Quelles missions pour la Cour des comptes ?

La lutte contre la dilapidation des deniers publics conditionnée par une nouvelle gouvernance :

Après une longue léthargie, la Cour des comptes vient de publier un rapport mettant en relief plusieurs anomalies dans la gestion des deniers public, Il y a lieu de ne pas confondre acte de gestion afin de ne pas démobiliser les managers et acte de corruption, la Cour des comptes, selon ses statuts étant dans l’obligation en cas de malversations de transmettre le dossier au Ministère de la Justice.

La lutte contre la corruption n’est pas une question de lois ou de commissions. Ce sont les pratiques d’une culture dépassée, l’expérience en Algérie montrant clairement que les pratiques sociales quotidiennement contredisent le juridisme.

3- C’est que le manque de transparence des comptes ne date pas d’aujourd’hui, mais depuis l’indépendance à ce jour. J’ai eu à le constater concrètement lors des audits que j’ai eu à diriger, assisté de nombreux experts : sur Sonatrach entre 1974 et 1976, le bilan de l’industrialisation 1977-1978, le premier audit pour le comité central du FLN sur le secteur privé entre 1979 et 1980, l’audit sur les surestaries et les surcoûts au niveau du BTPH en relation avec le ministère de l’Intérieur, les 31 walis et le ministère de l’Habitat de l’époque 1982 réalisé au sein de la Cour des comptes, l’audit sur l’emploi et les salaires pour le compte de la présidence de la République (2008), l’audit, assisté des cadres de Sonatrach, d’experts indépendants et du bureau d’études Ernest-Young, le prix des carburants dans un cadre concurrentiel Ministère Énergie, 8 volumes, 780 pages-Alger 2008, l’audit «Pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques». Concernant Sonatrach et les différents audits que j’ai eu à diriger avec des experts, assisté des cadres du secteur ministère de l’Énergie et Sonatrach, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et de Hassi Messaoud, tant du baril de pétrole que du MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité. Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile, et dans ce cas la mission de toute institution de contrôle est biaisée comme j’ai pu le constater, en tant que magistrat (premier conseiller) et directeur central des études économiques entre 1980-1983 lors de l’audit sur le programme de l’habitat assisté du ministère de l’Intérieur et de tous els wali de l’époque. La mauvaise exécution des projets et les surcoûts sont dus essentiellement à la mauvaise programmation, les longs retards dans l’exécution des projets, où on constate régulièrement, l’existence d’un décalage entre la planification budgétaire et les priorités sectorielles ; des écarts considérables entre les budgets d’investissement approuvés et les budgets exécutés; des longs retards pendant l’exécution des projets et la lourdeur des procédures lourdes qui empêchent la clôture rapide de la période de fin d’exercice et de graves carences institutionnelles. Ainsi, de nombreuses décisions de projet ne sont pas fondées sur des analyses socio-économiques. Ni les ministères d’exécution ni le ministère des Finances n’ont suffisamment de capacités techniques pour superviser la qualité de ces études, se bornant au contrôle financier effectué par le ministère des Finances, le suivi technique (ou physique) exercé par les entités d’exécution étant inconnu ou au mieux insuffisant. Cela a de graves conséquences en termes de ressources gaspillées, du fait que le système des investissements publics comporte plusieurs lacunes comme le montre les données du Premier ministère plus de 250 milliards de dollars consacrés aux assainissement des entreprises publiques durant les trente dernières années et 65 milliards de dollars de réévaluations des projets durant les dix dernières années : mauvaise gestion ou corruption ? Si l’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé, posant la problématique d’ailleurs de la transparence des comptes, y compris dans de grandes sociétés comme Sonatrach et Sonelgaz. Aussi, ce n’est pas une question de lois ou de textes juridiques, mais la volonté politique de luter contre la corruption et la mauvaise gestion. Les textes existent mais il existe un divorce avec la pratique. Dans ce cas, la responsabilité n’est-elle pas collective, les managers prenant de moins en moins d’initiatives et devant donc dépénaliser l’acte de gestion, à ne pas confondre avec la corruption ?

En conclusion, je ne saurai trop insister sur le fait que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un État de droit, avec l’implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et une visibilité dans la démarche de la politique socioéconomique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afin de délimiter clairement les responsabilités et pour plus de moralité des dirigeants aux plus hauts niveaux afin de faciliter la symbiose État-citoyens.
Le fondement de tout processus de développement, comme l’ont démontré tous les prix Nobel de sciences économiques, repose sur des institutions crédibles, et c’est une Loi universelle, d’où l’importance de dynamiser par une réelle indépendance le Conseil national de l’énergie, la Cour des comptes, le Conseil économique et social, la Bourse d’Alger et le Conseil de la concurrence. Car, force est de reconnaître qu’en ce mois de janvier 2022, Sonatrach est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach (plus de 97/98% des recettes en devises avec les dérivés pour l’année 2021 certaines déclarations vivant de l’illusion passé, étant dans une conjoncture particulière de courte durée d’un baril entre 80/ 100 dollars, ignorant la forte consommation intérieure qui horizon 2030 dépassera les exportations actuelles, et la baisse en volume physique des exportations de plus de 20% entre 2008/2021. C’est ce genre de déclarations, induisant en erreur les décideurs du pays, qui a conduit le pays à l’impasse que nous connaissons aujourd’hui, le monde 2025/2030 s’orientant vers la transition énergétique.
L’Algérie acteur stratégique de la région méditerranéenne et africaine a deux choix : de profondes réformes structurelles, plus de libertés, de transparence dans les décisions économiques et politiques en réhabilitant les vertus de la morale ou régresser en optant pour le statu quo, qu’aucun patriote ne souhaite
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul
(Suite et fin)