Peut-on espérer un renouveau ? (III et fin)

Ligue arabe

Avec la Syrie, le Yémen et la Libye dans la tourmente, avec l’Iran qui défie les Arabes du Golfe pour la maîtrise de la région et avec l’Amérique qui remet en question son rôle de garant ultime de la stabilité, on aurait pu penser que le moment était venu pour la Ligue arabe de s’affirmer.

après, en 2014, Abou Dhabi et Riyad ont commencé à soutenir un ancien officier des forces armées libyennes, Khalifa Haftar, qui reste un acteur important de la crise politique libyenne. La division au sein de la Ligue a affecté sa cohésion et sa capacité à aider la transition politique de la Libye, qui, selon elle, doit se faire par des négociations et de manière pacifique. La LEA a soutenu l’accord politique libyen parrainé par l’ONU, signé à Skhirat, au Maroc, en 2015, qui a donné naissance à l’actuel gouvernement d’entente nationale (GNA) à Tripoli, que le général Haftar a tenté de renverser avec l’aide des EAU et de l’Égypte.
En juin 2020, l’Égypte a demandé une réunion des ministres des affaires étrangères de la Ligue, qui ont ensuite condamné l’ingérence étrangère dans les affaires libyennes, en particulier celle de la Turquie (qui soutient le GNA). Fait important, la réunion s’est tenue sans consulter le GNA, qui l’a boycottée. Aucune mention n’a été faite de l’ingérence directe des EAU et de l’Égypte – en plus de celle de la Russie et de la France – en faveur du général Haftar. En substance, les divisions au sein de la Ligue ont été au cœur de son incapacité à aider un pays membre comme la Libye à atteindre la stabilité politique que son peuple mérite si désespérément.

La Syrie
Quelques mois après l’éruption des manifestations contre le régime syrien en mars 2011, la Ligue arabe a envoyé une mission d’observation en Syrie pour enquêter sur les rapports faisant état de violences généralisées contre les civils. La mission était dirigée par l’ancien chef des services de renseignement soudanais, le général Mohammed Ahmed Mustafa al-Dabi, qui a semblé blanchir les atrocités commises par le régime en niant des violations manifestes des droits de l’homme. Le rapport final de cette mission a été largement critiqué.
En novembre 2011, sous la pression principalement des pays du Golfe, la LEA a suspendu l’adhésion de la Syrie à ses institutions et imposé des sanctions politiques et économiques au régime syrien. Les États arabes ont été invités à retirer leurs ambassadeurs de Damas. Le Liban et le Yémen ont voté contre cette décision, tandis que l’Irak s’est abstenu. La Ligue arabe, en coopération avec les Nations unies, a alors choisi l’ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, comme médiateur en Syrie. Sa mission n’a duré que six mois. Il a été remplacé par Lakhdar Brahimi, qui n’a été considéré comme un émissaire de l’ONU que parce que le gouvernement syrien a refusé de l’accepter comme représentant de la Ligue arabe. Sa mission a duré moins de deux ans et a été aussi infructueuse que celle d’Annan. On peut supposer que depuis 2012, après l’échec de la mission d’Annan, la Ligue arabe a été largement absente de Syrie en raison du rôle dominant de la Russie dans le pays et de la quasi-absence des États-Unis. En 2018, lorsque le président Donald Trump a annoncé que les pays de la région devraient assumer le coût de la lutte contre l’État islamique, il a été question de la participation des forces arabes au maintien de la paix dans l’est de la Syrie. À l’époque, l’Arabie saoudite a exprimé sa volonté d’envoyer des troupes en Syrie, mais uniquement sous un parapluie international.

Le Yémen
Dans les années 1960, l’Arabie saoudite et l’Égypte (sous Gamal Abdul-Nasser) se sont disputé l’influence de la Ligue des États arabes et de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), offrant ainsi un contrepoids à la possibilité qu’un camp domine les organisations. Dans les années 80, une querelle personnelle entre le prince héritier (devenu roi) Abdallah et le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a permis de rétablir un semblant d’équilibre parmi les membres de la Ligue arabe. Aujourd’hui, avec l’Égyptien Abdel-Fattah el-Sisi lourdement endetté auprès de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, Kadhafi mort et la Libye en lambeaux, la LEA est devenue une organisation unipolaire dominée par l’Arabie saoudite et massivement soutenue par les Émirats arabes unis. En 2015, les rois Fahd et Abdallah ayant disparu de la scène, l’ascension du jeune Mohammed bin Salman au poste de prince héritier s’est traduite par un leadership saoudien agressivement affirmé. Par conséquent, et sans presque aucune opposition, la Ligue arabe a soutenu le point de vue saoudien sur le Yémen et a simultanément accepté la création d’une armée arabe – une force qui est restée ad hoc en fonction des circonstances actuelles et des inclinations du leadership saoudien.
Lorsque l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont décidé de repousser les Houthis de Sanaa, ils ont formé la coalition arabe, un recours à la force qui n’a rencontré aucune opposition au sein de la Ligue et qui, au départ, incluait la participation de l’Égypte, de la Jordanie et du Maroc – tous des États dotés d’organisations militaires importantes et efficaces. Ces trois pays se sont ensuite retirés de la coalition, du moins en ce qui concerne l’envoi de troupes terrestres, mais ils ont continué à soutenir l’effort de guerre verbalement et lui ont prêté une certaine assistance aérienne. La tragédie au Yémen, déclarée par les Nations unies comme étant la pire catastrophe humanitaire au monde, est une mise en accusation cinglante de la Ligue arabe, une organisation dont l’objectif était de débattre et d’atténuer les crises dans la région et d’offrir une assistance dans la résolution des conflits.

