Un artiste de l’écriture et un artiste de la lecture débattent à propos de texte

Lire, c’est écouter et l’acte de lire est un art

Lire est d’abord une activité enrichissante qui vous alimente chaque jour en vous apportant des idées sensationnelles, des façons originales de s’exprimer moyennant des mots nouveaux ou des mots familiers mais employés différemment pour véhiculer d’autres sens. Dans cet énoncé, écouter et parler sont d’une lourde charge sémantique.

Il y a différentes manières d’écouter. On peut écouter de la musique à ses moments de loisirs, des musiques que l’on aime et qui nous comble de plaisir. Et que de joie on éprouve lorsqu’on a devant soi de petits enfants, encore au stade des balbutiements, mais qui arrivent à s’exprimer en faisant chacun part de ses besoins, rêves et de la joie se retrouver heureux parmi d’autres enfants. Quel bonheur immense ! Revenons à notre sujet qui nous préoccupe, celui d’écouter, au fil de nos lectures tous ceux qui ont une place à l’intérieur de l’œuvre, comme personnage ou partie prenante à un long récit ou à une série de présentations ou descriptions devant constituer la trame d’un livre compétitif sur le marché du livre.
Le bon lecteur, c’est celui qui fait en sorte que rien ne lui échappe pour qu’à la fin, il puisse avoir une idée claire du contenu. Et la lecture ne se fait ou ne doit se faire à la légère, d’ailleurs tout ce qui est superficiel est incompatible avec les arts en général. Pour qui veut travailler dans l’art, doit faire preuve de méthode et d’un esprit de recherche constante qui puisse déboucher sur des résultats satisfaisants d’écoute attentive et de lecture fructueuse. Ainsi pour comprendre une grande œuvre littéraire élaborée avec les plus grands soins par un auteur qui a cherché à puiser le plus possible dans la réalité, celle qui l’a façonné pour y avoir vécu les meilleures années de sa vie. On pense qu’une réalité familière mérite qu’on lui consacre une peinture la plus exacte possible à l’exemple du travail bien fouiné réalisé par Féraoun, auteur émérite qui de l’extrême pauvreté a pu émerger comme écrivain de renommée internationale et nous en parlons parce que c’est la date anniversaire de sa mort.

Lire, c’est écouter
C’est écouter l’auteur parler à la première ou à la troisième personne et dans tous les cas de figure, on rapporte des faits concernant une personne qui occupe le devant de la scène. Contrairement à ce que l’on pense, il faut rester bien éveillé lorsqu’on lit un écrit pour suivre le cheminement de la pensée et comprendre ce que dit l’auteur sur lui-même ou un personnage parlant de ce qui lui arrive. Les premières lignes d’une œuvre romanesque qu’on trouve négligeables sont pourtant importantes. On a choisi comme exemple« Le fils du pauvre » de Mouloud Féraoun, d’actualité, c’est le soixantième anniversaire de sa mort, tué par l’OAS, à quatre jours du cessez le feu de la guerre de libération. Féraoun commence ainsi son roman: « Menrad, modeste instituteur du bled vit au milieu des aveugles. Mais, il ne veut pas se considérer comme roi. », deux phrases lourdes de sens et qu’il serait dommage de négliger.
Pour donner une idée du contenu de l’œuvre, le romancier a eu l’excellente idée de mettre au haut de la première page, une épigraphe et ce, à la manière des grands écrivains. Il s’agit d’une belle citation de Tchékhov, grand auteur russe, philosophe du langage. Voici la merveilleuse pensée telle qu’elle est rapportée à la première page du roman «Le fils du pauvre » : « Nous travaillerons pour les autres jusqu’à notre vieillesse et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons pleuré, que nous vécu de longues années d’amertume et Dieu aura pitié de nous » Ce début de roman est à la troisième personne, bien que l’auteur parle de lui-même, les premières phrases sont de l’auteur lui-même qui, parti de ce bled pour des études d’instituteur, est revenu à son lieu d’origine, au milieu des aveugles où il ne veut pas se considérer comme roi. Les deux petites phrases sont au présent de narration.
L’auteur, Mouloud féraoun, commence à raconter au présent de narration, son vécu depuis sa naissance jusqu’à l’âge adulte, une vie simple au milieu d’une société la plus traditionnelle, une société de pauvres gens vivant de l’élevage et de menus travaux agricoles. Celui qui lit ce roman doit commencer par comprendre le sens de la citation de Tchékhov qui contient les grandes lignes de son contenu, à savoir que dans une famille traditionnelle, celui qui travaille trime toute sa vie, non seulement pour lui, mais aussi pour les autres, ses parents et peut être aussi ses grands parents, ses frères, ses sœurs s’ils sont jeunes et célibataires, la tradition a voulu que chacun vive sous la responsabilité de celui qui gagnent un salaire de misère en échange d’un travail pénible. Cette personne peut être un travailleur de la terre qui arrive tout juste à faire vivre toute cette famille. Quel devoir ingrat, en tous les cas, la plupart de ceux qui ont vécu sur le dos de quelqu’un de la famille qui a trimé pour tous, ont fait preuve d’ingratitude. Tchekhov est-il témoin d’une vie semblable à celle à qui, il fait allusion.
Féraoun n’en dit pas plus. Dans cette première page, il parle de son aventure, celle de quelqu’un qui écrit son premier au fil des jours et sur un cahier d’écolier, mais il n’est pas sûr d’être accepté par un éditeur, c’est pour cela que le manuscrit du livre écrit sur un cahier d’écolier, dort dans le tiroir du bureau, en attendant le jour où grâce à un ami de l’école normale, il sera proposée à une maison d’édition. Dans ce livre sous le titre « Le fils du pauvre », il y avait racontée minutieusement l’enfance, l’adolescence, la vie de collégien, puis d’étudiant à l’école normale des instituteurs. Féraoun dit sous la forme injonctive : «Tirons du tiroir, de gauche le cahier d’écolier. Ouvrons- le. Fouroulou Menrad, nous t’écoutons », signifiant : nous te lisons.

