Le pourquoi d’une relation fusionnelle

Algérie-Palestine

Il est bien connu que l’Algérie et la Palestine sont liées par une relation fusionnelle unique, qui friserait presque la névrose. Cette solidarité sans faille, qui unit depuis toujours les deux peuples, ne résulte pas seulement de leur dure confrontation à des épreuves et souffrances similaires, ce qui est le cas pour bien d’autres luttes de libération.
Elle est le fruit d’une chimie particulière entre deux populations, deux causes, dans un monde où les sentiments humains peuvent varier au gré d’enjeux politiques, et même parfois sportifs, tels que l’illustrent les relations en dents de scie qui créent des tensions entre l’Algérie et l’Egypte, et ce, pour des raisons uniquement liées au ballon rond . L’Algérie, avec la Palestine, a fait le choix de l’amour total, absolu, à tel point que lorsque l’équipe nationale de Palestine vient disputer un match sur son sol, les supporters algériens soutiennent avec ferveur… les footballeurs palestiniens !
Les matches de qualification joués par les Fennecs au Qatar, lors de la Coupe arabe des nations qui s’est déroulée en décembre dernier, ont vu l’équipe algérienne brandir à chaque victoire le drapeau palestinien à côté du drapeau national, tandis que l’entraîneur algérien, de son côté, dédicaça la victoire finale des « Guerriers du désert » d’abord à la Palestine, en particulier à Gaza, et seulement ensuite à son propre pays, l’Algérie.
Le défunt président Boumediene avait remarquablement exprimé cet attachement profond, indescriptible, qui lie les Algériens aux Palestiniens, au grand dam de certains bien-pensants qui s’en offusquèrent. « Tous avec la Palestine, qu’elle soit oppresseur ou victime », écrivait-il, en paraphrasant ainsi de manière fort adroite le célèbre hadith du Prophète qui conseillait à ses disciples : « Assiste ton frère, qu’il soit oppresseur ou victime », c’est-à-dire assiste tes frères palestiniens, quand bien même ils se tromperaient, car dans ta position tu ne peux juger des options limitées de la Résistance. Ce beau geste de solidarité agissante se répète à chaque occasion, et à maintes manifestations culturelles et sportives.
Dans cette relation passionnelle, combien de non-dits et de sentiments profondément enfouis dans les cœurs, auxquels la raison ne peut facilement accéder ! C’est l’éthos de tout un peuple qui parle et qui ressemble fort aux sentiments d’une mère envers sa progéniture, un amour obsessionnel et irrationnel… Mais explorons ces non-dits.

La bataille de l’image
Passons d’abord en revue les points communs. La révolution algérienne s’est déroulée avec des moyens dérisoires contre un ennemi implacable, d’une brutalité sans commune mesure, dans un pays quadrillé par son armée surpuissante et bénéficiant de tout le soutien logistique de l’OTAN. Tout cela se doublait d’une rage féroce de la France pour faire de l’Algérie une colonie de peuplement, quitte à accorder l’indépendance à tous les autres pays africains. D’ailleurs, personne parmi les experts militaires n’aurait osé parier sur la victoire de cette armée algérienne sous-équipée et pourchassée partout, même si elle avait derrière elle tout un peuple qui faisait bloc.
La lutte de libération de la Palestine fut d’abord menée dans le contexte d’une colonisation britannique qui permit d’inverser le rapport des forces, en favorisant une immigration juive massive d’Europe, puis contre un régime sioniste opprimant tout un peuple, allant jusqu’à lui dénier le droit d’exister.
L’exploit de l’entité sioniste est bien d’avoir réussi ce terrible coup de force qui consiste à présenter le bourreau comme une victime, une inversion perverse des rôles (L’Holocauste des juifs européens par les Européens aidant), les victimes étant dès lors assimilées à de redoutables terroristes. Et ce, grâce à l’activisme forcené de leurs diverses diasporas disséminées à la surface du globe qui leur permirent d’acquérir le soutien inconditionnel des grands médias, des faiseurs d’opinion et autres institutions officielles.
Même Staline et Hitler ne purent rivaliser dans la sophistication de cette bataille de propagande israélienne massive, poussée à l’extrême : un petit Etat démocratique, entouré d’ennemis belliqueux, qui se battait pour sa survie, alors même qu’il expulsait, muselait, embastillait et massacrait tout un peuple. Comme le disait Goebbels, le sinistre chef de la propagande nazie : « Plus le mensonge est gros, plus il passe».
Ainsi, c’était David contre Goliath, sauf que Goliath était un Goliath de paille (les pays arabes…), tandis que David était surarmé, belligérant à l’excès et redoutablement manipulateur. En fait, tous les observateurs s’accordent sur le fait qu’Israël n’a jamais été menacé territorialement depuis sa création, sans parler de sa capacité de dissuasion en tant que puissance nucléaire. D’ailleurs, son occupation de la bande de Gaza et du Sinaï, dont l’entité sioniste a dû se désengager à contrecœur, ainsi que celle de la Cisjordanie et du plateau du Golan sont autant de preuves flagrantes de sa politique résolument expansionniste.