Échecs successifs
L’ampleur de l’échec de la Ligue arabe est sans précédent dans l’histoire des ligues internationales. Elle n’a pas réussi à empêcher la création de l’État d’Israël, malgré la menace génocidaire de son secrétaire général selon laquelle un tel geste entraînerait «une guerre d’extermination et un massacre capital dont on parlera comme du massacre des Mongols et des Croisades» ; elle n’a pas non plus traité de manière constructive, avec compassion, ni même particulièrement astucieuse, les réfugiés palestiniens dans ses États membres. En 1990, la Ligue n’a pas réussi à résoudre le conflit irako-koweïtien sur le pétrole et n’a rien eu de constructif à faire ou à dire, que ce soit avant ou après l’invasion irakienne et l’occupation brutale du Koweït. Bien qu’elle interdise à ses membres de recourir à la force les uns contre les autres, ses États membres l’ont fait à de nombreuses reprises. L’Égypte a envahi le Yémen dans les années 1960. La Syrie a occupé le Liban entre 1976 et 2005. L’Irak, comme mentionné, a envahi le Koweït en 1990. La Ligue arabe n’a jamais réussi à relever les défis urgents qui se sont posés au cours des décennies dans le monde arabe, notamment l’escalade de l’insurrection chiite iranienne au Moyen-Orient. La Ligue a joué un rôle limité dans la lutte contre le terrorisme et le radicalisme dans la région ou dans l’avancement du processus d’intégration entre ses membres. Elle n’a jamais eu non plus beaucoup à apporter sur le problème des violations rampantes des droits de l’homme fondamentaux dans l’ensemble du monde arabe. Elle n’a rien eu de constructif à proposer sur la manière de gérer les mouvements dramatiques d’un grand nombre de réfugiés ces dernières années et reste largement silencieuse sur les guerres brutalement destructrices qui se déroulent actuellement en Syrie, en Libye et au Yémen.
Les sommets de la Ligue arabe ont tendance à se terminer par de grandes déclarations, sans décisions et sans plans d’action. La longue série de crises internes dans les États membres comprend la détresse économique, la pollution, l’agitation sociale, le non-respect des droits de l’homme, le terrorisme et de nombreuses guerres civiles qui ont entraîné des souffrances humaines indicibles et des bouleversements. La Ligue, qui ne fournit rien pour aider ces États à résoudre ou même à faire face à ces problèmes, a perdu tout statut d’acteur régional actif et influent auquel elle aurait pu prétendre. Pour couronner le tout, la Ligue arabe a connu une crise budgétaire au cours des dernières années. Selon son secrétaire général, Ahmad Aboul Gheit, le budget de la Ligue est d’environ 60 millions de dollars, ce qui, selon lui, n’est rien comparé au PNB du monde arabe. M. Gheit a prévenu que la crise financière de l’organisation s’aggravait depuis plusieurs années et a déclaré que certaines de ses activités pourraient s’arrêter complètement si les États membres ne respectent pas leurs obligations en matière de contribution. «Certains pays qui devraient contribuer pour une grande part au budget n’ont pas versé un seul dollar», a-t-il déclaré. Les résolutions de la Ligue arabe sont préfabriquées, dépassées, déconnectées, ce qui maintient la Ligue dans un état de paralysie. Les faiblesses de la Ligue reflètent les faiblesses et les déficiences des États arabes qui dépendent de mécènes extérieurs pour leur soutien militaire, financier et diplomatique. Ce vide a ouvert la voie au «croissant chiite» soutenu par l’Iran, qui a prospéré et représente aujourd’hui une menace sérieuse pour les intérêts, les routes commerciales et la sécurité des États de la région.

Conclusion : besoin de renouveau
Les antécédents anciens et infructueux de la Ligue arabe et les défis actuels auxquels son action est confrontée ne signifient pas nécessairement que cette organisation est totalement irrécupérable. Mais pour changer ce qui est devenu un statu quo de plus en plus inacceptable, il faudra tenir compte de quatre considérations importantes. Premièrement, la Ligue arabe ferait bien de reconnaître et de répondre aux appels de la rue arabe à une plus grande ouverture politique dans l’ordre politique arabe, à un plus grand respect des droits civils et humains dans la société arabe et à une plus grande acceptation du développement démocratique. Ce n’est qu’alors que la ligue deviendra une organisation capable de jouer un rôle dans le futur monde arabe qui dépendra de la jeunesse pour son développement et son progrès.
Deuxièmement, l’éthique organisationnelle de la Ligue arabe ressemble à celle qui prévaut dans les institutions des États arabes individuels, qui sont généralement réactives et guidées par les événements au lieu de suivre une conception stratégique qui anticipe et traite les défis et les menaces. Il convient également de mettre l’accent sur l’indépendance organisationnelle de la Ligue par rapport aux États arabes et sur son agilité politique pour pouvoir résoudre les différends intra-arabes. Troisièmement, et de manière concomitante, il incombe aux États arabes de permettre une certaine transparence dans leur prise de décision sur les questions qui affectent l’action collective arabe et les relations interarabes. Il est également souhaitable de permettre à la Ligue arabe, lorsqu’elle aura développé les capacités de son secrétariat, d’examiner si les actions de certains États sont préjudiciables à d’autres États.
Quatrièmement, il est peut-être temps que le monde arabe établisse enfin sa force militaire permanente pour défendre l’intégrité territoriale des États vulnérables, participer aux opérations de paix et de stabilité lorsque cela est nécessaire (comme en Syrie, en Libye et au Yémen), et fournir des troupes et du matériel pour lutter contre les organisations terroristes.
La charte de la Ligue arabe prévoit déjà un Conseil de défense conjoint, et il est peut-être grand temps qu’une force arabe collective devienne une réalité, au lieu de rester possible uniquement en principe.
Dr Mohamed Chtatou
Suite et Fin