Quel rôle pour le journaliste et l’intellectuel dans la société ?

Révolution informelle

«Je considère que le rôle de l’intellectuel, du journaliste et d’un cadre de la Nation y compris les ministres, est d’éviter tant la sinistrose, le dénigrement gratuit que l’autosatisfaction, source de névrose collective, mais d’émettre leurs analyses et appréciations selon leur propre vision du monde. Le débat contradictoire productif, le dialogue serein et la symbiose Etat/citoyens sont la condition sine qua non pour établir tant un bilan objectif afin de corriger les erreurs et de tracer les perspectives futures du pays». Le mot intellectuel provient du mot latin intellectus, de intellegere, dans le sens d’ «établir des liaisons logiques, des connexions entre les choses». La fonction de l’intellectuel n’est pas à proprement parler récente car à l’époque de la Grèce antique des leaders charismatiques, qui font l’intellectuel, se retrouvent dès la première étape du mouvement social, comme Gorgias ou Protagoras ont marqué leur époque par une démarche passionnelle de l’esprit. Dans la littérature française, la naissance du mot est attribuée à Saint Simon repris par Clémenceau lors de l’affaire Dreyfus : «intellectuels venus de tous horizons pour se grouper sur une idée». Ainsi, le mot «intellectuel» est souvent utilisé pour désigner quelqu’un qui s’engage dans la sphère publique pour défendre des valeurs. Dans Horizons et débats, numéro 26, juin 2004, le rôle de l’intellectuel dans la société Joseph M. Kyalangilwa, définit comme «intellectuel» toute personne, homme ou femme, qui met son intelligence au service de la communauté. Selon les historiens Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, un intellectuel est « un homme du culturel, créateur ou médiateur, mis en situation d’homme du politique, producteur ou consommateur d’idéologie». Raymond Aron, dans L’Opium des intellectuels (1955), pose cette question du rôle du savant dans la cité, l’intellectuel étant un «créateur d’idées» et doit être un «spectateur engagé». Pour Pierre Bourdieu, dans «Contre-Feux 2, Raisons d’agir, Paris 2001» l’ intellectuel ne peut être que collectif. Pour Edward Said (des intellectuels et du pouvoir, Seuil, Paris 1996), l’intellectuel n’est ni un pacificateur ni un bâtisseur de consensus, mais quelqu’un qui s’engage et qui risque tout son être sur la base d’un sens constamment critique, quelqu’un qui refuse quel qu’en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels. Pour Albert Camus (discours de Suède, Gallimard, 1958) pour qui l’écrivain «ne peut se mettre au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent». Mais, ajoute-t-il, il ne faudrait pas pour autant «attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales. La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante.» pour Michel Foucault, (Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard, Paris 2001), pendant longtemps, l’intellectuel dit «de gauche» a pris la parole et s’est vu reconnaître le droit de parler en tant que maître de vérité et de justice. On l’écoutait, ou il prétendait se faire écouter comme représentant de l’universel… il y a bien des années qu’on ne lui demande plus de jouer ce rôle. L’intellectuel, selon Noam Chomsky, vision défendue également par Normand Baillargeon est avant tout au service de l’idéologie dominante. Pour Paul Valéry le rôle de l’intellectuel est celui de «remuer toutes choses sous leurs signes, noms ou symboles, sans le contrepoids des actes réels».
Quels liens entre culture, le rôle des intellectuels et journalistes et le développement ? L’intellectuel et le journaliste ne sauraient vivre en vase clos. Sa méthodologie pour produire est simple : pour paraphraser le grand philosophe allemand Hegel, méthodologie reprise par Karl Marx dans le Capital, il observe d’abord le concret réel ; ensuite il fait des abstractions, les scientifiques diront des hypothèses. Il aboutit à un concret abstrait, c’est-à-dire son œuvre. Si le résultat final permet de comprendre le fonctionnement du concret réel à partir du canevas théorique élaboré, les abstractions sont bonnes. C’est aussi la méthodologie utilisée en sciences politiques pour déterminer le niveau de gouvernance des 80/20%. En effet, 20% d’actions bien ciblées ont un impact sur 80% de la société ; mais 80% d’actions désordonnées que l’on voile par de l’activisme ministériel ont un impact que sur 20% Aussi l’intellectuel se pose entre la réalité et le devenir de l’humain devant tenir compte de la complexité de la société toujours en mouvement d’où l’importance de la multi pluridisciplinarité et donc du mouvement de l’histoire. L’intellectuel et le journaliste produisent ainsi de la culture qui n’est pas figée, mais évolutive fortement marqués par l’ouverture de la société sur l’environnement englobant l’ensemble des valeurs, des mythes, des rites et des signes partagés par