Une histoire des Juifs, avant et après le décret Crémieux (I)

Algérie

« L’Algérie ne me doit rien, mais moi je dois à l’Algérie. Je dois d’y être né, d’un père d’Aïn-Beïda, d’un grand-père et de toute une lignée venue de la Basse-Casbah. Je dois à l’Algérie d’avoir vécu de soleil, d’avoir été nourri de son amour pudique et braillard, excessif et profond, ensemencé des cris de la rue, où j’ai appris la vie, la lutte, la fraternité.»

Ce bel aveu de Roger Hanin sur l’Algérie résume mieux que mille discours ce qu’aurait pu être le compagnonnage des Juifs d’Algérie envers cette Algérie qui leur a tout donné. La meilleure preuve d’amour nous fut donnée par le défunt Roger Hanin, qui est « retourné chez lui », comme l’a déclaré une personnalité lors de son enterrement à l’ouest d’Alger, le 13 février 2015, dans le carré juif où reposent les siens. Cette contribution se veut être une réponse au documentaire diffusé sur Arte, le 18 janvier 2022, et au discours clivant de Eric Zemmour, un Paléo-berbère algérien en mal de légitimité qui tire sur tout ce qui se bouge, appliquant à merveille l’adage : « On ne s’impose qu’en s’opposant ». Il eût mieux valu que le film «L’Algérie sous Vichy» soit intitulé plus justement : «Les Juifs d’Algérie sous Vichy». En effet, l’Algérie y est absente ou, plutôt, elle est évoquée en creux à dessein, comme la déchéance dans laquelle les Juifs ne devaient pas tomber, se sentant plus français que les Français eux-mêmes. Le documentaire se focalise sur leurs « déboires », magnifiant leur calvaire dans le camp de regroupement près de Bel Abbès, où ils côtoyèrent : « les serpents, les scorpions » – plusieurs d’entre eux ayant été piqués mortellement – sans omettre de citer cette phrase pour emporter l’adhésion générale : « en attendant leur déportation pour les remettre aux nazis afin de les exterminer.» Comme dans l’Etranger de Camus, les indigènes y sont invisibles. Tout au plus quelques allusions sont faites à leur sujet, mais elles sont noyées dans un plaidoyer écrit par des Français juifs pour ces Juifs d’Algérie d’une loyauté sans faille. Ceux-ci sont, en effet, présentés comme les sauveurs de la France, ayant réussi notamment l’opération Torch, le débarquement et la libération. Oubliés les 140.000 indigènes et autres qui participèrent activement, au péril de leur vie, au débarquement de Provence, après avoir pris Monte Cassino! Ils prétendent ainsi être les seuls interlocuteurs de la France en terre algérienne. Le récit est une sourde litanie, répétant ad nauseam qu’ils déploraient qu’on leur ait retiré le décret Crémieux, qui leur permettait de larguer les amarres d’avec les Algériens, avec qui ils vivaient depuis 2000 ans ! Ce documentaire projette, de ce fait, une vision hémiplégique, qui ne concerne en rien les Algériens. Sa programmation en pleine campagne présidentielle n’est évidemment pas innocente. Sous prétexte de répondre à Zemmour, pris d’une subite passion intéressée pour Pétain, les concepteurs de ce film, tous des paléo-algériens, s’adressent en fait tous azimuts au corps social français, en ratissant large, de la gauche à la droite, jusqu’aux extrêmes, et ce, pour ne pas compromettre l’avenir !