La double oppression, et une cause devenue invisible
On met souvent en parallèle la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et celle des Palestiniens pour leur indépendance, deux pays victimes d’une colonisation de peuplement. Effectivement, il n’est pas difficile d’établir, comme l’ont reconnu nombre d’instances légales et de voix indépendantes de par le monde, que les mêmes mécanismes d’apartheid et les mêmes procédures légales pour le perpétuer sont en jeu dans les deux cas.
Dans le cas de l’Afrique du Sud, une solidarité mondiale se mit en place dès les années 60, embrassant tous les peuples et les personnalités morales influentes, quelle que soit leur inclinaison idéologique, lesquels s’accordèrent comme une seule voix. A l’unisson, ils proclamèrent que traiter des habitants d’un même pays selon leur ethnicité était un mal absolu, et exhortèrent à ce que le régime sud-africain d’apartheid soit démantelé sans condition.
Malheureusement, ce formidable élan de solidarité supranational ne s’est pas déployé pour la Palestine. La vague de normalisation des relations avec Israël qui a emporté les régimes arabes, dénués de principes moraux et totalement irrespectueux de leur propre peuple, a brouillé encore plus les cartes. Cette abdication honteuse et tragique a eu de lourdes conséquences, dont celle de justifier la politique raciste et jusqu’au-boutiste mise en oeuvre par Israël, avec une scandaleuse impunité : tu ne céderas sur rien, car ton ennemi va céder sur toute la ligne et au-delà.
La cause palestinienne est ainsi devenue une cause perdue, en partie en raison des fortes pressions exercées, à l’échelle internationale, par le puissant lobby israélien et ses influents relais, qui n’ont eu de cesse de diaboliser, de bâillonner et de blâmer la victime, notamment en la taxant d’antisémitisme, tout en encensant le bourreau.
L’autre manière de tuer une juste cause est de la rendre invisible. Dans le monde arabe d’aujourd’hui, surtout depuis la récente vague de normalisation des relations avec l’entité sioniste, parler de la Palestine dans nombre de forums peut vous causer bien des ennuis, et comble de l’odieux, peut vous conduire tout droit en prison dans certaines contrées.
Même dans le monde occidental, dans cet immense agora virtuelle de la liberté de parole que sont les réseaux sociaux, on doit se rendre tristement à l’évidence : la cause palestinienne ne mobilise pas beaucoup, contrairement au haut degré de mobilisation populaire qui se dressa contre l’Apartheid en Afrique du Sud, contre la guerre du Vietnam ou même contre l’invasion de l’Iraq.
Pourtant, c’est une cause universelle qui ne souffre aucune ambiguïté quant à sa justesse et son urgence : un peuple entier est continuellement opprimé et persécuté, et dans une large proportion, rendu apatride, son territoire étant illégalement occupé depuis plus de 70 ans, et tout acte de résistance légitime, quelle que soit sa nature, étant aussitôt criminalisé.
Sans parler des violations massives par Israël du nombre impressionnant de résolutions prises par l’ONU en faveur de la Palestine ! Des résolutions onusiennes qui confèrent une dimension légale à la juste cause palestinienne, mais dont l’Etat d’apartheid se moque comme de l’an quarante.
Même une situation aussi cruelle et insupportable que le cas des habitants de la bande de Gaza, où deux millions de personnes sont privées de leurs libertés fondamentales dans une prison à ciel ouvert, victimes d’un blocus (Egypto-Israélien) implacable depuis quinze ans, n’émeut personne outre mesure. On était fondé à penser, au vu de cette situation inhumaine qui perdure et n’a que trop duré, que cela ferait forcément réagir des instances internationales de manière décisive, notamment celles s’occupant des droits humains ou de la libre circulation des personnes, ou encore celles chargėes des droits économiques, culturels, sportifs. Hélas, il n’en est rien.
Un pays voyou, membre de l’ONU, agissant en toute illégalité et avec une impunité insolente, peut donc continuer d’imposer un blocus total à une population entière, et lui infliger périodiquement des représailles d’une violence inouïe, dévastatrices et meurtrières, pour tout acte de résistance de la part de ses habitants ! C’est proprement révoltant !
Il est juste de mentionner que des voix courageuses se sont élevées contre l’apartheid israélien. Mgr. Desmond Tutu, ce géant des droits de l’homme qui vient juste de s’éteindre, avait remis les pendules à l’heure et placé la barre bien haut, en appelant très tôt au boycott total d’Israël.
Jamal Mimouni
(A suivre…)