La recherche d’une vérité sur certains épisodes de la colonisation (VIII)

Lettre à René

À son ami René, mais en fait aux générations montantes, Kamel Bouchama rappelle ce qu’entraîna l’acte odieux adopté par le parlement français en janvier 1830. Hélas, cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu’île de Sidi Fredj, amenant ainsi l’Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance… L’avenir, dit l’auteur de « Lettre à René » en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là, où notre vieille garde militante n’a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes.

Nos défenseurs n’avaient aucun complexe, mieux encore, ils étaient très à l’aise pour mettre en exergue les valeurs de notre religion qui demeure la seule à être traitée injustement, à ce jour, par des exaltés au savoir limité. Ils étaient d’autant plus à l’aise, qu’ils connaissent les valeurs humaines et les vertus humanistes de l’Islam dont l’Histoire a été falsifiée à tous les niveaux de l’enseignement dans les pays de l’Occident. Par exemple, jusqu’à aujourd’hui des millions de jeunes européens subissent les mensonges de leurs maîtres. Oui ? René, c’est la triste réalité ! Cette situation peut se poursuivre pendant longtemps encore, car, en l’occurrence, trop d’intérêts s’unissent contre la connaissance et surtout contre l’enseignement des vérités les plus élémentaires. Mais quand les Occidentaux décideront de réécrire l’Histoire, elle leur dévoilera beaucoup de choses. Car l’Histoire, la vraie, ne peut taire les grandes réalisations de l’Islam, comme elle ne peut cacher ces comportements qui, sous d’autres cieux et au nom d’une certaine religion, n’étaient pas à inscrire au tableau des vertus. Réfléchissons un peu. L’Histoire universelle, celle qui sera écrite proprement, va-t-elle oublier de dénoncer par exemple cette «croisade des enfants», en 1212. Ces enfants trompés par les soi-disant «fidèles» allant délivrer Jérusalem des mains des «infidèles» et qui ont été vendus comme esclaves en Égypte ? Va-t-elle oublier de raconter dans les détails cette autre croisade de «Pastoureaux», en 1250, sous la conduite d’un autre malade, le prophète de Hongrie ? Continuera-t-elle à dissimuler la sauvagerie et la barbarie par lesquelles ont brillé les saints hommes de l’Église, très chrétienne, en élevant les bûchers de l’inquisition, en massacrant les musulmans d’Espagne et en les chassant de leurs foyers, au moment où les religions abrahamiques n’ont jamais favorisé la violence ? Vois-tu, René, je donne ces exemples à titre de rappel, seulement, je n’ai aucune intention de te choquer. Je continue… Mais en attendant que soit rétablie cette vérité historique, des voix s’élèvent encore pour dire courageusement leur réprobation de l’oubli, savamment tissé autour de pénibles événements. Dans nos archives, il existe des témoignages d’historiens, tel celui d’Ibn El-Athir qui écrivait : «Les ravages commis par les Francs s’étendaient sur toutes les campagnes de la Jazira et leurs étincelles y voltigeaient de toutes parts. Leurs dévastations se faisaient sentir sur la partie éloignée de la Jazira comme sur la partie proche, jusque vers Amida (Diyârbekir), Nisibin, Ras al-‘Ain et Raqqa». Bien plus tard, à l’aube du troisième millénaire, les descendants de Francs et autres «démons» de l’Occident allaient démontrer, par des méthodes de guerre, autrement plus sophistiquées, ce que veut dire le génocide des musulmans. Les exemples de la Bosnie, de la Tchétchénie, du Kosovo et de l’Irak sont présents pour témoigner de cette haine implacable de l’Arabe et de l’Islam. Alors qu’à l’opposé, et des siècles avant ces massacres, le Prophète Mohamed (QSSSL), dans sa grande majesté, recommandait à ses sujets de respecter les étrangers (les non-musulmans) et de ne pas toucher à