Nouvel écrin pour le patrimoine portugais

Musée du trésor royal de Lisbonne

En 2021, Lisbonne a connu une véritable révolution de… palais. Le Palais d’Ajuda, situé dans le quartier du même nom à l’ouest de la capitale portugaise, recevait alors sa dernière pierre, 226 ans après la pose de la première. C’est en effet sur une colline d’Ajuda que la cour portugaise s’était installée au lendemain du terrible tremblement de terre de 1755 qui détruisit la capitale. Tout cela prit du temps, l’argent vint à manquer, la royauté dût fuir au Brésil : le palais ne fut jamais terminé.
En 2018, lorsque Lisbonne a décidé de prélever une taxe touristique de 2 euros par visiteur, les autorités optèrent pour consacrer une partie des fonds récoltés au développement patrimonial. Ainsi, en 2021, fut fermée la cour jusque-là ouverte aux quatre vents du Palais d’Ajuda par l’ajout d’une quatrième aile au bâtiment. La sécurité était garantie pour construire le Musée du trésor royal (MTR). Trente-et-un millions d’euros furent consacrés à cette rénovation, dont 18 proviennent de la taxe touristique.

Un coffre-fort royal
«Cela peut paraître étonnant, mais effectivement, le Portugal n’avait pas jusqu’à présent de musée royal. Une exposition partielle a eu lieu en 1991. Cette fois, on peut voir la collection, et notre musée n’a rien à envier à ses confrères européens », s’émeut José Alberto Ribeiro, directeur du Palais national d’Ajuda.
Le coffre-fort installé dans la quatrième aile du bâtiment est long de 40 mètres, large et haut de 10 mètres. Il comporte deux portes seulement, à l’entrée et à la sortie, pour contrôler le nombre de visiteurs. La sécurité prime, alors que le Musée du trésor royal présente 736 pièces, objets et bijoux, sur trois niveaux de vitrines à l’épreuve des balles. Les couloirs sombres mettent en valeur les 23 000 pierres précieuses, dont 18 000 diamants qui composent la collection. Sur les murs des rampes d’accès, les portraits des rois et des reines arborent les tiares, diadèmes et épées, signes de la richesse des souverains. Les onze thèmes déclinés dans le coffre-fort magnifient l’ancienne gloire d’une cour qui fut l’une des plus riches d’Europe.

Admirable monde royal
Entre une pépite d’or brute de 22 kilos ramenée du Brésil ou une couverture brodée d’or offerte par un pape à un enfant royal, la collection est d’une richesse surprenante.
La France y est souvent une référence. On la trouve à l’origine des insignes de la Toison d’or, un ordre chevaleresque qui fut créé par Philippe III de Bourgogne, dit Philippe le Bon, lors de son mariage avec Isabelle de Portugal en 1430. L’objet exposé fut commandé par le prince régent D. João, futur roi João VI, aux alentours de 1790. Avec ses 1 700 diamants, ses 190 rubis et son saphir de 36 carats, c’est l’un des plus remarquables au monde. Au troisième et dernier niveau du coffre-fort, une autre surprise attend les visiteurs. Le service de table qui y est dressé est composé de quatre couverts, pour les rôtis, les poissons, les entremets et les desserts. Soit plus de 400 pièces d’un service à la française qui en compte 1 000, en argent massif et de style rococo. Des comédiens en costume d’époque viennent s’asseoir à table régulièrement par le truchement d’une vidéo. Le service, qui fut commandé par le roi José Ier en 1756 à l’Atelier Germain du Louvre, est amputé d’une partie de son dernier couvert, celui des desserts. L’orfèvre fit faillite avant de l’avoir conclu.

Péripéties et soubresauts
Tout comme leurs altesses propriétaires, les bijoux de la couronne portugaise ont connu des déboires et des camouflets. À commencer par la magnifique tiare de D. Maria II, de diamants et de saphirs, dont la valeur à l’enchère a atteint 1,3 million d’euros, une somme que le Portugal n’a pu malheureusement
débourser. La tiare a cependant été prêtée au MTR par l’actuel propriétaire. Mais ce n’est pas la seule plaie d’orgueil que le Portugal doit supporter. En 2003, le vol de six bijoux royaux au Musée municipal de La Haye, parmi lesquels l’inestimable pommeau de canne du roi D. José, un très gros diamant, avait provoqué un choc. Les bijoux ne réapparaitront probablement jamais. En guise de consolation, une partie de l’argent de l’assurance a servi à financer le musée.
Mais le MTR n’hésite pas non plus à montrer l’autre face de la réalité des bijoux : le pillage colonial ou les transports rocambolesques de couronnes ou autres effets, servant de gage ou de monnaie d’échange. Des valises dans une vitrine symbolisent une certaine déchéance dans laquelle a fini la royauté : les riches objets ont passé du temps enfermés dans des malles et conservés dans une banque ou dans les réserves des musées. Mais c’était peut-être aussi leur chance pour rester intacts, ou presque, jusqu’à nos jours.
M.-L.D.