Les leçons à tirer de la montée de l’extrême-droite

France

Lorsque j’ai vu les résultats du sondage qui montre que l’extrême-droite (FN et Zemmour) détient 33% des voix, je me suis souvenu de la thématique du déclin des civilisations. Ceci nous amène à ajouter un autre élément : le déclin économique et militaire d’une civilisation ne peut pas aboutir à sa désintégration. C’est uniquement le conflit entre les deux entités vivantes qui est la cause de cette désintégration. C’est une loi générale qui se vérifie dans toutes les civilisations mais elle n’est pas déterministe puisque la civilisation occidentale a survécu jusqu’à maintenant. C’est uniquement dans cette civilisation que le groupe culturel dominant a décliné. Or, l’ascension de l’extrême-droite représente l’apparition d’un système culturel réactionnaire et nationaliste qui menace aujourd’hui la civilisation occidentale.
Mais comme on a déjà expliqué, il y a un seuil à partir duquel une civilisation pourra ou ne pourra pas survivre. Si le système culturel et réactionnaire dominant persiste dans sa domination, alors la civilisation est condamnée. Elle ne peut franchir le seuil de la survie. Mais si le groupe culturel dominant commence à s’effondrer à partir d’un maillon faible et ce processus de désintégration se poursuit pendant suffisamment de temps, alors la rationalité, le progrès, la tolérance, l’innovation survivront et avec eux la civilisation entière. Il n’y a qu’en Occident que ce processus s’est réalisé. Les civilisations byzantines, chinoises et musulmanes n’ont pas survécu durant une période allant de la fin du Moyen-Age jusqu’à l’époque moderne en passant par la Renaissance parce que leurs groupes culturels et réactionnaires ont pris le dessus et n’ont pas permis à la civilisation de franchir le seuil de survie.
On peut prendre des exemples : la civilisation grecque, la civilisation byzantine et la civilisation chinoise. La comparaison avec d’autres civilisations permet de comprendre et de vérifier scientifiquement notre théorie.
Les civilisations byzantines, chinoises et musulmanes n’ont pas survécu durant une période allant de la fin du Moyen-Age jusqu’à l’époque moderne en passant par la Renaissance parce que leurs groupes culturels et idéologiques dominants ont pris le dessus et n’ont pas permis aux civilisations de franchir le seuil de survie.
A Byzance, le système ecclésiastique orthodoxe était dominant à Constantinople et dans toute la Turquie byzantine. Pour ne donner qu’un exemple de cette forte domination, il suffit de citer la querelle des icônes qui a fait des milliers de morts dans cette grande cité et qui s’est déclenchée à partir du IIe siècle apr. J.-C. et a duré jusqu’au IXe siècle et ce, juste pour que la religion officielle puisse interdire de garder les iconographies dans les églises, les bâtiments publics et les maisons privées.
L’orthodoxie qui était à son apogée à cette époque était opposée à cette pratique pourtant banale dans le monde chrétien et dans l’histoire glorieuse de la civilisation byzantine. Si une simple pratique artistique était anéantie dans le sang, alors que dire d’une révolution scientifique avec ses implications intellectuelles et philosophiques. Le groupe culturel, idéologique et réactionnaire à Byzance a tué dans l’œuf aussi bien la création artistique que les efforts des écoles aristotélicienne et platonicienne.
Concernant la civilisation chinoise, Joseph Needham nous explique qu’au XVIIe siècle, les mandarins chinois étaient horrifiés par les déclarations des jésuites qui s’efforçaient d’expliquer aux intellectuels chinois l’importance de la révolution scientifique qui avait court à l’époque en Occident.