leur dignité. Il disait même: «Quiconque fait du mal à un sujet non musulman me fait du mal, à moi personnellement». Cela n’est qu’un exemple de ce que furent la sagesse, la mansuétude et la tolérance du Prophète. Ces bonnes traditions se sont perpétuées dans le temps et nos dirigeants ont toujours respecté le chrétien et sa religion, parce qu’ils sont profondément imprégnés de cette noblesse islamique. Pour preuve, cette lettre de l’Émir Abdelkader, le chevalier de la foi, adressée au Suisse Eynard, au lendemain des événements de Damas lorsqu’il a eu à défendre les chrétiens du génocide qui leur a été imposé par les Druzes : «Quant à ce que vous me dites, cher ami, de ce que les journaux ont appris de moi, je vous dirai que si peu de chose que ce soit, je possède un grand zèle et une tolérance portée à un très haut degré, ce qui fait que j’ai de la considération pour tous les hommes de quelque croyance et de quelque religion qu’ils soient. Je vais même jusqu’à protéger les animaux et je ne cherche à faire de mal à qui que ce soit, mais je désire au contraire leur faire du bien». Oui, faire du bien. Sa mère aussi, Lalla Zohra, faisait du bien, et elle a élevé son fils dans cet esprit. Ne tenait-elle pas ces propos aux prisonniers français, alors qu’elle les soignait et les nourrissait, après la victoire des Algériens lors de la bataille d’Aïn-Témouchent, le 26 septembre 1845, je cite : «Qu’êtes-vous venu faire dans notre pays ? Il reposait calme et prospère et vous avez semé les orages et la désolation de la guerre ! C’est la volonté de Dieu qui s’accomplit. Mais Dieu est tout puissant et ses desseins impénétrables. Peut-être vous rendra-t-il un jour le pardon à notre pays et à vos familles ?» Leur emboîtant le pas, de longues années plus tard, notre Président, dans une déclaration qui témoigne de la grandeur d’âme du croyant et de son respect pour les autres religions, exprimait dans une rencontre officielle, sa déférence à l’égard d’une personnalité algérienne de confession chrétienne : «Qu’il soit demandé aux instances autorisées la sanctification, la canonisation de notre ami et frère Monseigneur Duval. Je voudrais le faire non seulement pour le caractère exemplaire de sa vie spirituelle et active, mais aussi, pour tout ce que, au-delà des barrières idéologiques, ethniques, raciales et religieuses, il a eu le courage d’incarner, en affirmant l’unité du genre humain devant l’adversité qui frappe les uns au profit des autres… L’évocation du cardinal Duval suscite en moi une profonde émotion. La même que suscite celle de l’Émir Abdelkader qui, autrefois, dans son «Chemin de Damas», n’a pas hésité à mettre en péril sa vie, celle de sa famille, de ses proches et la totalité de ses biens, pour sauver les chrétiens et les Maronites du Liban et de la Syrie». Et le combat continue. Un combat loyal où les défenseurs de l’Islam s’évertuent à expliquer, dans la sérénité, avec les ressources de leur intelligence, les grandes erreurs de cet impérialisme culturel qui ne peut aboutir qu’à des impasses. Ces défenseurs de l’Islam veulent «dépasser les préjugés charriés par une longue tradition culturelle à tendance européocentriste», une tradition qui nous incite à croire que le dialogue entre les principales religions est relégué à l’oubli. Quant à la tolérance, longtemps célébrée par l’Occident, elle n’est, par la force des choses, qu’une vue de l’esprit. Dans ce qui précède, j’ai voulu t’expliquer, René, qu’en fait, la religion musulmane n’est ni cruelle ni despotique, comme elle ne vit pas de chimères, d’utopie, d’abdication et de résignation. L’Islam, ce ne sont pas l’Orient et son infini, comme le prétendait Pascal, dans un écrit sarcastique, et ce n’est pas non plus «Les Mille et une Nuits», comme le décrivaient les spécialistes des contes et