«Essai d’interprétation prospective du risque majeur climatique»

Climat

Lorsque les géographes définissent le risque majeur, ils font spontanément appel à trois notions : l’aléa, les enjeux, la vulnérabilité, autant de termes qui renvoient aux mathématiques, aux probabilités, aux statistiques… aux supercalculateurs dont on sait la supériorité sur les capacités humaines depuis que Deep Blue d’IBM a battu Garry Kasparov aux échecs en 1997. La «conscience publique mondiale» prend corps en même temps que le trou d’ozone se referme et cette didactique planétaire pousse à rendre systémique cette approche globale de la prévention des risques majeurs, par des mécanismes institutionnels du développement humain et de bonne gouvernance… climatique. Le monde de l’immatériel est ainsi en passe d’annuler l’aliénation de l’homme au travail mécanisé (et donc à l’industrie classique tel que comprise depuis l’invention de la machine à vapeur au XVIIIe siècle) pour lui substituer de nouveaux assujettissements, corrélés au monde numérisé et aux technologies nouvelles en cours de nouaison dont les briques infrastructurelles de base sont les supercalculateurs, les algorithmes novateurs, les technologies en 3D, la fibre optique et ses évolutions, les satellites météorologiques, les nanotechnologies pour répondre aux défis climatiques de demain. Il y aura donc des Peuples de la rupture numérique et climatique et d’autres qui seront irrémédiablement dominés par la nouvelle approche carbone du GIEC. Il n’est donc pas loin le temps où la compensation carbone sera non seulement un enjeu financier international considérable (le carbone ne constitue-t-il pas un excellent candidat à l’unité monétaire universelle dont le bitcoin n’est que l’avant-garde de la dématérialisation définitive de la monnaie ?) mais aussi une mesure – non plus du «risque industriel» – mais du «risque climatique pays», classant les Nations dans un système d’assurances climatique mondialisé. Il sera fait une jonction contraignante au sens du marché carbone, entre la mise en œuvre effective des politiques publiques visant à faire prendre en charge par les Etats les conséquences des dérégulations climatiques d’une part et d’autre part les nouvelles technologies concourant à contrecarrer les effets négatifs des risques majeurs climatiques récurrents dont les superordinateurs sont l’une des pierres angulaires de leurs modélisations.
Au vu de la discussion précédente, nous mesurons mieux les présupposés proches et lointains que comporte une nouvelle approche méthodologique revisitée à l’aune des risques majeurs climatiques, du développement, en évaluation nouvelle de l’intégration à une globalisation directive de l’action des Etats-Nations. Dans cette perspective qui nous semble inéluctable, il est important de réfléchir au moins trois notions dont le dépassement est essentiel pour mieux nous inscrire collectivement dans les enjeux cruciaux de demain. De notre point de vue, face au risque majeur climatique, il est urgent de s’interroger sur le rapport de l’Algérie à sa géographie, de sa réaction aux évolutions climatiques concrètement mesurée par la montée inéluctable de la désertification et son impact sur notre sécurité alimentaire et enfin de sa perception de la culture saisie dans la synergie de l’évolution du monde numérique de demain.

Les défis prioritaires de l’Algérie pour répondre au risque climatique
Pour ce qui est de la géographie, il nous faut constater que le mode de production rentier possède l’originalité de soumettre la géographie à sa propre spécificité économique. Parce que la source de sa richesse est localisée, la rente s’impose non seulement aux territoires mais dicte aussi aux populations la régionalisation de ses activités en lieu et place d’activités développées régionalement. Or la gestion des risques majeurs pose au centre de sa préoccupation l’aménagement du territoire et donc celui de sa géographie. Comment gérer le risque climatique alors que les logiques rentières façonnent la géographie économique de la Nation ? L’expansion urbaine anarchique de Hassi-Messaoud en est la meilleure illustration. Le défi est d’autant plus complexe à relever que les puits de pétrole restreignent la sphère productive de la Nation aux activités de son périmètre immédiat, dans un phénomène connu par les économistes sous la désignation du «syndrome hollandais». Les priorités courantes de la Nation (en l’absence préjudiciable d’un Haut-Commissariat à la planification et d’une prise en compte juridiquement contraignante des recommandations du SNAT) vont inéluctablement au développement d’une économie rentière basée sur les hydrocarbures et dans le meilleur des cas – si le programme gouvernemental venait à être appliqué efficacement – à l’élargissement de l’exploitation de nos rentes minières (le fer de Ghar el Djebilet, les phosphates du Djebel Onk en sont des exemples majeurs) comme première étape de l’expansion de notre sphère productive. Mais dans tous les cas, nous serons encore longtemps dominés par la culture de l’exploitation des rentes différentielles en lieu et place de la promotion des activités de la valeur ajoutée comme le démontre l’approche des énergies renouvelables cherchant à substituer une rente énergétique fossile par une rente écologique solaire sans poser les conditions de la production de sa R&D, de son ingénierie et des infrastructures nécessaires à l’atteinte de ses objectifs en autonomisation de maitrises technologiques et de développement humain.
Pour ce qui est du ressort de l’évolution climatique, il va de soi que la remontée de la désertification vers le Nord du pays pose la question lancinante de notre sécurité alimentaire. Des variations de température vont induire des glissements spatiaux pour des cultures entières. Au-delà d’une augmentation de 5°C nous assisterons à des ruptures graves des systèmes de production agricoles. La question de la raréfaction de l’eau, sa répartition entre la population, les besoins agricoles et industriels ; son transport incontournable du sud vers le nord, son économie seront questionnés par les risques climatiques d’autant plus durement que nous vivons dans une zone semi-désertique. Nos palmiers dattiers, plantes thermophiles par excellence, et la manière dont nos systèmes oasiens sont organisés peuvent nous inspirer un modèle agricole sortant de la spécialisation productiviste, alliant extensivité et intensivité pour peu que nous réalisions un lien vivant entre l’agroforesterie et les biotechnologies permettant par exemple d’offrir au secteur des hydrocarbures une plate-forme d’intégration agro-énergétique à la Nation. Nous pourrions alors internaliser la croissance structurelle mondialisée du secteur des hydrocarbures et étendre l’ensemble de nos plantations sous couvert végétal du palmier dattier, lui-même en croissance stimulée par de nouveaux besoins comme le sucre aujourd’hui totalement importé ou les bio-carburants. La même logique peut s’appliquer à une autre plante primaire de grande valeur, également économe en eau, l’olivier, pourvu que nous sachions en multiplier les usages industriels et les transformations biotechnologiques. Les solutions de grande envergure nationale existent, se basant essentiellement sur le palmier dattier et l’olivier, à l’image d’autres cultures majeures, comme la canne à sucre au Brésil, le maïs aux Etats-Unis ou la betterave sucrière en Europe mais elles nécessitent une volonté publique puissante pour sortir du modèle extraverti qui est le nôtre depuis trente ans. La relance permanente du barrage vert en intégration des activités agricoles et agro-industrielles est cependant une réponse adéquate et encourageante aux défis posés par la désertification dans notre pays. Enfin, la culture doit être profondément repensée dans ses rapports aux technologies de l’information et de la télécommunication. La révolution du numérique nécessite des centaines de milliers de nouveaux métiers directement liés au monde immatériel. L’industrie des jeux vidéo par exemple, forme des millions de techniciens et d’ingénieurs de par le monde, qui comme les peintres perspectivistes de la renaissance en Europe, s’impliquent aujourd’hui dans la réalité augmentée en trois dimensions, comme hier les dessins éclatés de Leonardo da Vinci se réalisaient en reconnaissance des dessins industriels modernes. Les webgamers contemporains forment l’avant-garde de l’industrie de demain qui plus que jamais sera avant tout marquée par des capacités culturelles hors normes. Les potentiels en Algérie existent pour réaliser une telle évolution culturelle pourvue que la culture sorte de l’état balbutiant dans laquelle elle est malheureusement enfermée par des identitarismes stériles. Cela est d’autant plus possible que le pays possède une infrastructure éducationnelle de grande envergure qui ne demande que peu d’investissements qualitatifs au regard des efforts substantiels déjà consentis pour se traduire en valeurs ajoutées importantes pour la Nation.
Les changements climatiques vont se traduire par des pressions accrues des centres de la mondialisation sur les Nations les plus faibles jouant à leur avantage des distorsions climatiques pour creuser encore plus la fracture numérique entre les Peuples. A nous de réorienter intelligemment nos investissements publics pour tirer profit de nos territoires riches en valorisations de toutes sortes en intégrations des industries de demain (exploitation et valorisation des terres rares), d’imaginer des systèmes agricoles résilients y compris contre l’élévation des températures, s’inspirant intelligemment de nos potentiels et savoir-faire avérés grâce aux biotechnologies et à l’économie de la connaissance en intégration des secteurs des hydrocarbures en croissance mondialisée, enfin de réaliser des investissements massifs dans les TIC, en centres de formation novateurs, points nodaux des développements futurs, pour mieux préparer la jeunesse algérienne aux défis culturels posés par une ère numérique à nulle autre pareille qui s’ouvre avec ce XXIe siècle débutant.

M. Zitouni Brahim Journaliste,
Expert en systèmes oasiens
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