Les six raisons du processus inflationniste

Algérie

Comprendre le processus inflationniste en Algérie implique à la fois de le relier au retour de l’inflation mondiale aux équilibres macro-économiques et macro- sociaux selon une vision dynamique. Pour le cas Algérie, selon les données officielles, le taux d’inflation cumulé entre 2000-2021, l’indice qui n’ a pas été réactualisé depuis 2011, approche 100% entre 2000-2021 avec un pic selon le gouverneur de la banque d’Algérie de 9,2% en octobre 2021 En ce mois de janvier 2022 et cela a été le cas pour toute l’année 2021, le processus inflationniste a atteint un niveau intolérable, plus de 100% pour les pièces détachées, les voitures , plus 50% pour certains produits alimentaires, assistant à une pénurie de bon nombre de produits, ne devant pas se réjouir donc d’un excédent de de la balance commerciale qui provoquerait une paralysie de l’économie. En plus des factures d’électricité, de l’eau, du loyer, on peut se demander comment un ménage entre 30.000/50.000 dinars, peut-il survivre, s’il vit seul, en dehors de la cellule familiale qui, par le passé, grâce au revenu familial, servait de tampon social? Mais attention à la vision populiste: doubler les salaires sans contreparties productives entraînera une dérive inflationniste, un taux supérieur à 20% qui pénalise les couches les plus défavorisées, l‘inflation jouant comme redistribution au profit des revenus spéculatifs

La première raison est l’inflation importée puisque 85% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% proviennent de l’extérieur (voir notre interview exclusive à la télévision algérienne ALG24 du 12,01/2022). Le taux d’inflation de la zone euro a atteint un niveau record de 4,9% en 2021, avec en Allemagne et aux USA 6%, la BCE prévoyant une hausse de 3,2%, pour 2022 alors qu’en 2020, durant la pandémie l’indice était en net recul de 0,3% sur un an. La sécurité alimentaire mondiale étant posée, les prix des produits agricoles connaissent un niveau record et selon la FAO l’augmentation des prix s’est établi en moyenne à 127,1 points en mai 2021 soit 39,7% de plus qu’en mai 2020 où le prix des oléagineux a plus que doubler

La deuxième raison est la faiblesse du taux de croissance interne, résultant de la faiblesse de la production et de la productivité, et les restrictions aux importations. L’Algérie selon le rapport de l’Ocde dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins d’impacts en référence aux pays similaires, renvoyant à la mauvaise allocation des ressources. Selon le Premier ministère l’assainissement des entreprises publiques ont couté au trésor public environ 250 milliards de dollars ,durant les trente dernières années dont plus de 90% sont revenues à la case de départ et plus de 65 milliards de dollars de réévaluation, les dix dernières années faute de maîtrise de la gestion des projets. Selon le rapport du FMI fin décembre 2021, les exportations ont atteint en 2021 les 37,1 milliards (32,6 pour les hydrocarbures et 4,5 milliards hors hydrocarbures) dont près de 2,5 milliards de dollars de dérivées d’hydrocarbures en prenant les estimations récentes du bilan de Sonatrach pour 2021 (recettes de 34,5 selon le PDG de Sonatrach) comptabilisés dans la rubrique des 4 milliards de dollars hors hydrocarbures par le ministère du commerce. Quant aux importations, en attendant le bilan officiel du gouvernement, selon le FMI elles auraient atteint 46,3 milliards de dollars ( la banque mondiale ayant donné 50 milliards de dollars provoquant d’ailleurs une polémique ), 38,2 milliards de biens et une sortie de devises de services de 8,1 milliards de service contre 10/11 entre 2010/2019.
L’Algérie, selon le FMI, fonctionne entre le budget de fonctionnement et d’équipement, a plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production avec des impacts inflationnistes, expliquant l’importance du déficit budgétaire de la loi de finances 2022, plus de 30 milliards de dollars.

La troisième raison est la dépréciation officielle du dinar où depuis 2013, celui-ci a reculé de 45 % par rapport au dollar. qui est passé de 76/80 dinars un dollar vers les années 2000-2004 et la cotation au 13 janvier 2022 est de 139,32 dinars un dollar et 157,54 dinars un euro au cours achat avec une cotation sur le marché parallèle malgré la fermeture des frontières dépassant les 210 dinars un euro. La loi de Finances 2021 prévoit, pour 2022, 149,32 DA pour 1 USD et pour 2023 verrait donc la dévaluation de la monnaie nationale se poursuivre avec 156,72 dinars un dollar. Cette dévaluation permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations d’hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité. L’effet d’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar a un effet négatif sur toutes les sphères économiques et sociales dont le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever de plusieurs points, s’ajustant aux taux d’inflation réel, freinant à terme le taux d’investissement à valeur ajoutée et par la déthésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation, plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, des biens durables à forte demande comme les pièces détachées, facilement stockables l’achat d’or ou de devises fortes