la majorité du corps social et est un constituant essentiel de la culture d’une manière générale , de la culture de d’entreprise , du transfert technologique d’une manière particulière et tenant compte du rôle d’Internet et des nouvelles technologies, ou le monde est devenu une maison de maison de verre, en vue de l’adaptation de la diffusion des connaissances. Les expériences réussies du Japon, des pays émergents comme la Chine et l’Inde montrent que l’on peut assimiler la technologie sans renier sa culture. D’ailleurs le transfert technologique est favorisé lorsqu’il existe une meilleure compréhension des valeurs convergentes et divergentes qui s’établissent entre deux groupes et vouloir imposer ses propres valeurs, c’est établir une relation de domination qui limite le transfert. Aussi, la culture d’entreprise est un sous-produit de la culture nationale et par conséquent un ensemble de valeurs, de mythes, de rites, de tabous et de signes partagés par la majorité des salariés et un élément essentiel pour expliquer les choix stratégiques en renforçant les valeurs communes : exemple, les règlement de conduite, les descriptifs des postes, ainsi que par le système de récompense et de sanctions adopté afin que les salariés soient mobilisés, pour qu’ils s’identifient à leur entreprise et s’approprient son histoire. Tout cela facilite le transfert de technologie qui ne doit pas se limiter à l’aspect technique, mais également managériale, organisationnel et commercial et culturel. En ce XXIe siècle, le capital se socialise dans différents dispositifs techno- organisationnels influant dans le rapport des individus au travail. Cependant les enquêtes montrent clairement que cette extension des savoirs sociaux s’accompagne de nouvelles formes de segmentation (qualifiés/non qualifiés ; mobiles/immobiles ; jeunes/vieux ; homme/femme et d’un partage des activités et servies qui deviennent de plus en plus marchands (délocalisation avec l’informatique en Inde l’électronique au Japon, Corée du Sud ect). C’est la résultante de la nouvelle configuration de la division internationale du travail, produit de l’évolution du développement du capitalisme que l’on nomme aujourd’hui mondialisation, les anglo-saxons parlant plutôt de globalisation. Cette approche socio- culturelle qui rend compte de la complexité de nos sociétés doit beaucoup aux importants travaux sous l’angle de l’approche de l’anthropologie économique de l’économiste indien prix Nobel Amartya SEN où d’ailleurs selon cet auteur il ne peut y avoir de développement durable sans l’instauration d’un Etat de droit et de la démocratie tenant compte de l’anthropologie culturelle de chaque société, qui permet à la fois la tolérance, la confrontation des idées contradictoires utiles et donc l’épanouissement des énergies créatrices. Cela renvoie au concept de rationalité (voir les importants travaux du grand philosophe allemand Kant) qui est relative et historiquement datée comme l’ont montré les importants travaux de Malinovski sur les tribus d’Australie. Car, il s’agit de ne pas plaquer des schémas importés sur certaines structures sociales figées ou il y a risque d’avoir un rejet (comme une greffe sur un corps humain) du fait que l’enseignement universel que l’on peut retirer de l’Occident est qu’il n’existe pas de modèle universel. Lisons attentivement l’œuvre du grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun. Je pense fermement que la seule façon de se maintenir au temps d’une économie qui change continuellement, et donc d’une action positive de l’intellectuel et du journaliste c’est d’avoir une relation avec l’environnement national et international, c’est-à-dire mettre en place progressivement les mécanismes véritablement démocratiques qui ont un impact sur l’accumulation des connaissances internes.

En résumé, l’intellectuel non organique aux ordres, est toute personne (femme ou homme) qui, du fait de sa position sociale, dispose d’une forme d’autorité et la met à profit pour persuader, proposer, débattre, permettre à l’esprit critique de s’émanciper des représentations sociales L’intellectuel et le journaliste doivent douter constamment et se remettre toujours en question, selon la devise que le plus grand ignorant est celui qui prétend tout savoir. L’histoire du cycle des civilisations, prospérité ou déclin, est intimement liée à la considération du savoir au sens large du terme et qu’une société sans intellectuels et journalistes est comme un corps sans âme. A l’ère d’Internet le monde est devenu une maison en verre et il s’agit d’éviter toute désinformation contre-productive. L’Algérie a besoin d’un regard lucide sur sa situation réelle et des solutions réalistes pour son devenir et non de discours d’autosatisfaction de courtisans liés à la rente , nuisibles au devenir du pays.
Professeur des universités, Docteur
et expert international
Dr Abderrahmane Mebtoul