légendes. C’est encore moins Shéhérazade, Abou Nouas, les derviches tourneurs, les avaleurs de sabres, ou Sidi je-ne-sais-quoi qui guérit la stérilité, l’impuissance ou la schizophrénie. Ainsi donc, je me suis proposé d’expliquer, dans cette correspondance, que l’Islam dans notre pays a toujours été appliqué correctement, dans son rite le plus simple, le plus originel, avant que ne viennent le maculer des pharisiens sous les prétextes fallacieux d’une lutte contre un intégrisme exacerbé. J’ai dit comment nous vivions dans une Algérie paisible spirituellement, tournée vers la foi, sous la conduite d’hommes pieux qui attachaient du prix à la mobilisation, à la formation et à la sensibilisation des fidèles autour de bonnes œuvres et qui, à partir de leur mûre réflexion, «semèrent dans ce vaste territoire la semence qui fit fleurir leur pensée et améliorer leur mode de perception du présent et du futur». Je vais te dire, plus loin, ce que l’Islam a apporté à notre pays depuis les premiers contacts avec le gouverneur d’Égypte, Abdallah Ibn Saâd, désigné par le calife Othmane Ibn Affane, en l’an 27 de l’Hégire, et ensuite avec Okba Ibn Nafaî, quelques années plus tard, exactement en l’an 45. Toutes ces explications, René, te serviraient à mieux saisir le sujet et appréhender les attitudes incompréhensibles de prétendus fervents du christianisme. Ces attitudes, pour le moins burlesques, démontrent l’étroitesse de vue de gens au parti pris singulier et nous confortent dans notre conviction que l’Islam, même s’il vit quelquefois des problèmes dus aux pratiques surannées et aux contradictions fabriquées de toutes pièces, demeure ce bastion contre lequel viennent se briser toutes les tentatives de dépréciation et les campagnes sordides aux préjugés charriés par la peur du fanatisme ou de la «xénophobie sous l’emblème de la guerre sainte». Parce que, tout simplement, il est le symbole de l’élévation, de l’essor et du progrès. Aussi, avant de voir les différentes étapes de son évolution en terre algérienne, avant de faire connaissance avec les prédicateurs qui l’ont enseigné et ont fortifié sa pratique, je peux affirmer que si l’Islam n’a pas connu les mêmes déboires qu’il avait connus ailleurs, le mérite revient en grande partie à toutes ces populations calmes et paisibles qui l’ont accepté et adopté sans aucune réticence en s’investissant entièrement dans sa propagation et dans l’expansion de sa culture. De toute façon, tu comprendras, en lisant attentivement cette lettre, que l’Islam a servi de catalyseur dans notre pays pour affermir notre union et renforcer notre résistance. Il a permis à nos pieux fidèles, sous la conduite de nos ancêtres – qui n’étaient pas des Gaulois, tu en es convaincu – de nous transmettre une tradition solide et des pratiques saines. Ainsi, dans ce qui va suivre, je vais te présenter un ensemble d’informations qui te donneront une vision plus juste de l’Islam dans son évolution historique et culturelle depuis Okba Ibn Nafaî El-Fehri. J’évo-querai ces hommes de foi qui plaçaient leur idéal dans la permanence d’une vie simple, dans une société fraternelle et dont l’apport fut indéniable à la société algérienne. Oui, tu comprendras que l’Islam, le vrai, n’est pas venu dans notre pays comme on a essayé de vous le faire croire dans l’autre rive de la Méditerranée, avec l’arrivée de cette campagne de vitalité spirituelle ou de «recrudescence du fondamentalisme et d’agressivité des doctrinaires du néo-traditionalisme», mais se trouve, parmi nous, depuis des siècles, à travers les sentences remarquables de nos aïeux, ces apôtres au prêche ardent, à la foi inébranlable, à la culture vaste, aux principes simples et à la tolérance éprouvée. C’est ce que j’essaye de démontrer constamment dans mes interventions et dans tous mes écrits.
K.B.