La quatrième raison liée à la précédente est la baisse des recettes des hydrocarbures qui influent sur la balance des paiements et le niveau des réserves de change, qui tiennent la cotation du dinar à plus de 70%. Si les réserves de change sont de 10 milliards de dollars, la banque d’Algérie serait obligé de dévaluer le dinar officiel à environ 200/250 dinars un euro avec un cours sur le marché parallèle de près de 300 dinars un euro. Selon le rapport du FMI fin décembre 2021, elles se sont situées à 43,6 milliards de dollars en 2021 (11 mois d’importations), contre 48,2 milliards en 2020, contre 194 fin 2013 et 114 milliards de dollars en 2016. Qu’en sera t-il si on relance tous les projets nécessitant d’importantes sorties de devises et si l’investissement étranger ne vient pas car tout projet nouveau n’atteindra le seuil de rentabilité pour les PMI/PME que dans deux à trois ans à partir de son lancement, et 6 à 7 ans pour les projets hautement capitalistiques, pour ce cas nécessitant un partenariat étranger gagnant- gagnant tenant compte de la transformation du nouveau monde dominé par la transition numérique et énergétique mais peut être maîtrisable

La cinquième raison est l’importance du marché informel qui représente environ 50% de la superficie d l’économie, les prix des produits non subventionnées s’alignant sur le cours du dinar sur le marché parallèle amplifiant l’inflation et s’étendant en période de crise. Lorsqu’un Etat émet des lois ou procédures de manière autoritaire, sans consultation, qui ne correspondent pas à la réalité du fonctionnement de la société, delle ci émet ses propres règles( informelles) qui lui permettent de fonctionner beaucoup plus efficaces, car reposant sur un contrat de confiance[UW1] Selon la Banque d’Algérie entre 2019-2020, la masse monétaire en dehors du circuit bancaire, a atteint 6140,7 milliards de dinars, soit une hausse de 12,93% par rapport à 2019, le président de la République en mars 2021 ayant annoncé entre 6000/10000 milliards de dinars.

La sixième raison est la corruption à travers les surfacturations Selon nos estimations, les entrées en devises entre 2000/2021 sont estimées approximativement autour de 1100 milliards de dollars avec une importation de biens et services de plus de 1050 milliards de dollars. Malgré ces dépenses en devises,(sans compter les dépenses en dinars), la croissance a été dérisoire en moyenne annuelle de 2/3% entre 2000/2019, alors qu’elle aurait dû dépasser 9/10%, espérant 3,3% pour 2021 après une croissance négative en 2020 de 4,9 négatif selon le FMI avec une sortie de devises d’environ 14 milliards de dollars . Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente; ainsi, 3% rapportés à un taux faible donnent cumulé par rapport à la période précédente. C’est un taux faible largement inférieur à la pression démographique, plus de 44 millions d’habitants au 1er janvier 2021, où il faut pour réduire les tensions sociales, créer 350.000/400.000 emplois productifs par an qui s’ajoute au taux de chômage actuel d’environ 14/15%. Si par hypothèse, uniquement pour la partie devises, on avait amélioré la gestion pour 10% sans compter la dépense pour la partie dinars où existent des surfacturations, du fait de la non maîtrise des circuits et des marchés internationaux ( fluctuations boursières notamment ) et on avait réduit de 10% les surfacturations , l’Algérie aurait économisé environ 210 milliards de dollars entre 2020/2021, plus de quatre fois les réserves de change actuelles. Cette mauvaise gestion et corruption contribuent à amplifier le processus inflationniste.

En conclusion, du fait, des tensions budgétaire, l’accroissement du taux de chômage et le retour de l’inflation, avec la détérioration du pouvoir d’achat, s’impose la relance économique pour 2022 conditionnée par la lutte contre le terrorisme bureaucratique , la corruption qui étouffent les énergies créatrices, l’instabilité juridique et la vision purement monétariste afin de préserver les réserves de change sans vision stratégique. Face aux tensions géostratégiques au niveau de la région méditerranéenne, sahélienne et budgétaires au niveau interne, l’Algérie ayant d’importantes potentialités , peut surmonter la crise actuelle. Pour cela, s’impose la concrétisation urgente des réformes institutionnelles et économiques douloureuses à court terme, mais porteuse d’espoir à moyen et long terme, nécessitant une mobilisation générale, un large front national tenant compte des différentes sensibilités et un discours de vérité pour un sacrifice partagé.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul