bien faite peut leur servir de modèle. Dans une langue, il faut toujours lire les bons auteurs pour être familiarisé avec les affinités de cette langue : ses tournures et tournures imagées, les moyens grammaticaux qui permettent d’arriver à la même idée ou notion contenue dans une phrase. D’une manière générale, savoir écrire c’est avoir la maîtrise de l’écriture, c’est aussi posséder la langue et tous ses secrets.

Pour jongler avec les mots, il faut les connaitre

Faut-il connaître tous les mots, impossible ! Mais on peut connaitre l’essentiel qui permette de construire des milliers de phrases avec des sens différents, compte tenu du fait que chaque mot change de sens selon les contextes. Il faut avoir du génie pour mettre en évidence toute la polysémie des mots que l’on a appris dans sa vie et qu’on désigne par l’expression «bagage littéraire ou bagage lexical». Ceux qui ont écrit des livres de valeur ont lu de nombreux ouvrages pour arriver à enrichir leurs connaissances comme l’ont fait jadis Kateb Yacine, Mohamed Dib, Mouloud Feraoun et d’autres qui avaient au départ un bagage intellectuel appréciable. Kateb Yacine était en classe de 3ème lorsqu’il s’est fait exclure du lycée de Sétif à la suite des évènements de mai 45 et auxquels il avait pris un part active, mais c’était un jeune homme très intelligent qui a su évoluer en lisant les grands auteurs anglo-saxons comme Steinbeck, Jack London et les grands dramaturges de l’antiquité Grecque. Mouloud Feraoun et Mohmand Diba, instituteurs de formation, étaient aussi de grands lecteurs avant de devenir de grands écrivains. Mohmand Diba et Assin Djerba ont mérité pleinement le prix Nobel, ils ont été proposés et on n’en connaît pas la suite. Ben Hadouga a écrit de très beaux romans en langue arabe, tout comme Amin Zaoui et Boudjedra en langue nationale.

Parmi ces écrivains algériens de grand talent, certains écrivaient dans une langue qui n’était pourtant pas la leur ni leur langue maternelle, mais ils ont réussi à se tailler une place de choix parmi les écrivains étrangers, ils sont arrivés à se faire traduire dans les langues les plus parlées au monde. Pour arriver à écrire dans une langue qui n’étaient pourtant pas la leur, ni leur langue maternelle, il leur a fallu travailler dur comme étudiants ou comme lecteurs libres. Feraoun a dû lire même les auteurs russes puisqu’il a cité dans son livre «Le fils du pauvre» un très beau passage de Tchécov et qui est d’actualité dans la société algérienne. Pour écrire dans n’importe quelle langue, il faut posséder parfaitement la grammaire et un nombre suffisant de mots : vocabulaire et mots grammaticaux de cette langue. Comme ils connaissent parfaitement la technique de la narration, ils ont réussi dans le roman et la nouvelle, beaucoup ont fait leur début dans la poésie et le journalisme. Kateb et Dib ont travaillé à Alger républicain dès la fin des années quarante. Ceux qui ont la maîtrise de la prose ont composé des recueils de belles poésies. En poésie, on cherche les mots qui riment avec des ensembles, des mots à fortes sonorités et sémantiquement riche.

En tous les cas l’expérience a montré que les habitués de la versification réussissent bien dans les romans de Kateb Yacine, Tahar Djaout, Mohmand Diba sont riches de poésie avec un vocabulaire recherché et porteur de sonorités et de sens. En tous les cas, ceux qui ont commencé leur carrière d’écrivains en commençant par la poésie est un atout important pour réussir dans le roman ou dans le théâtre. Quant à Kateb, il est singulièrement différent de tous les écrivains, il n’y a pas d’auteur, même parmi les étrangers qui lui soit identique. Il est unique et son style est extraordinairement atypique. Ses œuvres romanesques sont à la fois des romans, des pièces théâtrales et des poèmes. Ses nouvelles sont lisibles, mais hermétiques comme «Nedjma et Le Polygone étoilé», mais quand on arrive à les comprendre, ils sont d’une beauté incomparable. Nous avons déjà dit que Kateb Yacine a lu les grands écrivains de la littérature mondiale et il a adopté la forme du nouveau roman qui se caractérise par la non linéarité et quand on lit une de ses œuvres, on tourne en rond pour se retrouve au point de départ. Il est capable de faire un très beau roman avec des mots de tous les jours, il possède l’art de les agencer de manière poétique avec de très belles métaphores. Il pouvait dire en dix lignes ce qu’un autre ne peut pas dire en dix pages. C’était un génie avec son style propre, sa manière de créer une pièce théâtrale, ses nouvelles qui sont aussi des chefs d’œuvre dans la littérature algérienne.

L’art de faire dire aux mots ce qu’ils n’ont pas l’habitude de dire

Faire des phrases où ces mots : substantifs, verbes, qualifiants ont d’autres signifiés. On a relevé dans «La grande maison» de Mohmand Diba, cette phrase qui en dit plus long qu’elle ne parait : «Les sentiments qui liaient Omar à Z’hor poussaient comme une fleur sur un rocher sauvage», très belle image qui montre bien qu’une fleur qui a besoin de délicatesse est placé dans un décor  du paysage qui n’est le sien. «  Une fleur sur  un rocher sauvage » traduit l’idée de précarité, d’incertitude du lendemain. Ce petit passage montre le style poétique de Diba qui jongle avec les mots pour leur faire ce qu’ils n’ont pas coutume de dire. Quant à Kateb Yacine, il fait de la prose pour bâtir un roman, mais ne se prive jamais de son genre préféré, la poésie. Quand on lit le polygone étoilé, il introduit après des pages en prose, à d’autres pages en vers libres, ce qui déroute le lecteur au point de ne pas savoir où il en est dans sa lecture. Il jongle avec les mots pour faire de la prose poétique, puis de la  poésie, des vers libres par lesquels le lecteur continue de lire son roman.
Il n’y a pas de plus original que le roman de Kateb. Et une fois parlant de sa famille et de théâtre, il dit : «ma mère est elle-même un théâtre» pour signifier que c’est un personnage très complexe, elle qui était férue de culture orale. Voici un autre passage relevé dans son dernier roman : «Hélas ! Il me fallut obéir au destin torrentiel de ces truites fameuses qui finissent tôt ou tard dans l’aquarium ou dans  la poêle.» Avez-vous compris ce que l’auteur dit par destin torrentiel, qui renvoie à l’idée de pluie tombant en abondance. Lui- même a dit une fois : «quand j’écris, je suis comme un torrent sous un orage inattendu». Mouloud Feraoun est aussi  un écrivain dont les ouvrages intéressants à lire tant ils  sont les témoins d’un temps et qu’ils peignent avec exactitude toute la société sans perdre de vue le moindre geste du quotidien. On est à une époque où les hommes et les femmes peinent beaucoup pour assurer la vie, ils ont  lutté  pour leur survie.  L’auteur a choisi ce passage de  Tchékhov  qui décrit si bien les difficultés vécues par chacun des responsables de famille : «Nous travaillerons pour les autres jusqu’à notre vieillesse et quand notre heure viendra, nous mourrons sans murmure et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons pleuré, que nous avons vécu de longues années d’amertume, et Dieu aura pitié de nous». (Tchekhov)
  Boumediene Abed