L’acte de lire est un art
Et c’en est un incontestablement lorsqu’on voit la manière de lire des plus mauvais lecteurs et celle des lecteurs doués pour cette activité et qui cherchent à en tirer le maximum de profits. Lire demande une bonne concentration pendant le temps du déchiffrage. Etre concentré en lecture, c’est essayer de dégager le sens de chaque signifié et poursuivre la lecture ainsi jusqu’à la fin de la phrase ou du paragraphe. Lire à la manière de quelqu’un qui a le sens du texte comme objet d’art, c’est aimer la lecture, être sensible au jeu de mots spécifique à chaque écrivain qui choisissent des ensembles signifiants pour mieux rendre leur pensée.
Les mots sont choisis comme des outils permettant de construire des phrases qui puissent intéresser les bons lecteurs, leur donnent l’envie et le goût de lire. L’auteur construit le texte avec le plus grand soin, le bon lecteur le déconstruit avec le plus grand intérêt pour essayer d’en tirer tout le contenu. Il faut considérer une belle oeuvre écrite comme une œuvre d’art, celui qui l’a écrite est un artisan du langage. Cela signifie que le langage n’a plus aucun secret pour lui et il suffit qu’il ait un sujet bien clair pour en tirer une œuvre de qualité. Les artisans du langage c’est par exemple Mohamed Dib, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Malek Haddad.
A ces exemples de pionniers, il faut ajouter les hommes et les femmes écrivains d’expression arabe ou française d’une autre génération comme Rachid Boudjedra, Tahar Djaout, Amin Zaoui. On ne peut rien reprocher à ces écrivains si on déchiffre très mal leur texte, étant donné qu’ils méritent pleinement l’appellation : artisans du langage. On ne peut pas ne pas aimer la lecture de leurs textes composés avec beaucoup de talent et qu’il faut savoir mettre en évidence par une méthode de lecture qui soit performante et qui donne la preuve que la lecture est un art qui commence par l’art d’aimer ce qu’on lit considéré comme le produit d’un écrivain qui a donné le meilleur de lui-même pour sa mise en forme.
Le lecteur doit avoir des qualités laissant supposer un savoir apprécier le texte comme un objet d’art qu’il faut traiter méthodiquement pour en dégager toute la beauté ainsi que toute la richesse du point de vue thématique et la richesse du point de vue langage recherché. De plus, un bon auteur doit avoir la maîtrise du système grammatical, il doit jongler avec les temps des verbes, avoir la familiarité des modes indicatifs, subjonctifs, infinitifs ou impersonnels, ce qui est un atout important pour celui qui en est familier.
Boumediene Abed