Histoire rapide des Juifs en France
Ma modeste ambition est de retranscrire la réalité de la condition des Juifs en France et des indigènes musulmans depuis ce fameux décret Crémieux, qui créa une nouvelle classe de colons in situ. Des colons qui, certes, ne jouissaient pas des mêmes droits que les Français de souche, mais bénéficiaient toutefois d’un statut qui était nettement plus enviable que ne l’était le Code de l’indigénat. Un rapide petit rappel historique, avec quelques jalons de l’histoire des Juifs en France et leur avanie avec les pouvoirs successifs. Comme lu sur cette contribution qui raconte le calvaire de ces juifs, qualifiés par l’Eglise omnipotente de déicides pendant près de 20 siècles, ils étaient isolés du corps social français dans des endroits déterminés. « Si l’on ne peut véritablement parler de ghettos avant le XVIe siècle, dans les villes, les nombreuses mentions de «rue des juifs» prouvent ce regroupement, dont le cœur est la synagogue. En France, Philippe Auguste décide d’expulser les Juifs en 1182. Philippe le Bel les expulse à nouveau en 1306, puis Charles VI en 1394. (…) Les juifs sont exclus non seulement de l’espace, mais aussi du temps liturgique chrétien : on leur interdit de paraître en public le dimanche. Par ailleurs, le canon 68 du concile de Latran IV de 1215, qui s’intitule «Que les Juifs doivent se distinguer des chrétiens par un habit spécial», impose aux Juifs un signe distinctif pour éviter de les confondre. Il faut attendre 1269 pour voir ces mesures réellement appliquées, date à laquelle le roi de France Louis IX oblige les Juifs du royaume à porter la rouelle (une petite roue d’étoffe jaune cousue sur la manche), et 1285 pour que Philippe le Bel les oblige à l’acheter». Sous Louis XV et Louis XIV, leur sort ne fut pas plus enviable. En effet, les juifs furent accusés de toutes les tares. Ainsi, « dès qu’il est question de meurtre d’enfants et de jeunes, le Juif n’est pas loin dans l’imagination des peuples ou des grands seigneurs». Avec la révolution de 1789, le statut des juifs fut débattu. Ainsi, au sujet de la liberté religieuse, en octobre 1789, le marquis de Clermont-Tonnerre prit position en faveur de leur accession à la citoyenneté, déclarant : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus.» « Malgré leurs professions de foi, les hommes de l’an II se montrèrent au fond hostiles aux Juifs et pas seulement en conséquence de sentiments anti-religieux : confiscation de l’argenterie de nombreuses synagogues, autodafés en Alsace, destruction de lieux de culte dans l’Est, etc. (…) Napoléon était probablement aussi «anti-judaïque» que la moyenne des Français de son temps. On peut trouver sous sa plume des épithètes défavorables ou méprisants qui, « assemblées bout à bout, fourniraient la matière d’un petit catéchisme antisémite». Au moment de la grande crise économique de 1805, l’usure pratiquée par certains prêteurs juifs dans les régions de l’Est, et singulièrement en Alsace, prit effectivement un tour inquiétant. Les autorités eurent vent d’un projet de pogrome, ce que Fouché mentionna dans le bulletin de police : « Au commencement de ce mois, on avait répandu dans le Haut-Rhin que les Juifs devaient être tous massacrés, les 10 et 11 vendémiaire. Le préfet estimait que les Juifs faisaient eux-mêmes circuler ces bruits pour fixer sur eux l’attention des autorités […]. Il existe cependant […] un mécontentement général et une haine prononcée contre les Juifs. À la fin de l’été 1806, Napoléon ordonna au ministre de l’Intérieur de préparer la réunion d’un «Grand Sanhédrin», (…) les quatre décrets des 17 mars et 20 juillet 1808. Les Juifs acceptent, au terme de leurs délibérations, de renoncer à la loi mosaïque (Loi de Moïse)». A la lecture de ce passé, fait de mépris, on pense à tort que le nazisme fut une rupture dans la considération des Juifs. Il n’en fut rien. Comme l’écrit si bien Sophie Bessis dans son ouvrage : «L’Occident et les autres» : « Le nazisme fut une continuité, ce sont dix siècles de brimades à l’endroit des Juifs qui aboutirent à la tentative de solution finale. C’est un fait qu’aussi bien le Siècle des Lumières que le XIXe siècle ne furent pas favorables aux Juifs qui étaient partout chassés, notamment en Pologne. Des idéologues comme rnest Renan et Arthur de Gobineau, qui définit le concept de race, ont fait le lit du nazisme».

Le décret Crémieux entériné en pleine débâcle de l’empire
Dans l’atmosphère de la chute de Sedan, de l’emprisonnement de l’empereur, le député Adolphe Isaac Crémieux ne perdit pas le nord. Jean Pierre Sereni écrit à ce sujet : « Le 4 septembre 1870, un groupuscule d’avocats parisiens ramasse le pouvoir tombé le jour même des mains de l’empereur Napoléon III vaincu à Sedan et fait prisonnier par les Prussiens.
(A suivre)
Chems Eddine Chitour