Les leçons à tirer de la montée de l’extrême-droite

France

Lorsque j’ai vu les résultats du sondage qui montre que l’extrême-droite (FN et Zemmour) détient 33% des voix, je me suis souvenu de la thématique du déclin des civilisations. Il se passe des choses qui expliquent le déclin d’une civilisation qui auraient pu être évitées. C’est pour cette raison qu’Arnold Toynbee parle de suicide de la civilisation. Celle-ci choisit de mourir. A partir de ce constat objectif et logique, il faudrait avoir une théorie qui explique pourquoi une civilisation meurt en sachant que cette mort est provoquée par un processus qui n’est pas inévitable, fataliste et déterministe.
Arnold Toynbee possède une telle théorie. Il explique la naissance d’une civilisation par des défis et des réponses qui deviennent créatives. La civilisation, selon Toynbee, dépend de la créativité d’une minorité qui réussit à mobiliser un prolétariat non créatif. Mais ce succès se retourne contre cette minorité qui a pris le leadership lorsque sa créativité décline. L’échec de la créativité est provoqué par une démoralisation spirituelle et là Toynbee fait vaguement référence à la religion.
C’est alors qu’un processus de désintégration commence. Les masses du prolétariat se démarquent des leaders de la minorité et ces derniers tentent de maintenir leur position en usant de la force au lieu de l’attractivité créative. Une désintégration de la civilisation concerne trois groupes : une minorité dominante, un prolétariat interne et un prolétariat externe représentant les barbares qui guettent aux frontières. Cette désintégration donne libre court à des tendances sociales et à des divisions spirituelles difficiles à prévoir et à expliquer. Lors de ce processus de désintégration, la minorité dominante va créer un état universel impérial qui va unifier tous les territoires appartenant à une civilisation donnée Mais lorsque Toynbee aborde la religion sous l’intitulé «église universelle», il la dissocie de la civilisation en la considérant comme une société à part entière distincte de la civilisation et dont le rôle très spirituel mais aussi très métaphysique est de définir une relation directe et personnelle entre l’individu et une réalité transcendantale. Toynbee reconnaît cependant que la religion peut être institutionalisée sous la forme d’un groupe rigide et intolérant. Toynbee termine son investigation en rappelant que les civilisations qui sont dans un stade avancé de désintégration sont menacées par les barbares aux frontières de l’état universel crée par la minorité dominante6. Ces barbares finissent par envahir ces civilisations déclinantes.
Toutefois, lorsque Toynbee parle de la mort des civilisations, le processus mis en lumière est très complexe, très idéologique et ne reflète pas de manière claire le déroulement d’une chaine causale.
Toynbee affirme que le signe de l’effondrement d’une civilisation apparait lorsqu’une minorité dominante forme un Etat universel qui répond une créativité politique dans l’ordre social. La minorité dominante tente de tenir par la force la civilisation lorsque sa créativité décline. Le prolétariat répond à cette injustice par le ressentiment, la haine et la violence et se lance dans la sécession. A partir de ce moment, la minorité dominante crée un Etat universel, le prolétariat interne et une église universelle.
Il existe dans le schéma de Toynbee une sorte de créativité dans le processus même de désintégration de la civilisation. Ce processus ne reflète ni une explication unique, ni un phénomène historique unique, ni une chaine causale précise. Est-ce que Toynbee suppose que la cause de la désintégration d’une civilisation soit le conflit entre la minorité dominante et le prolétariat interne ou la perte de créativité de cette minorité dominante, ou autre chose ? Cette théorie n’est donc pas précise. Au-delà des terminologies difficiles à accepter car trop idéologiques comme cette notion de prolétariat interne, nous pensons que ce processus de désintégration à travers la création par la minorité dominante d’un Etat universel et la création par le prolétariat d’une Eglise universelle peuvent être difficilement considérés comme des causes de la désintégration de la civilisation
Dans notre approche, ce qui est appelé le prolétariat ne crée pas d’Eglise universelle et la minorité dominante n’a rien à voir avec l’Etat universel. Dans une civilisation, il n’y a que deux forces vives dont l’une est la source de la grandeur de cette civilisation et qui crée une sphère scientifique et technique, une rationalité représentée par les scientifiques, les penseurs rationalistes, les philosophes admirant les sciences et des économistes bien intégrés à la politique du pays concerné. L’autre groupe n’est autre que le groupe culturel réactionnaire et idéologique (église universelle dans les civilisations chrétiennes, groupe des savants religieux dans la civilisation islamique, caste de prêtres comme le Clergé d’Amon dans l’Egypte pharaonique, philosophes grecs méprisant les sciences empiriques, extrême-droite dans les démocraties modernes, etc.)
Le premier groupe qui possède un rôle décisif dans la civilisation à travers sa créativité, le développement scientifique qu’elle favorise et le renforcement de la puissance à travers ses inventions, mais également l’adaptation à l’environnement international qu’elle suscite par son dynamisme est le seul qui puisse garantir l’adaptation de la civilisation aux mutations technologiques et économiques qui se produisent dans le monde.
Lorsque le groupe culturaliste, idéologique et nationaliste qui puise sa force dans la satisfaction des besoins culturels et psychologiques de la société (assurance devant les catastrophes naturelles, maintien de l’ordre social, sentiment d’appartenir à une civilisation supérieure aux autres, etc.) mais qui n’est pas la source de la créativité et de l’adaptation entre en conflit avec la sphère progressiste, la civilisation se désintègre puisque le déclin de la sphère scientifique, économique et technique suite au long conflit avec le groupe culturel prive la civilisation de ses capacités d’adaptation et sa disparition devient alors une question de temps. Les forces négatives d’une société qui sont incapables de créativité sont attirées généralement par le groupe culturaliste en raison du simplisme et du sentimentalisme qui caractérisent son idéologie et son alliance avec l’Etat qui possède par l’entremise de ce système d’un moyen efficace pour contrôler la société.
Voici donc le cycle vie-mort d’une civilisation à travers lequel on peut entrevoir une chaine causale qui traverse le processus grandeur-déclin de la civilisation ainsi qu’une explication unique à ce déclin, à savoir le conflit puis la victoire définitive du groupe culturel qui devient dominant sur la sphère scientifique, économique et technique.
Cette théorie prétend à la scientificité dans le cadre d’une philosophie de l’histoire critique. Mais certains philosophes comme Karl Popper se sont attaqués à cette manière de faire de la philosophie de l’histoire. Dans un livre portant un nom prétendument prophétique et manichéen Misère de l’historicisme, il remet en cause la possibilité d’élaborer une théorie en histoire qui ne peut, selon lui, n’être qu’une hypothèse ou une interprétation non testable. C’est l’argument principal de ce philosophe pour détruite la philosophie de l’histoire qui a été utilisée antérieurement en philosophie des sciences en identifiant une ligne de démarcation entre sciences et non sciences sous le critère unique de testabilité et de réfutation. Mais en réalité la testabilité n’est pas une caractéristique exclusive, radicale et sans retour dans les sciences physiques. Il existe des concepts scientifiques non testables. En remettant en cause ce critère dans les sciences physiques, nous pouvons contester son utilisation dans la science historique. Cette méthode critique, ne signifie pas que nous ne prenons pas le risque que notre théorie du seuil de survie des civilisations soit réfutée. Ceci est le véritable jeu de la science. En élaborant cette théorie, nous avons également réfuté la théorie de Toynbee en montrant que notre théorie est plus précise en identifiant la chaine causale. C’est le conflit entre les deux entités dont le résultat est prédictible qui est la cause de la désintégration des civilisations. Quant à la testabilité, nous pouvons suggérer des simulations d’ordinateurs qui représenteront ce conflit dans une civilisation imaginaire. Si le résultat est confirmé, alors notre théorie devient testable et vérifiée.
Rafik Hiahemzizou
A suivre …