L’existence de lois scientifiques et mathématiques pouvant permettre d’expliquer les phénomènes de la Nature était quelque chose d’inacceptable pour eux. Leur groupe culturel dominant s’appuyait sur une bureaucratie de lettrés dont la fonction principale était de servir l’Empire et de préserver l’ordre et la stabilité. Ce système avait pour philosophie, une vision de la Nature basée sur un accord spontané et une harmonie qui ne peut faire l’objet d’aucune explication humaine et surtout pas de nature scientifique
Par ailleurs, les Chinois ne voyaient pas d’un bon œil les efforts pour formuler des lois abstraites et précises susceptibles d’être généralisées au monde naturel en raison des mauvais souvenirs laissés par les légalistes durant la période féodale. Lorsque la bureaucratie s’est constituée, aucun intérêt n’a été exprimé pour formuler des lois a fortiori dans le domaine scientifique.
A cela, il faudrait ajouter une certaine léthargie provoquée par le confucianisme qui fut l’une des plus importantes composantes du groupe système culturel dominant en Chine. Needham a bien fait de faire remarquer dans le second volume de son livre que les disciples de Confucius étaient versés dans la morale sociale et l’organisation de la société à un point tel qu’il n’y avait plus d’espace pour des recherches sur la nature. Pour un auteur comme Needham, on peut comprendre toute l’ironie de cette histoire lorsqu’on sait que les Chinois avaient inventé la boussole, l’imprimerie, la poudre et le papier et beaucoup d’autres choses qui ont été les ingrédients de la révolution scientifique et de l’émergence du capitalisme en Occident.
Ceci montre seulement que l’apparition de facteurs matériels et intellectuels même cruciaux pour la révolution scientifique n’est pas en soi suffisante pour créer une «résilience» du progrès scientifique.
A Byzance au plus fort et à l’apogée de l’orthodoxie, la présence d’un trésor de livres de philosophes et de scientifiques grecs ainsi que de la langue grecque elle-même n’ont pas été des facteurs suffisants. La survie de la révolution scientifique est un problème culturel et non pas matériel ou intellectuel.
Prenant un autre exemple, Moses Finley dans un livre très synthétique et précis sur les anciens Grecs affirme14 que même si ce peuple antique a réalisé des choses remarquables pour la science comme la géométrie d’Euclide, l’astronomie de Ptolémée, l’atomisme de Démocrite et la médecine hippocratique qui auraient été, selon l’auteur, susceptibles d’entraîner une véritable révolution scientifique, il y avait quelque chose de plus profond et de plus psychologique qui a empêché une telle révolution. Finley ajoute que peu importe le caractère apparemment minoritaire de ces classes, ces dernières ont déterminé par leurs actions toute l’histoire de la Grèce même si celle-ci ait produit les intellectuels qui ont consacré leurs travaux à la science et à la philosophie.
Cet effort grandiose a détourné l’attention des choses pratiques à travers un système de valeurs particulier qui et basé sur la philosophie et les arts précités. Pour ma part, je préfère à cette définition, celle qui fait référence à un groupe culturel et intellectuel dominant. Le groupe culturel constitué des classes aisées et des philosophes a éclipsé le monde des artisans, des techniciens et des expérimentateurs et aucune percée technique n’a été vraiment réalisée dans l’agriculture, l’art de la guerre, l’irrigation, etc.
Finley a imputé cette évolution à l’absence chez la société d’une mentalité et d’une motivation nécessaire pour réaliser une efficacité et une productivité ainsi que d’un penseur doté au plus haut point d’un esprit pratique comme Bacon. Mais une telle interprétation n’est pas totalement adéquate et ne reflète réellement cette évolution.
Si la sphère technique a été éclipsée c’est en raison de la domination du système des classes aisées et des philosophes. On raconte que les apôtres de Jésus ont visité des cités grecques et ils y ont trouvé des philosophes avec lesquels discuter. Ceci montre le poids de cette sphère culturelle et intellectuelle qui n’a laissé aucune place aux scientifiques. On peut voir que peu importe la nature intrinsèque du système des valeurs de ce système dominant, il finit toujours par avoir raison de la sphère scientifique et technique et faire décliner à terme la civilisation entière.
Rafik Hiahemzizou
A suivre …